Le président tunisien Béji Caïd Essebsi (90 ans) et son homologue français Emmanuel Macron (39 ans) ont plus de points communs qu’on le croit.
Par Slaheddine Dchicha *
«Comparaison n’est pas raison», dit l’adage, mais parfois la déraison est nécessaire lorsque, au-delà des apparences, certaines similitudes sautent aux yeux et s’imposent.
Cependant, de prime abord, c’est compréhensible, le rapprochement peut surprendre. Car, c’est vrai, qu’y a-t-il de commun entre Emmanuel Macron (EM) et Béji Caïd Essebsi (BCE)? Entre ce jeunot novice et ce vieux renard. Entre ce blanc-bec et ce briscard.
Deux partisans de la guerre-éclair
EM, maintenant toute la planète le sait, vient d’être élu à 39 ans président d’une nation plutôt vieillissante; alors que son âge avancé n’empêche pas le vénérable BCE de présider depuis trois ans aux destins d’une nation juvénile dont la jeunesse a accompli, seule et à mains nues, la révolution la plus originale du XXIe siècle.
C’est à croire qu’à population jeune, président âgé et président jeune à population âgée!
Mais, comme on le sait, «la valeur n’attend pas le nombre des années» et le nombre des années n’empêche ni les similitudes ni les multiples points communs.
Partisans tous les deux de la guerre-éclair, ils se sont emparés du pouvoir en un temps record au moyen de «mouvements» redoutablement efficaces et rapides. Deux ans après sa fondation, Nidaa Tounes s’est imposé comme la principale force politique tunisienne et a ouvert à son fondateur BCE les portes du Palais de Carthage. Et après seulement un an, En Marche vient de porter EM à la présidence de la France.
Dans l’un et l’autre cas, l’élection n’était pas une élection d’adhésion, mais une élection de rejet. Rejet du parti islamiste Ennahdha dans un cas, et dans l’autre, rejet de l’extrême droite incarnée par le Front national. Et afin d’écarter chacune de ces deux menaces, en Tunisie comme en France, un électorat hétéroclite s’est trouvé momentanément rassemblé pour voter «utile», ce plus petit dénominateur commun l’utilité occultant au passage l’absence de programme ainsi que la divergence voire l’opposition des intérêts.
L’Union nationale au centre
Au lendemain des élections, une fois le pouvoir acquis, EM comme BCE ont prôné l’ouverture et la coalition. En France, afin de dépasser le vieux clivage, En Marche s’est voulu au départ ni de droite ni de gauche, pour ensuite se revendiquer des deux, avant d’associer au pouvoir un large spectre allant de droite à gauche en passant par le centre… ce qui n’est pas sans rappeler «al-wassatiya» (le juste-milieu) prêchée à la fois par BCE et Rached Ghannouchi, le chef du mouvement islamiste Ennahdha, et surtout la fameuse union nationale qui a abouti au Pacte de Carthage.
Le pouvoir de ces coalitions est justifié dans un cas par la volonté de dépasser la «désuète» bipolarité droite/gauche et dans l’autre par la recherche «du centre et le rejet des extrêmes», mais ces deux justifications idéologiques cachent mal le libéralisme et les intérêts de classe sous-jacents.
Depuis trois ans, la Tunisie de BCE s’enfonce dans l’endettement, le sous-emploi et la corruption, et devant l’aggravation des inégalités et l’appauvrissement continu des plus démunis, les luttes sociales ne cessent de s’amplifier et de se radicaliser malgré leur dénigrement et leur criminalisation à tel point que président a mis certains lieux de production sous la protection de l’armée ! Ce qui, outre les risques de bavures et de confrontations, constitue une atteinte à un droit fondamental de toute démocratie digne de ce nom, le droit de grève. Mais il est vrai que ce n’est pas la première initiative présidentielle qui prend des libertés avec la constitution ou qui rogne les prérogatives du Parlement.
La France, quant à elle, n’a qu’à bien se tenir car les promesses de Macron, entre autres celle de gouverner par ordonnances, le parcours ou le passé de certains de la nouvelle équipe gouvernementale et enfin la satisfaction affichée de Pierre Gattaz, le patron du Medef, devant le duo formé par Emmanuel Macron et son 1er ministre Edouard Philippe (Les Républicains): «Pour l’instant, nous sommes sur un nuage», laissent présager que la situation sociale française à venir risque de ne pas être un long fleuve tranquille.
* Universitaire.
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