La diplomatie économique a récemment fait l’objet de plusieurs manifestations publiques et décisions institutionnelles. Mais cette pratique est encore balbutiante en Tunisie.
Par Khemaies Krimi
Ainsi, la traditionnelle Conférence annuelle des chefs de missions diplomatiques (24-28 juillet 2017) a été organisée, cette année, sur le thème : «Diplomatie économique: l’exemple de la coopération tuniso-africaine».
Un mois et demi après, la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect), seconde organisation patronale après l’Utica, a organisé, le 14 septembre un déjeuner-débat sur le thème : «Diplomatie économique : réalité et perspectives».
Au plan institutionnel, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a mis à profit, le remaniement partiel de son cabinet, le 13 septembre, pour créer deux secrétariats d’Etat, l’une dédiée à la Diplomatie économique relevant du ministère des Affaires étrangères, et l’autre chargée du Commerce extérieur relevant du ministère du Commerce.
En somme, officiels et privés, conscients du rôle impératif que peut jouer l’internationalisation des entreprises tunisiennes dans la conquête des marchés de proximité (Maghreb arabe, Afrique et monde arabe), eu égard l’exiguïté du marché tunisien, ont échangé, au cours de ces manifestations, informations, idées et expertises sur la stratégie à adopter en commun pour pénétrer ces marchés.
Chahed à l’ouverture de la conférence de chefs de missions diplomatiques.
Un débat décevant
Un mot sur la qualité du débat instauré à cette occasion, qui a été le moins qu’on puisse dire décevant et frustrant.
Décevant en ce sens où les intervenants se sont souvent contentés de tenir un discours nostalgique sur l’âge d’or qu’avait connu, selon eux, la diplomatie économique tunisienne en Afrique sous le règne de Bourguiba, notamment dans les années 1960-1970. Ils ont également regretté qu’on n’ait pas su profiter du mouvement de sympathie suscité dans le monde par le soulèvement des indignés, un certain 14 janvier 2011, et l’attribution du Prix Nobel de la Paix au Quartet du Dialogue national, en 2015.
Cette nostalgie a été improductive car elle n’a pas été accompagnée par la proposition de nouvelles pistes à explorer pour reconquérir ce qui a été perdu.
Décevant également dans la mesure où officiels et chefs d’entreprises ont eu cette fâcheuse tendance à réclamer plus de moyens, animés par cette mentalité du «toujours plus sans contrepartie». Ainsi, les patrons, éternels chasseurs de primes et de subventions, veulent-ils que l’Etat prenne en charge les frais de leurs déplacements et séjours à l’étranger.
Quant aux diplomates, censés servir d’éclaireurs et de facilitateurs, même avec les moyens de bord, à travers des missions de veille et d’information stratégique, ils veulent, eux aussi, des budgets conséquents pour mener des opérations d’intelligence économique et de lobbysme efficaces à même de permettre aux entreprises tunisiennes de grignoter des parts de marchés extérieurs.
L’heure était donc plus à la revendication de plus de moyens qu’aux propositions constructives et à l’action.
Un débat frustrant
Ce débat est frustrant parce qu’il n’a pas abordé les véritables problèmes qui entravent le processus d’internationalisation des entreprises tunisiennes. Parmi ces problèmes, deux méritent qu’on s’y attarde.
Le premier porte sur l’incapacité des entreprises tunisiennes à fabriquer des produits et à proposer des prestations présentant un rapport qualité/prix compétitif à même de forcer le goût et à répondre aux besoins du consommateur étranger.
Pour preuve, la Tunisie, par l’effet de conventions de libre échange mal négociées avec des zones économiques (Union européenne, Turquie, pays membres de l’OMC) est confrontée, aujourd’hui, à un déficit commercial abyssal, soit plus de 10% du PIB (105 milliards de dinars tunisiens). Et la raison en est simple : les entreprises tunisiennes n’exportent pas assez parce qu’elles ne produisent pas assez en quantité et, surtout, en qualité.
Si on prend l’exemple de l’Afrique, les trois services qu’on peut placer sur ce marché sont le tourisme médical, l’enseignement supérieur et l’expertise (bureaux d’études…). Ces trois services n’ont pas besoin de gros investissements publics puisqu’ils sont produits en Tunisie et puisque les prestataires sont assez nantis et ne demandent pas généralement des incitations fiscales et financières pour aller s’implanter à l’étranger.
Quant aux produits manufacturés et autres services (bancaires, télécoms…), les entreprises tunisiennes doivent cravacher dur pour atteindre le niveau de leurs concurrentes marocaines, turques et égyptiennes. Ces dernières ont commencé, pourtant, à conquérir l’Afrique à partir de l’an 2000.
Même pour les produits agricoles et agroalimentaires, la Tunisie est appelée à déployer de gros efforts en matière de rapport d’accroissement de la production (extension des superficies de production, amélioration des rendements…) et de rapport qualité/prix pour pouvoir tenir la concurrence avec les Turcs et les Egyptiens.
Pourquoi intégrer la Cedao, si l’échec est à l’horizon ?
Le deuxième problème réside dans l’inexistence, en Tunisie, d’experts compétents, capables de négocier dans l’intérêt réel de la Tunisie, les accords de partenariat et de libre échange.
Pour le cas du marché africain, des observateurs avertis de l’économie tunisienne craignent déjà les retombées négatives de l’adhésion de la Tunisie, avant la fin de l’année 2017, à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
A défaut d’une approche claire de la capacité réelle de la Tunisie à conquérir de nouveaux marchés, notre pays, qui n’a pas vraiment de produits de qualité exportables, risque de connaître de nouveaux déficits.
Nous suivrons de près le retour d’investissement de la logistique qui sera mise en place pour mener à terme ce projet d’intégration: ouverture de deux nouvelles ambassades (une à Ouagadougou, Burkina Faso, et une autre à Nairobi, Kenya) ainsi que cinq représentations commerciales dans les pays de l’est, de l’ouest et du centre de l’Afrique.
Parallèlement, la compagnie aérienne Tunisair ouvrira sept nouvelles lignes aériennes pour desservir le Bénin, le Soudan, le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Nigeria et la Guinée.
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