Pour l’auteur de cette tribune publiée par le ‘‘Washington Post’’, la Tunisie est la plus brillante réussite du monde arabe. Pourtant, regrette Andrew Miller, «l’administration Trump ne semble pas s’en rendre compte.»
Par Andrew Miller *
Pour la deuxième année consécutive, le président Trump propose de réduire sensiblement l’aide américaine à la Tunisie, l’unique pays du Moyen Orient et d’Afrique du nord qui a résolument opté pour la démocratisation. Diminuer cette assistance de plus de la moitié – de 185,4 millions à près de 80 millions de dollars – envoie le message clair que la Tunisie importe peu à Trump.
Être la success story du Printemps arabe n’arrange pas les choses
Pour être honnête, il faut tout de même reconnaître que, l’an dernier, l’ex-secrétaire d’Etat Rex Tillerson a qualifié la Tunisie d’«important partenaire» et son adjoint, John Sullivan, a exprimé «la fierté des Etats-Unis de soutenir les efforts de la Tunisie visant à améliorer sa sécurité, à développer ses institutions démocratiques et à stimuler la croissance économique.»
Cependant, ces fioritures de discours mises à part, à Washington, c’est l’argent qui parle vrai, et cela est encore plus le cas depuis que Donald Trump est président des Etats-Unis.
Il n’est pas totalement étonnant que Trump refuse, comme il le fait, de reconnaître l’importance de la Tunisie. En effet, ce pays ne possède aucune de ces qualités qui ravissent le plus Trump: la politique interne pertinente (Israël), la vaste richesse (Arabie saoudite) et la prétendue coopération anti-terroriste (Egypte).
Le fait que l’administration Obama ait salué l’expérience tunisienne comme la seule success story du Printemps arabe n’arrange pas les choses. Au contraire, cela en soi constitue un désavantage aux yeux de Donald Trump, un homme qui, à plusieurs reprises, a montré clairement une certaine affinité pour les dictateurs.
Mais vous n’avez pas besoin d’être un rêveur idéaliste pour vous rendre compte à quel point une Tunisie démocratique est si importante pour les intérêts des Etats-Unis. Le Moyen Orient et l’Afrique du nord connaissent actuellement les affres de bouleversements et de transformations politiques qui pourraient encore se prolonger durant toute une autre génération: l’ancien marché selon lequel des gouvernements arabes répressifs fournissaient un minimum de sécurité économique et physique en contrepartie d’un acquiescement populaire accordé aux régimes autoritaires est en train de s’effondrer. Même les gouvernements qui ont tenté d’éviter les soulèvements arabes, en recourant à une plus lourde répression de leurs populations, finiront tôt ou tard par céder à la pression de leurs citoyens qui exigent une gouvernance plus juste et plus effective.
Au point où en sont les choses aujourd’hui, les dirigeants autoritaires offrent à leurs populations deux choix: le chaos à la syrienne ou libyenne, ou le régime d’un homme fort à l’égyptienne. Et ils exploitent cette dichotomie pour justifier leur recours accru aux pratiques répressives qui, sur le long terme, augmentera certainement les risques d’instabilité. Les conséquences ne sont pas encourageantes pour les intérêts des Etats-Unis, même dans le cas d’un gouvernement aussi ostensiblement pro-américain que celui de l’Egypte.
Youssef Chahed reçu par Jim Mattis à Washington en juillet 2017.
Un mélange d’espoir et de risque
La transition démocratique en Tunisie représente une troisième voie, celle qui démontre comment un peuple et son gouvernement peuvent renégocier entre eux le contrat social, sans répression ni chaos.
Il n’y a rien de théorique dans cet exemple: chaque jour, à travers la région, les Tunisiens montre comment ils sont capables de répondre aux défis de la transition. Le mois dernier, des acteurs de la société civile marocaine m’ont confié que la Tunisie leur procure «l’espoir» que le changement démocratique pacifique est également possible dans leur pays.
Soyons clairs: la transition en Tunisie reste incomplète. En effet, il existe des signes de recul démocratique, notamment, avec l’adoption d’une loi amnistiant certains responsables de l’ancien régime (…) Les élites du pays n’ont pas réussi à relancer l’économie, et de profondes disparités économiques et un taux de chômage élevé –principalement parmi les jeunes tunisiens– continuent de menacer d’érosion la crédibilité de la gouvernance démocratique. Finalement, les élections municipales, une étape cruciale de la décentralisation de l’autorité, se tiendront le 6 mai prochain, cependant, une loi accordant aux autorités locales un pouvoir de décision plus ample et plus d’autonomie attend encore d’être passée. La formation d’instances de contrôle prévues par la nouvelle constitution, telle que la Cour constitutionnelle, a pris beaucoup de retard.
C’est ce mélange d’espoir et de risque que suscite la transition démocratique en Tunisie qui rend l’assistance américaine à ce pays un facteur déterminant. L’aide fournie aux forces militaires et sécuritaires tunisiennes a donné de bons résultats, en améliorant considérablement les capacités tunisiennes à combattre le terrorisme. La poursuite d’une aide américaine à la Tunisie au niveau de ce qu’elle a été [sous la présidence de Barack Obama, ndlr] permettrait à Washington d’appuyer ce pays sur plusieurs autres dossiers, notamment les programmes de lutte contre la corruption. Si l’aide est diminuée, le département d’Etat se trouverait contraint de faire des choix difficiles entre les programmes nécessaires pour le pays, et donnerait ainsi l’impression aux Tunisiens que les Etats-Unis se désengagent au moment où les choses deviennent difficiles.
Etant donné la taille relativement petite de la Tunisie et son accueil de l’aide des Etats-Unis, un investissement américain dans ce pays portera ses fruits. Si Trump n’est pas de cet avis, le Congrès est en position de rejeter les réductions que propose le chef de l’exécutif américain – de la même manière qu’il l’a fait l’année dernière. Néanmoins, un soutien fort du législatif à la Tunisie ne saurait se substituer complètement à l’intérêt de la Maison Blanche. Le financement des Etats-Unis au profit de la Tunisie ne parviendra à réaliser le potentiel de son soutien à la démocratie en Tunisie que s’il bénéficie de l’imprimatur du président et s’il est appuyé par un engagement de haut niveau des Etats-Unis.
Souhaitons que Trump revienne à la raison et prenne la décision de redynamiser la transition en Tunisie, avant qu’il ne soit trop tard.
Article traduit de l’américain par Marwan Chahla.
*Andrew Miller est directeur adjoint du Projet sur la démocratie au Moyen Orient (POMED, en anglais), une «organisation américaine non partisane à but non lucratif, dédiée à analyser le développement des démocraties authentiques du Moyen-Orient.» Il est également chercheur auprès de la Carnegie Endowment for International Peace. Sous l’administration Obama, Andrew Miller a été responsable au Conseil national de la sécurité.
**Les titre et intertitres sont de la rédaction.
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