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Médecine tunisienne : Entre appât du gain et respect de la vie humaine

L’effort entrepris par les médecins est nécessaire mais insuffisant, c’est l’Etat qui doit imposer les mesures nécessaires à la sauvegarde de la vie humaine.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le public est sans doute las d’entendre parler de toutes les insuffisances et dérives dont l’exercice médical, et paramédical, sont désormais le théâtre. Il veut probablement croire que là où il confie sa santé et sa vie, il puisse le faire en toute confiance, et il veut plus que tout oublier le scandale des stents périmés qui, il n’y a pas si longtemps, avait défrayé la chronique.

Contre les oracles, et d’une manière surprenante, ce même public continue de faire confiance à ceux toujours impunis quoique condamnés par leur ordre professionnel pour des manquements graves à leurs obligations professionnelles et actuellement en butte à des poursuites judiciaires, pour avoir aussi abusé de la confiance de leurs patients.

Des choses à se faire pardonner

Chez nous, en Tunisie, le bon médecin est aussi celui qui s’est assuré une emprise irréversible sur les esprits. On n’avait cessé de répéter il n’y a pas si longtemps que la médecine dans ce pays était la meilleure du continent et qu’elle occupait une place très honorable au niveau mondial.

Récemment, le 37e Congrès national de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (Djerba, 23-25 novembre 2017) avait fait le plein, à de rares exceptions près, ceux qui ne sont pas dans les bonnes grâces du complexe médico-commercial dominant, et qui, comme à leur habitude, ne sont jamais invités.

De nombreux hôtes étrangers avaient fait le déplacement, et de nombreuses conférences ont été vidéo-retransmises, en live streaming.

Bref, eu égard aux échos reçus sur les pages Facebook, il semble bien que le brain-trust de la Société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (STCCCV) ait fait les choses en grand, le décor était grandiose, et apparemment les fournisseurs qui ont beaucoup à se faire pardonner, ainsi que les sociétés pharmaceutiques, ont accepté cette année de bonne grâce de mettre la main au porte feuille, sans doute pour essayer de réanimer une spécialité qui avait été pendant longtemps le porte-drapeau de la médecine tunisienne, sa poule aux œufs d’or, qui a certes perdu beaucoup de plumes depuis qu’elle a été rattrapée par les affaires.

Des efforts certes louables, qui associés au travail entrepris pour investir les congrès anglophones les plus prestigieux devrait donner ses fruits en terme de renommée. Mais, il ne faut jamais oublier la sagesse médicale, et celle-ci depuis des lustres prétend que la médecine se pratique et s’apprend au chevet du malade. Et c’est justement là que le bât blesse.

Les fondements de la pratique médicale exigent le respect des règles de l’hygiène. Or force est de constater que celles-ci ne sont très fréquemment plus respectées. J’en ai encore une fois eu la confirmation par une jeune infirmière qui venait d’installer une Braunüle dans la veine d’une patiente, en avait retiré le mandrin, et faute de haricot, ne trouvant où le poser, n’eut d’autre réflexe que de le planter dans le cuir de la table d’examen en violation de toutes les règles d’asepsie, dans un établissement de la banlieue nord qui affichait pourtant complet.

La banalisation des erreurs

La multiplication et la banalisation de ce genre de pratiques prouve un manque de volonté évident des personnes concernées, en premier lieu les directions médicales et les médecins, de mettre un terme à ce genre de pratiques. Si une infirmière donne désormais libre cours à des manquements graves à ses devoirs sous les yeux des médecins, que dire alors de ce qui puisse se passer lorsque ceux-ci sont occupés ailleurs, comme c’est le cas la plupart du temps?

Les fautes, mêmes dénoncées, sont très souvent tolérées parce que les surveillants, ou les administrations des cliniques, pour des raisons propres, ou de commodité, et de disponibilité du personnel, préfèrent fermer les yeux, et il est beaucoup plus coûteux d’embaucher des agents expérimentés et compétents, qu’un personnel débutant que sa situation d’intérimaire ainsi qu’un très bas salaire, ne motivent que rarement.

C’est ainsi que sous prétexte de fournir du travail aux jeunes, l’Etat finance un système qui permet aux cliniques de réaliser des économies substantielles sur les charges sociales, mais qui en retour entretient la médiocrité et se révèle morbigène.

Il y a certes ces derniers temps une campagne entreprise par le ministère de la Santé publique afin de mettre fin aux activités illégales mais tolérées depuis des années, du personnel paramédical de la fonction publique, dans les établissements privés; un personnel très souvent efficace et expérimenté, certes, et dont le départ ne fera qu’aggraver le glissement fâcheux en terme de qualité du service. Mais rien ne dit que ce ne soit là qu’un feu de paille.

Abstraction faite des spectacles grandioses dans les îles paradisiaques savamment montés par les sociétés savantes à la gloire d’Apollon et d’Esculape, la médecine nationale ne gagnera jamais ses lettres de noblesse à l’échelle internationale, ailleurs que dans une pratique professionnelle optimale conforme aux normes ayant cours dans les pays les plus évolués. Et c’est, malheureusement, le culte de Pluton, l’esprit du lucre et l’appât du gain facile, au nom d’illusoires équilibres financiers comme cela a toujours été le cas, qui dans les établissements privés empêcheront plus que tout la pratique médicale de recouvrer ses lettres de noblesse, en lui imposant l’inévitable tribut à la médiocrité et malheureusement, plus que tout, à Hadès.

L’effort donc entrepris par les médecins pour redresser la barre et redorer le blason de la profession, est certes nécessaire et louable. Mais il demeurera toujours insuffisant tant que les pouvoirs publics ne se décideront pas à imposer d’une main ferme les mesures nécessaires à la sauvegarde de la vie humaine, et à la bonne notoriété de la médecine dans le pays et à travers le monde.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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