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Histoire-De Gaulle et l’appel du 18 juin : L’officier félon devenu héros

L’Appel du 18 juin 1940 du Général De Gaulle a joué un grand rôle dans la libération de la France. Mais aussi, paradoxalement, dans la libération de ses colonies.

Par Dr Mounir Hanablia *

18 juin 1940 : ce jour là, un général français inconnu, Charles De Gaulle, réfugié à Londres après la défaite écrasante de l’armée française qualifiée de débâcle, face aux forces allemandes, lançait son célèbre appel radio diffusé : «La France a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre».

De la capitulation à la résistance

Cet appel faisait suite à l’acceptation de la France annoncée la veille par le Maréchal Pétain des conditions allemandes, et à ce qui allait en résulter: division du pays en deux territoires, dont l’un serait administré par les Allemands, l’autre par un gouvernement collaborateur dit de Vichy, guerre contre les Anglais, neutralisation des flottes françaises de la Méditerranée, la France réduite au statut peu enviable d’Etat croupion dénué de toute souveraineté réelle. Hitler avait tenu à faire parapher le document de reddition dans le célèbre wagon où les Allemands en 1918 avaient signé leur capitulation face aux alliés.

Le général De Gaulle était-il qualifié pour lancer un tel appel? Nullement ! le Général Pétain représentait alors l’autorité légitime, et il n’incombait à personne, hormis à lui-même, le soin de gouverner la France.

Le général De Gaulle n’était donc, aux yeux de la loi, qu’un officier félon qui se soulevait contre l’autorité légitime de son pays, qui plus est en temps de guerre, et bénéficiait de la protection d’une puissance étrangère hostile, ce qui, dans n’importe quel pays du monde, le rendrait passible de la cour martiale.

Un jour en 1961, d’autres généraux français s’en souviendraient, en Algérie. Pourquoi De Gaulle, tout simple membre de l’état major français, bénéficia-t-il immédiatement du soutien anglais? C’est qu’après la débâcle du 10 mai 1940, la plus grande partie du corps expéditionnaire anglais ainsi qu’une partie de l’armée française n’avaient dû leur salut qu’à une périlleuse évacuation à partir du port de Dunkerque, menée par la Royal Navy; le but en avait été de rapatrier en Angleterre tous ceux qui voulaient et pouvaient se battre, dans le but de s’opposer à une invasion allemande très probable des îles britanniques, ou simplement de s’opposer à l’Allemagne partout où cela serait possible.

Dans cette perspective, il était important pour les Anglais de tenter d’infléchir la politique de collaboration avec les Allemands que venait d’inaugurer le Maréchal Pétain, ou bien, à défaut, de raviver la flamme du peuple français, en obtenant le soutien de tous ceux qui étaient contre la capitulation de leur gouvernement.

A ce stade là de la guerre, De Gaulle était bien évidemment une simple carte, certes petite, mais néanmoins importante, un moyen de pression utilisé contre le gouvernement français capitulard, dont on escomptait le ramener à de meilleurs sentiments, ou plutôt à respecter les termes de l’alliance qu’il avait contractée avec l’Angleterre, avant la guerre.

Mais que disait De Gaulle dans sa célèbre allocution? Que de nombreux peuples glorieux avaient perdu leur liberté, que la guerre n’était pas finie, qu’elle était mondiale, et que des forces immenses allaient s’y engager, jusqu’à la victoire, et que ce jour-là, afin de retrouver son rang, la France devrait se situer dans le camp des vainqueurs.

Des paroles ô combien prophétiques. Mais quelles étaient ces forces qui n’avaient pas encore donné? Evidemment les Etats-Unis d’Amérique, l’arsenal de la démocratie, qui en 1917 avaient changé le cours de la guerre et permis la victoire alliée. L’URSS? Il est peu probable que De Gaulle y eut songé, elle était liée à l’Allemagne par le pacte Molotov Ribbentrop, ce qui avait d’ailleurs permis aux deux pays un sordide marchandage relativement à l’occupation de la Pologne et des pays baltes. Et De Gaulle avait justifié la nécessité de la continuation de la guerre au nom de la Liberté des Peuples, dont depuis la déclaration du président Wilson en 1918, les Etats-Unis étaient devenus le symbole.

Cependant personne à ce moment là ne pouvait y imaginer que les Etats-Unis, isolationnistes comme ils l’étaient, et dont une grande partie de la population portait une grande admiration à l’Allemagne nazie, pourrait à cours terme s’engager dans les affaires européennes, dont elle n’aurait rien à retirer. Tout au plus en ces temps sombres où l’avenir de l’Angleterre, menacée d’invasion allemande, était en jeu, le président Roosevelt s’était-il engagé à fournir une aide économique et militaire aux Anglais qui en avaient bien besoin, mais sans plus.

Pour les Américains les Anglais étaient des amis sinon des parents qu’ils devaient soutenir, mais pas au point de combattre à leurs côtés; du moins pas à ce stade là de la guerre. C’est pourquoi Winston Churchill s’était fixé deux objectifs immédiats : empêcher l’invasion; obtenir l’entrée des Etats-Unis dans la guerre. Est-ce lui qui avait suggéré à De Gaulle de l’évoquer dans son allocution? Les relations tumultueuses qu’allaient entretenir ces deux hommes tout au long de la guerre rendent cette hypothèse peu plausible. Par contre, il est fort possible qu’à Londres, il en eût été question, et que les Français réfugiés en eussent eu vent.

Libération de la France, libération des colonies

Quoiqu’il en soit, ce fameux appel du 18-Juin suggérait implicitement une chose : que la poursuite du combat par le peuple français n’avait de sens que par rapport à la perspective des forces mondiales qui ne s’y étaient pas engagées. Est-ce à dire que les peuples qui n’ont aucune chance de gagner une guerre ne doivent pas résister? Les peuples du monde entier savent que la liberté n’a pas de prix; d’autres ont même soulevé le slogan «la liberté ou la mort».

L’exemple de la Yougoslavie et de la Finlande lors de la seconde guerre mondiale, celui des montagnards afghans miséreux mais intraitables, des Palestiniens pratiquement désarmés, démontrent que la lutte pour la liberté ignore le déséquilibre des forces en présence, et qu’il n’y a pas lieu de se rendre lorsqu’un combat est juste, même lorsqu’on n’espère pas l’appui des GI’s ou de l’Armée Rouge.

Mais on ignorera donc toujours si le fait important dans le discours de De Gaulle eût signifié l’appel à libérer la France, ou bien à la libérer pour rétablir sa grandeur parmi les puissances victorieuses. Que voulaient pouvoir dire alors la grandeur et le rang de la France? Sans doute récupérer ses colonies desquelles elle retirait une part importante de ses richesses et de sa puissance. Et c’est un fait : une part importante des armées française et anglaise qui se battraient contre les Allemands, proviendrait de leurs colonies, qui joueraient également un rôle géostratégique majeur dans la défaite des Allemands en Afrique du Nord, puis l’assaut contre l’Italie. Ces soldats coloniaux s’en souviendraient plus tard en rentrant dans leurs propres pays, pour réclamer l’indépendance.

Mais en attendant le discours de De Gaulle véhiculait un paradoxe qui allait lui aussi se révéler subversif : la France prétendait se libérer de l’occupation étrangère, pour retrouver sa grandeur, celle d’occuper d’autres peuples. Et c’est un fait qu’à la fin de la guerre, l’Angleterre puis la France seraient dans l’obligation de se défaire de leurs colonies, parce qu’elles étaient ruinées.

L’ironie de l’Histoire, c’est que l’appel du 18-Juin scellant le destin commun de la France dite libre, et de l’Angleterre, face à l’Allemagne, eût correspondu à la commémoration de la bataille de Waterloo, au cours de laquelle les Anglais, associés aux Prussiens (Allemands) avaient écrasé les Français.

En attendant, cet appel, ambigu et aventureux, allait fournir à De Gaulle le capital politique nécessaire grâce auquel il présenterait la France comme faisant partie des nations victorieuses, et il incarnerait à la libération la grandeur de son pays qui avait refusé de s’agenouiller devant les Allemands, puis plus tard l’Otan, et qui lui permettrait de constituer l’alternative pour résoudre la grave crise politique issue de l’affaire algérienne.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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