Parce que le sport est un important vecteur de blanchiment de capitaux et d’évasion fiscale, la Tunisie est appelée à prendre des mesures préventives sérieuses dans ce domaine.
Par : Walid Balti *
Le Parlement européen à officiellement classé la Tunisie sur la liste noire des pays susceptibles d’être exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.
Cette décision devrait régler les pendules de l’activité gouvernementale, loin des camouflets diplomatiques et des déclarations irresponsables de certains… responsables, qui gaspillent leur énergie et leur salive pour faire croire à l’opinion publique que le blacklistage, devenu le lot de la Tunisie, est un héritage des erreurs commises par les précédents gouvernements. Ici, nous disons stop, car même si cela était vrai, le gouvernement Youssef Chahed n’a pas réussi à nous éviter cette issue que, par ailleurs, on voyait venir depuis juillet 2014.
Il est encore temps pour rattraper le temps perdu
Nous ne doutons pas de la volonté de ce même gouvernement de contenir les effets néfastes de la décision du Groupe d’action financière (Gafi), l’organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui a inspiré le dernier blacklistage de la Tunisie par le Parlement européen, grâce à la technicité et à l’expertise des hommes et des femmes de la Tunisie, chacun dans son domaine, chapeautés par un chef de gouvernement avisé et vigilant.
Nous n’ignorons pas non plus les efforts législatifs consentis par la Tunisie dans ce cadre, notamment la Loi organique n° 26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent, qui s’inscrit au cœur de la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent et le démantèlement des systèmes mafieux dans divers domaines.
Nous devons, cependant, admettre que ces efforts n’ont pas atteint tous les secteurs, à commencer par celui du sport, qui est officiellement considéré, selon un rapport édité par le Gafi en juillet 2009, comme un vecteur de blanchiment d’argent et autres infractions comme le trafic d’êtres humains, la corruption, le trafic de drogue (dopage) et l’évasion fiscale.
Le sport peut, en effet, être utilisé par des criminels pour blanchir les produits de la criminalité ou pour perpétrer des activités illégales. Et contrairement à d’autres entreprises, ce n’est pas toujours la rentabilité qui rend le sport attrayant pour les criminels. Les connexions que ces criminels à cols blancs cherchent à avoir avec le sport ne sont pas seulement motivées par l’envie de gagner de l’argent. La recherche du prestige social et politique est une motivation qui les pousse à apparaître comme des notables respectés par la société, et ce grâce à la fréquentation des cercles de célébrité sportive et à l’association à des personnalités politiques rattachées aux sports (ministres, secrétaires d’Etat, présidents de fédérations sportives, etc.).
Le sport comme vecteur de criminalité financière
Au-delà des risques que le rapport du Gafi a déjà identifiés et qui sont liées à la propriété des clubs et des joueurs de football, au marché des transferts, aux paris sportifs, aux droits liés à l’image et aux contrats de sponsoring et de publicité, un sujet mérite une attention particulière en Tunisie. Il s’agit des sites étrangers de paris sportifs en ligne, connus sous le nom Planet-win et Bet 365, qui peuvent constituer des moyens de blanchiment de capitaux via des transactions en monnaie étrangère, dans un marché de change parallèle qui impose, aujourd’hui, un taux de l’ordre 1 euro = 4,57 dinars tunisiens (TND). On imagine l’important manque à gagner que ces transactions représentent pour l’Etat en termes de recettes fiscales, ou des effets négatifs ressentis sur les recettes de la société Promo-sport, que les rigidités empêchent de suivre les changements et de réaliser le saut qualitatif souhaité, en faisant la différence entre paris prohibés et illégaux et paris concurrentiels. L’absence d’un cadre juridique clair organisant cette activité est, aujourd’hui, une évidence en Tunisie. Et en l’absence de ce cadre, tous les abus (évasion fiscale, blanchiment d’argent, etc.) pourront se poursuivre et jeter ainsi le discrédit sur l’ensemble du système de contrôle financier en Tunisie.
Dans ce contexte, nous appelons madame la ministre de la Jeunesse et des Sports à œuvrer pour la mise en place, dans le meilleur délai, d’un dispositif préventif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur sportif, avec des mécanismes clairs et opérationnels, compatibles avec la stratégie du gouvernement dans ce domaine, en suivant les précieuses instructions du rapport du Gafi cité plus haut. Car la criminalité financière dans le domaine du sport, comme dans les autres, ne saurait être combattue par les gesticulations d’un brave Don Quichotte.
* Juriste.
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