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Diviser pour régner ou la géopolitique du chaos au Moyen-Orient

Le monde arabo-musulman est quasiment divisé en deux blocs opposés. La Tunisie tente vainement d’échapper à cette géostratégie du chaos.

Par Ezzeddine Kaboudi *

Le capitalisme mondialisé moderne, en situation de crise, se nourrit de répression, de conflits et surtout de guerres. Il a toujours besoin d’entretenir la tension dans les régions du monde pour perdurer et pour faire tourner ses machines de guerre à pleine capacité. Les industries d’armement, de police et de maintien de la sécurité génèrent chaque année un commerce de 2500 milliards de dollars. Dès qu’un foyer est éteint, un autre est aussitôt allumé. Mais cette fois ce n’est pas à un embrasement ou un brasier auquel nous devrons nous préparer, mais plutôt à une tempête de feu et de sang.

«Rendre sûre l’insécurité»

En effet, aussitôt, la guerre contre l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech) pliée, un autre conflit est aussitôt ravivé et remis sur la sellette. Cette fois encore ce sont les pays arabes du Moyen-Orient qui devront avoir la primeur.
Jouant sur la division chiite/sunnite et sur le clivage burlesque et absurde qui sépare les Frères musulmans/les Wahhabites/et les réformateurs, l’on commence à voir poindre les deux clans rivaux qui se forment et se déforment au gré des vents et qui se mettent en place pour le dernier assaut : le premier groupe le Qatar, l’Iran et la Turquie et le second groupe rival les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et l’Egypte.

Mais, comment en sont-ils arrivés là ?

Il semble que les Etats Unis, Israël et la Russie y sont pour quelque chose, il en va de leurs intérêts.

En fait, selon Jeff Halper, de tout temps, les économies fortes du Global North essaient de dominer, ou de déformer ou de détruire les économies faibles du Global South. Cette stratégie semble jouer un rôle clé pour le maintien en place les élites dans les pays des grandes puissances. La tactique, cette fois, c’est la pacification des pays du Sud, en instaurant un climat d’insécurité diffus que les gouvernements espèrent dissiper en recourant à l’achat massif d’armements de plus en plus sophistiqués. C’est la nouvelle trouvaille des puissances coloniales qui fait partie intégrante de la stratégie de l’accumulation par dépossession et qui s’est donné comme devise : «rendre sûre l’insécurité».

Le Moyen-Orient dans la course à l’armement

Pour s’en convaincre, il suffit de voir les contrats d’armements passés et révélés publiquement aux médias par ces deux groupes de belligérants depuis 2014 :

• Le mégaprojet de ventes d’armements à l’Arabie Saoudite par les Etats-Unis (350 milliards de dollars sur 10 ans).

• Pendant une période de 20 ans, les Etats-Unis livreront des armements à l’Arabie saoudite et les autres pays arabes du golfe Persique, pour un montant de 20 milliards de dollars. Parallèlement, les Etats-Unis vont livrer au régime sioniste et à l’Égypte des armements pour un montant de 42 milliards de dollars. Suite à la vente d’armements au royaume saoudien, les Etats-Unis se sont engagés à livrer des avions F-22 au régime sioniste, ces avions sont capables d’absorber les ondes radar.

• En 2014, le Qatar achète pour 11 milliards de dollars d’armements aux Etats-Unis. Un contrat pour l’achat de missiles Patriot américains (Raytheon) et d’hélicoptères d’attaque Apache.

• En 2017 les Émirats arabes unis ont signé 21 contrats d’armement d’une valeur de plus de 1,2 milliard de dollars, à l’ouverture du salon de l’armement IDEX, le plus important du Moyen-Orient. Ces contrats ont été conclus pour renforcer les forces navales et terrestres des Émirats.

• Dassault Aviation France a vu son carnet de commandes en 2016 bondir de 113 % en 2016 grâce aux contrats à l’exportation du Rafale, acheté par l’Égypte (5,2 milliards d’euros) et par le Qatar (6,3 milliards d’euros).

• La Russie et l’Iran ont conclu un accord pour la vente d’environ 10 milliards de dollars d’armes (9,3 milliards d’euros), dont principalement des chars d’assaut T-90 et différents modèles d’avion.

C’est tout à fait hallucinant, les pays du Moyen-Orient se laissent, aujourd’hui, entraîner dans la course à l’armement la plus folle de l’histoire du monde et la plus ruineuse. Pourtant, jusqu’à maintenant le conflit entre les deux belligérants était sous-traité ou plutôt délocalisé. Il était mené par alliés interposés et sur des terrains éloignés. Au Yémen, nous avons les Houthis contre la coalition menée par l’Arabie saoudite. En Libye le Général Khalifa Haftar soutenu par l’Egypte et opposé à la fois à l’homme fort de Tripoli Abdelhakim Belhaj et au chef des Frères Musulmans Mohamed Sawan. Et enfin en Tunisie, c’est entre partis politiques que le duel est à mort, et en simplifiant assez grossièrement on a Ennahdha contre Nidaa Tunes, ou plus schématiquement encore islamistes contre modernistes.

Lune de miel et séparation à l’amiable

Sauf qu’en Tunisie, les choses ont pris une autre tournure… Au lieu de se livrer comme attendu à un combat sans merci, les deux principaux partis ont eu la fâcheuse idée de s’allier et de former un bloc commun. Une alliance contre-nature, se sont aussitôt écriés les uns et les autres. Soit vous êtes avec nous soit contre nous, disait W. G. Bush. C’est noir ou blanc. On ne peut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

Du coup, tous les ponts ont été coupés au gouvernement tunisien. Plus d’aides directes au pays et plus d’investissements ni de projets. Niet disent les Russes. Il fallait bien évidemment s’y attendre. Après avoir vendu le pays au plus offrant, on ne peut chercher à le récupérer.

Maintenant que le conflit est ouvertement déclaré entre les deux groupes belligérants, voilà que les deux principaux partis tunisiens décident de mettre fin à leur lune de miel et de séparer à l’amiable.

Est-ce une stratégie de parade du moment dictée par l’impératif des prochaines élections municipales, comme ils ne cessent de le répéter, pour le seul bien de la Tunisie (sic) ou bien est-ce les nouvelles consignes fermes dictées par l’un des deux bailleurs de fonds.

Seul l’avenir nous le dira.

*Universitaire.

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