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Comment en finir avec la «dictature» des partis politiques ?

L’ingérence paralysante des partis empêche le gouvernement de mettre en place les programmes socio-économiques nécessaires. Que faire ?

Par Ezzeddine Kaboudi *

Le remaniement annoncé le 6 septembre 2017 donnera-t-il un second souffle à la vie politique et économique de la Tunisie ?

La plupart des gens se montrent sceptiques à ce sujet, et n’y voient que le résultat d’une alliance stratégique contre-nature, qui laisserait supposer une nouvelle et ultime redistribution de cartes entre l’ensemble des acteurs de l’échiquier politique.

Ce n’est sûrement pas la meilleure manière de faire, alors que la Tunisie est empêtrée dans une récession persistante.

Le problème est plus profond. Une partie de la réponse trouve son origine dans le manque de volonté politique pour traiter ces questions et entreprendre les actions qui s’imposent en matière d’administration publique, de l’économie, de la santé, et de l’éducation. On n’arrive pas à faire en sorte que l’on puisse aller au fond des choses.

Il est particulièrement inquiétant de constater que le gouvernement paralysé ne peut mettre en place les programmes sociaux nécessaires. L’ingérence lancinante des partis politiques y est pour quelque chose. Toute action est soumise à l’accord préalable difficile à obtenir sans tractations, négociations et renégociations. Plaire aux uns et aux autres c’est la devise quotidienne du chef du gouvernement, en proie à la lassitude et au désenchantement. On ressent toutes les pressions qu’il subit et toutes les difficultés qu’il a pour mener à bien les programmes d’action, à assainir la situation et à résoudre les problèmes impérieux… Mais, peut-on blâmer à un chef de gouvernement qui a les mains liées d’être un piètre administrateur? Certainement pas, «la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a».

Jusqu’à quand le chef du gouvernement doit-il subir les diktats d’un Nidaa en miettes…

Les réformes se sont arrêtées au bas de la porte

Il faut bien se résigner à admettre, que le chef du gouvernement ne peut, manifestement, agir sur les gros dossiers, ni sur les problèmes de fond sans s’exposer comme ses prédécesseurs à des représailles. C’est que les partis et ceux qui les dirigent ont pignon sur rue en Tunisie. Ils font de leur mieux pour gêner et embarrasser le gouvernement à la moindre occasion.

On voit clairement que le gouvernement n’a pas le courage de faire ce qu’il est censé faire. Il est ankylosé par la peur et refuse de prendre ses responsabilités morales et juridiques.

Les gens avertis se disent que c’est la «paralysie totale» et se demandent que faire pour que des dispositions expresses soient prises pour empêcher le blocage du processus décisionnel du gouvernement.

Entre-temps, nous assistons passifs au déclin de la Tunisie. Aujourd’hui, notre pays décroche, tous les indicateurs sont au rouge vif et en l’état actuel aucun homme providentiel ne pourra nous sauver. Le chômage explose, les déficits se creusent encore, la valeur du dinar dégringole et le pouvoir d’achat se réduit comme peau de chagrin.

La représentativité, c’est un leurre bien entretenu

La transition démocratique, bien que complexe, devait permettre aux citoyens tunisiens de prendre eux-mêmes les décisions concernant la gouvernance de leur pays, à l’instar de la Grèce antique où l’on faisait usage véritable de la démocratie. On nous disait que la démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Nous en sommes loin !

Le pouvoir est confisqué par une élite qui se bat pour le garder par tous les moyens. Il est entre les mains d’une grappe d’hommes désabusés, poussés par l’instinct de cupidité et par un impérieux besoin de se l’accaparer. La représentativité a opéré une sélection bien contrefaite mettant au-devant de la scène les individus les plus débrouillards, les plus futés. Ce sont toujours les mêmes qui se partagent l’essentiel des postes clés.

Il faut le reconnaître, les candidats ont abusé de la crédulité du peuple, qui devait quand même faire bonne figure devant ceux qui promettaient monts et merveilles à coup de beaux discours. Pourtant, les mêmes paradent toujours sur le devant de la scène médiatique et promettent encore monts et merveilles.

Il faudrait savoir qu’il n’y a plus rien à espérer, plus rien à attendre de ces personnes. Cette classe politique n’est, donc, plus digne de nous représenter, ni en capacité à nous gouverner. La Tunisie est devenue une sorte d’arène fermée où l’on s’affronte pour la quête du pouvoir. C’est la tarte aux pommes à partager et l’on voit les oiseaux de malheur et de mauvais augure qui rôdent autour de la table. Manifestement on s’est fait avoir comme des bleus.

Mais, où se situe précisément le problème ?

En fait, ce qu’attendent les Tunisiens, ce n’est pas qui gouverne, c’est tout simplement que l’on permette au gouvernement de gouverner, de réformer et de relancer la Tunisie, que l’on puisse mettre en œuvre des politiques efficaces, qui créent de la richesse, de l’emploi, de la justice, de la solidarité. Voilà ce qu’ils demandent.

Le défi en Tunisie est, donc, totalement différent. Il est beaucoup plus profond. Il s’agit aujourd’hui de se demander s’il «existe une sorte de dynamique spontanée qui porterait les partis politiques et les hommes qui les dirigent à s’unir pour rechercher l’intérêt commun ? Autrement dit, comment assurer l’action des partis politiques vers un objectif commun et d’intérêt général ? ou bien, comment doter la Tunisie d’une «machine politique» efficace qui permettrait enfin d’assurer la cohésion politique et sociale, et de gérer des obstacles et des ennemis bien décidés à mettre des bâtons dans les roues et à faire dévier la Tunisie de sa route.

Selon Olson, l’existence d’autonomie des groupes d’acteurs fait normalement obstacle à l’action collective et ne lui permet pas de se manifester spontanément et volontairement pour le bien commun. Un groupe d’individus qui, normalement, trouverait avantage à se mobiliser et à coopérer peut parfaitement ne rien faire. C’est le paradoxe du free rider ou du cavalier seul. C’est, certes, consternant, mais c’est normal… C’est propre à la nature humaine.

C’est pourquoi le Saint Coran nous demande d’en finir avec cette situation et d’en finir surtout avec les partis politiques, du moins réduire leurs nocivités. Notre malheur vient, donc, de ces partis politiques et de la logique électorale adoptée. Les juristes du droit constitutionnel nous ont, manifestement, induit en erreur, nous ventant les mérites d’un système politique hybride sans goût ni saveur, insipide qui nous a faits, certes, sortir du diktat d’un seul homme et du culte de la «personnalité providentielle», mais pour nous mettre sous le joug sans merci de seuls partis politiques et de leurs représentants insatiables.

L’objectif serait, donc, d’imposer un changement de modèle de gouvernance et la mobilisation de l’action collective politique pour assurer la coopération de toutes les parties prenantes.

… et d’un Ennahdha à l’agenda mystérieux ?

Alors, quelle est la vraie alternative?

Référons-nous une fois de plus au Saint Coran, qui nous nous met en garde contre la division et la discorde et qui nous révèle que les forces de la division et de la balkanisation ne sont mues que par des intérêts purement mercantiles (sourate Az-Zukhruf/L’ornement), ou par la quête éphémère du pouvoir (sourate Ad-Dukhan/La fumée) ou par l’orgueil et la vanité (sourate Al Jathiya/L’agenouillée).

Le Saint Coran nous recommande trois mécanismes pour sortir de l’ornière. Les mêmes mécanismes nous sont proposés également par H. Mintzberg dans sa théorie de la coordination et de la cohésion sociale. Il s’agit de :

• L’ajustement mutuel (solution à court terme) par la recherche de compromis dans les décisions d’ordres stratégique et politique. Il s’agit de trouver un consensus, ou un terrain d’entente entre les partis politiques pour la gouvernance du pays. Et, c’est manifestement le mécanisme que nous avons retenu en Tunisie dès que nous avons pressenti les premiers signes de la division et de la discorde entre les partis politiques.

Cela nous a valu le prix Nobel de la Paix 2015 qui est venu récompenser le Quartet menant le dialogue national en Tunisie. Les jurés norvégiens ont, ainsi, rendu hommage à une structure issue de la société civile tunisienne qui a poussé à l’union et qui a permis de sauver provisoirement une transition démocratique qui menaçait d’avorter, deux ans et demi après le fameux «printemps» de 2011.

Ce mécanisme de coordination a été à nouveau déclenché pour instituer un gouvernement d’union nationale, et ce en invitant les différents partis politiques à adhérer au Pacte de Carthage. Sauf, que démocratie représentative et gouvernement d’union nationale sont incompatibles, c’est même un paradoxe contre nature.

Au reste, peut-on encore rallier tout le monde à une même finalité ? Le Saint Coran nous laisse entendre dans la sourate Al Ahqaf, qu’on ne peut réunir tous les gens sous une même bannière et qu’il y aura toujours des récalcitrants qui chercheront la division et non l’union.

• La supervision directe (solution à moyen terme) est le mécanisme de coordination par lequel une personne se trouve investie de la responsabilité de diriger le pays. Il s’agit d’un leader ou d’un meneur ayant la capacité de mobiliser les individus et de susciter leur participation volontaire pour l’atteinte d’objectifs de la communauté. Aussi, la bonne marche de la Tunisie dépendra beaucoup, chez celui qui la dirige, de sa vision saine des choses, de la connaissance qu’il a de lui-même et de son sens personnel de l’équilibre. C’est pourquoi la sourate Mohammed nous demande de prendre pour modèle de conduite et de gouvernance le prophète Mohammed, comme elle promet, également, à ceux qui le suivent dans sa démarche des victoires éclatantes (sourate Al Fath/La victoire éclatante).

Du coup, le régime présidentiel semble le plus approprié pour la Tunisie.

C’est un régime politique représentatif fondé, de par sa constitution, sur une stricte séparation des pouvoirs, exécutif, législatif, et judiciaire. Le pouvoir exécutif est entre les mains du chef de l’État (le président), généralement élu au suffrage universel.

Il faut, cependant, résoudre un problème de taille, c’est celui du manquement aux engagements et à la parole donnée par le président de la République avant son élection. Par manquement aux engagements et à la parole donnée, nous signifions l’inquiétude qui résulte du non-respect des promesses ou des serments donnés par la personne élu. Un tel engagement de la parole donnée est souvent appelé par les économistes relation d’agence.

En fait, la relation citoyens-élu du peuple, de par sa nature, pose problème dans la mesure où les intérêts personnels sont divergents. Cette situation particulière est désignée par risque moral et se manifeste par le manquement du partenaire principal (le président) opportuniste à ses engagements contractuels, obligeant les autres partenaires (citoyens) à des nouvelles négociations. D’où, toute la problématique que l’on peut évoquer, d’une manière un peu triviale, à partir des interrogations suivantes : Comment, se prémunir contre l’opportunisme du président élu et bien même contre son incapacité et son incompétence à gouverner ?

Comment fixer les mécanismes de fonctionnement des institutions de l’État de façon à éviter que les intérêts du président de la République ne prennent le pas sur ceux de ses citoyens ? Cela revient à se demander comment mettre en place un système de contrôle qui limite ou encadre le risque d’opportunisme qui pourrait découler du comportement outré du président élu. Le peuple peut-il rester toujours seul maître et seul détenteur de la souveraineté et de l’autorité ? Ou bien doit-il vivre continuellement dans l’angoisse de devoir endurer ses mauvais choix ? Le peuple peut-il revenir sur ses décisions et le cas échéant révoquer celui qui le gouverne ? Bref, la légitimité de la rue prévaut-elle sur celle de l’urne ?

• La standardisation des comportements par la moralisation de la vie politique (solution de long terme). C’est, d’ailleurs, l’objet de la sourate Al-Houjourât qui traite à travers l’exemple de la vie politique et sociale du prophète Mohammed de la civilité politique envers les dirigeants et envers les membres de la communauté. Elle nous recommande d’entretenir les règles de bonnes manières entre les membres de la classe politique.
Enfin, il faudrait que chacun comprenne que la vie en communauté suppose inévitablement le respect et la recherche de compromis dans nos choix et nos décisions. Et, c’est de l’ordre de la responsabilité des partis politiques… mais cela demande une conscience, un engagement considérable et surtout beaucoup de temps.

* Universitaire, docteur en management.

 

 

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