Les travaux du Tunisian African Empowerment ont permis de mettre les projecteurs sur le secteur de l’enseignement en Tunisie: ses opportunités et ses carences.
Par Zohra Abid
La qualité de l’enseignement et de la formation en Tunisie, les opportunités qu’ils offrent pour les étudiants africains subsahariens et les moyens de surmonter les obstacles rencontrés et de renforcer l’offre tunisienne dans ces domaines ont été largement discutés dans les panels ayant meublé les travaux du 1er Tunisian African Empowerment, tenu les 22 et 23 août 2017, au Palais des Congrès, à Tunis, organisé par le Tunisian-Africa Business Council (TABC), en partenariat avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et celui de la Formation et de l’Emploi, ainsi que l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT).
Lois éculées, bureaucratie et racisme ordinaire
Dans les débats, plusieurs questions ont été remises sur la table, notamment les vieilles lois remontant à plus de 50 ans (comme le décret n°1968-198), et qui posent problème aux étudiants subsahariens, qui se plaignent de la lenteur des formalités administratives pour l’obtention du visa et de la carte de séjour. Ces derniers se sont plaints aussi de la ségrégation raciale, un phénomène qui s’est aggravé après la révolution de 2011 et dont la première conséquence est la chute brutale du nombre des étudiants subsahariens inscrits dans des établissements universitaires tunisiens, qui est passé de 12.000 à quelque 6000 en moins de 7 ans. On a appris, à ce propos, que plusieurs de ces étudiants sont rentrés en vacances dans leur pays, décidés à ne plus remettre les pieds en Tunisie et à changer de destination d’études.
Tous ces problèmes ont été évoqués et discutés par les responsables tunisiens, leurs homologues subsahariens et les membres des délégations ayant participé au forum. Et des ébauches de solutions ont été préconisées.
Ils ont déclaré:
Pierrot Uweka Ukaba (ministre congolais de la Formation professionnelle, des Métiers et de l’Artisanat): «Des négociations pour la suppression du visa»
«Nous avons discuté avec les autorités tunisiennes pour régler des problèmes liés aux visas, aux cartes de séjour et à certains litiges entre notre communauté et la police. Nous avons profité de ce forum pour négocier la suppression des visas. Nous avons également discuté avec le directeur général de Tunisair pour prévoir des vols directs entre Kinshasa et Tunis. Il faut y penser car le Congo est un grand pays, qui compte 80 millions d’habitants. Il y a donc beaucoup à faire. Nous avons demandé aux responsables tunisiens de venir investir au Congo, c’est mieux qu’ailleurs, que ce soit en Europe ou en Asie, où on ne donne rien en contrepartie».
«On est là aussi parce qu’on s’intéresse aux compétences tunisiennes dans plusieurs domaines. Nous avons réfléchi, avec nos pairs tunisiens, sur la mise en place d’une mutuelle de santé et sur un partenariat en matière d’enseignement en ligne. Nous sommes impressionnés par la formation professionnelle qui existe chez vous depuis 1960 et qui est totalement dans l’air des temps modernes, où on forme des gens pour fabriquer et consommer tunisien. Et nous, aussi, aimons consommer les marques tunisiennes».
Abdoulaye Yero Balde (ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique au Guinée Conakry) : «On a un énorme déficit de formateurs»
«Nous avons chez nous un manque flagrant d’enseignants et une vraie pénurie de formateurs alors qu’on parle en Tunisie de 22.000 enseignants de grande qualité. Nous comptons capitaliser sur notre coopération avec la Tunisie. Nous avons effectué une visite dans quelques établissements comme Dauphine Tunis et l’Université centrale et avons remarqué le très haut niveau. La formation en médecine est aujourd’hui l’une de nos priorités et surtout en ophtalmologie où la Tunisie est une référence mondiale».
Mehdi Ben Gharbia (ministre chargé des Relations avec les Instances constitutionnelles et la Société civile): «Une loi contre la ségrégation raciale»
«Depuis quelques années, il y a eu comme un abandon et il n’y a pas eu de vision. La Tunisie, appelée Ifriqiya, se trouve au sommet de ce continent et doit trouver une vision claire pour traiter certains problèmes (dont celui de l’enseignement) qui empêchent les Africains d’avancer. Le TABC, avec son président Bassem Loukil, fait un effort louable et nous devons marquer notre présence et l’accompagner. Nous (c’est-à-dire, le gouvernement avec ses ministères du Transport, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, de la Formation professionnelle et de l’Emploi, de la Santé et en coordination avec celui des Affaires étrangères, via nos représentants diplomatiques) devons mettre en place une stratégie globale. Pour ce qui est de la discrimination raciale, oui, on est au courant de ce phénomène et en sommes conscients. De mon côté, j’ai déjà préparé une loi pour la sanction et qui sera présentée au prochain conseil des ministres. Nous espérons qu’elle aidera à mettre fin à ces dépassements».
Mack-Arthur Dengane-Yopasho (président de l’AESAT) : «Pourquoi les étudiants africains boudent la Tunisie»
«Les étudiants africains en Tunisie sont confrontés aux problèmes de la carte de séjour qui leur coûte souvent une pénalité. On ne donne qu’une semaine pour réunir les papiers nécessaires, et c’est un délai très court pour avoir un contrat de location à fournir à la police. Ce qui provoque un retard et, tout naturellement, selon la loi, on doit supporter une pénalité. L’étudiant doit payer 20DT pour chaque semaine de retard, soit 80 DT par mois. Autre problème: le stagiaire, qui a une formation de 2 ans et ½, voit sa carte de séjour prendre fin au bout de quelques mois et il doit payer 960DT par an, somme qu’il n’est souvent pas capable de payer. Du coup, il reste bloqué ici en Tunisie. Il est donc temps de revoir la loi de 1968, qui ne répond plus à la réalité. La Tunisie de 1968 n’est pas celle d’aujourd’hui. Nous avons déjà recensé plus de 150 dossiers concernés par les pénalités. Dommage, car les étudiants africains, qui aiment beaucoup la Tunisie, préfèrent aujourd’hui le Maroc, qui offre une carte de séjour de plus de 2 ans. C’est vraiment dommage. Par ailleurs, et sur les différents sites web des universités, on donne des informations inexactes sur la Tunisie qui, dit-on, offre un environnement soi-disant adéquat, en précisant qu’avec seulement 400 dollars, on y vit bien. Une fois sur place, les étudiants découvrent la triste réalité. Les universités, qui annoncent sur leurs sites monts et merveilles, ne respectent souvent pas leurs promesses et tardent même à accompagner les étudiants dans leurs stages de formation».
Mondher Khanfir (vice président Think-Tank du TABC) : «Pour que la Tunisie soit une plateforme de formation des cerveaux»
«En Afrique, seulement 18% des élèves passent du lycée à la fac, alors que la moyenne mondiale est de 76%. Lorsqu’on pense que la population estudiantine du continent va doubler entre 2014 et 2020 passant de 5 à 10 millions, on dit qu’il y a une opportunité pour que la Tunisie devienne une plateforme de formation de cerveaux africains de demain. Nous devons être présents pour une fertilisation croisée en mettant notamment en place des filières pour la recherche scientifique en Afrique où le nombre de chercheurs est très faible et où on est obligé d’acheter les technologies. Nous devons penser, et on n’a pas le choix, à impulser des dynamiques de transfert des technologies et nous orienter vers la recherche pour en produire localement».
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