Youssef Chahed doit annoncer, dans quelques jours, un remaniement de son gouvernement, dont la portée sera à la mesure de la marge de manœuvre qu’il se donnera lui-même.
Par Ridha Kéfi
Même si les citoyens tunisiens ne semblent pas lui donner une grande d’importance, ce remaniement est attendu depuis plusieurs semaines par les acteurs politiques et, surtout, économiques. Et pour cause : le pays peine à sortir de la crise où il s’engouffre davantage chaque jours, alors que le gouvernement semble dépassé par l’ampleur de la tâche et à court de solutions.
Il faut dire que les pesanteurs politiques, les manœuvres et contre-manœuvres et les pressions de toutes sortes que subit le chef du gouvernement ne lui facilitent pas la mission, s’ils ne la compliquent pas et la rendent quasiment impossible.
Un fossé entre les citoyens et les dirigeants politiques
Creusement des déficits publics; aggravation des déficits extérieurs; hausse de l’endettement extérieur; aggravation du chômage, de l’inflation et des tensions sociales; difficultés de mettre en œuvre les réformes structurelles envisagées; et pour ne rien arranger, crise de confiance et fossé qui se creuse, de plus en plus chaque jour, entre les citoyens et la classe politique, et notamment les partis, qui ont montré l’étendue de leur futilité, de leur incompétence et de leur arrogance, et perdu de ce fait toute crédibilité aux yeux de leurs électeurs, déçus et écoeurés.
Voilà la situation à laquelle M. Chahed doit faire face. Or, jusque-là, les membres du gouvernement, ceux notamment qui lui ont été imposés par les deux principaux partis de la coalition gouvernementale, Nidaa et Ennahdha, ont montré leurs limites. Peu d’entre eux se sont montrés à la hauteur des défis posés et capables de mener la mission qui leur est confiée et d’améliorer la situation dans leurs secteurs respectifs.
Les partis sont des coquilles vides coupées du peuple.
Dans ce cas, faire un remaniement partiel en pourvoyant seulement les portefeuilles dont les détenteurs ont été limogés entre-temps, comme le demande Ennahdha, n’a aucun sens, car il n’apportera pas l’impulsion nécessaire pour faire repartir la machine économique par une meilleure gouvernance.
La nomination de nouveaux ministres issus des partis politiques, comme l’exige Nidaa Tounes, plus soucieux de placer ses pions dans les rouages de l’Etat que d’assurer la relance économique, n’a pas plus de sens, à nos yeux, car les partis, et surtout Nidaa, ont été désertés par les hommes compétents, intègres et patriotes, et sont aujourd’hui des nids d’opportunistes, incompétents et souvent impliqués dans des affaires sales, et qui cherchent à se couvrir.
Vers un gouvernement de combat
Face à cette situation, M. Chahed n’a pas le choix : au risque de mécontenter les deux partis majoritaires à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), il doit constituer un gouvernement de combat, composé d’hommes et de femmes alliant compétence, intégrité et patriotisme, qui n’ont d’autres soucis que de servir leur pays et de le sortir de l’ornière de la crise et de lui éviter une banqueroute déjà annoncée.
Ces hommes et ces femmes, il n’en existe malheureusement pas beaucoup dans les partis, aussi faut-il les chercher, en partie dans l’administration publique et en partie dans la société civile.
Outre l’expertise technique de leurs secteurs respectifs et la connaissance des arcanes de l’administration publique, ces nouveaux ministres doivent avoir des qualités de meneurs d’hommes et de femmes : charisme personnel, esprit d’équipe, don de persuasion (car ils vont devoir mettre en route des réformes douloureuses) et, surtout, capacité d’imagination et d’innovation en matière de gouvernance, car ils ne pourront pas faire bouger les lignes et faire redémarrer une machine grippée avec les méthodes éculées de la bureaucratie tunisienne, conservatrice, plus soucieuse de ses prérogatives que de l’intérêt général, et avançant souvent à pas de tortue.
Ces hommes et ces femmes, dont la Tunisie a besoin, aujourd’hui, pour se redresser, M. Chahed aura beaucoup de mal à les trouver dans l’entourage de Hafedh Caïd Essebsi et de Rached Ghannouchi. Aussi doit-il avoir le courage d’admettre cette réalité et d’en tirer la leçon qui s’impose.
Le couple infernal Nidaa-Ennahdha a déjà fait beaucoup de mal à la Tunisie.
En tant que chef de gouvernement, principal responsable de la gestion des affaires publiques (c’est lui qui devra, au final, rendre des comptes, et non Hafedh Caïd Essebsi ou Rached Ghannouchi), il doit passer outre les conseils très intéressés de ces deux larrons et ne se fier qu’à sa propre appréciation de la situation dans le pays, de ses priorités et de ses urgences, qu’il connaît mieux que quiconque.
Dans la composition de son nouveau gouvernement, il ne doit aussi se fier qu’à son propre jugement des hommes et des femmes capables de lui apporter le plus souhaité. Car la Tunisie, qui a déjà touché le fond, ne peut plus continuer à être mal gouvernée par des gens imposés par des partis politiques sur la base de calculs partisans, d’intérêts sectaires, de népotisme voire même de corruption.
Mettre le parlement devant ses responsabilités
M. Chahed doit être, également, en mesure de justifier ses choix, d’expliquer les critères qu’il a retenus pour nommer l’homme (ou la femme) qu’il faut à la place qu’il faut, et d’exiger de la représentation nationale qu’elle se mette au niveau des défis auxquels fait face actuellement la Tunisie en laissant de côté les calculs politiciens de courte vue.
Si, ces explications faites, les députés de la majorité oseraient ne pas lui accorder leur confiance, ce seraient eux qui se mettraient en porte-à-faux par rapport aux intérêts supérieurs de la nation et devraient faire face aux questions (c’est un euphémisme) que ne manqueront pas de leur poser les Tunisiens et les Tunisiennes.
Par ailleurs, la crise qui découlerait d’une pareille fin de non-recevoir, on préfère ne pas l’imaginer, car elle pourrait projeter le pays dans l’inconnu…
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