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Tunisie : Les municipales 2018 ou le syndrome Ayari

Plus d’agents de sécurité que d’électeurs devant les bureaux de vote. 

Lors des dernières municipales, les Tunisiens ont perdu tout espoir de changement et décidé de déserter leur pays. Soit, symboliquement, en s’abstenant de voter; soit, réellement, en «votant avec leurs pieds», qui comme «harraga», qui comme «cerveau» en fuite…

Par Slaheddine Dchicha *

Plus d’une fois, les Tunisiens ont contribué à la science politique en l’enrichissant de nouveaux concepts afin de rendre compte de pratiques inédites. Cela avait commencé le 7 novembre 1987 avec le «coup d’Etat médical» qui avait permis à Ben Ali d’écarter le président Bourguiba et de s’emparer du pouvoir.

Des années plus tard le «putschiste médical» a dû fuir, obéissant à l’efficace injonction populaire «dégage» qui depuis a donné le «dégagisme» ce processus et/ou doctrine qui consiste à exiger, pacifiquement ou avec violence, le départ des détenteurs du pouvoir sans pour autant les remplacer, aboutissant, ainsi à un vide, à une vacance du pouvoir.

Le syndrome de l’abstentionnisme

Plus récemment, les Tunisiens ont été sidérés par l’élection de Yassine Ayari à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le passé, la personnalité et les prises de position de M. Ayari mis à part, ce qui a surpris, ce sont les conditions de son élection. En effet, alors que le nombre de Tunisiens inscrits sur les listes électorales en Allemagne atteint les 26.438, ne se sont présentés aux urnes que 1.325, soit un taux de participation de 5,02%. Et M. Ayari d’être élu avec 263 voix !

Cette élection que d’aucuns ont considérée comme une anomalie, un accident rare et unique, s’avère pleine de renseignements, significative. Un syndrome, appelé à se répéter à défaut de dispositions et de réformes radicales. Pour preuve, les toutes récentes élections municipales

L’électoralisme, caricature démocratique

Les municipales du 6 mai 2018, attendues depuis sept ans et sans cesse reportées, ont finalement eu lieu mais dix jours seulement après l’adoption par l’ARP de la loi sur le pouvoir local et donc, mettant la charrue avant les bœufs, les partis et autres organisations politiques ont établi leurs listes et les futurs édiles ont élaboré leur stratégie et leur programme avant de connaître pourquoi ils seraient élus et en quoi consisterait leur mandat.

Le jour J, 5,3 millions d’électeurs potentiels ont été appelés à départager 2.074 listes candidates dans 350 municipalités, or sur ce nombre, qui représente à peine la moitié des habitants du pays, ne se sont présentés aux urnes que 33,7%, soit même pas deux millions ! Et si l’on faisait abstraction du mode de scrutin proportionnel de listes et que l’on s’amusait à diviser le nombre de votants par celui du nombre de sièges (7.212), l’on arriverait sensiblement au même nombre de voix que lors de l’élection de M. Ayari !

Le nombres de votants est tellement dérisoire par rapport à celui de la population et par rapport à celui des inscrits qu’il est permis pour ne pas dire légitime de parler du syndrome «Ayari» et en l’occurrence à une grande échelle

Mais il faut croire que ce désintérêt pour la vie politique ne semble pas attrister tout le monde. Certains comme le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, y trouvant son compte, a considéré sur les ondes de Mosaïque FM que ce scrutin est «historique» et il l’a qualifié comme «un moment de joie pour les Tunisiens, qu’on ne peut gâcher en parlant du faible taux de participation» et pour prouver ses dires, il n’a pas hésité à avoir recours à un «fake» en ajoutant : «En réalité, partout dans le monde, le taux de participation aux élections municipales se situe aux alentours de 30% à 40%». Ce qui est inexact et constitue un mensonge éhonté.

M. Ghannouchi se réjouit et justifie les résultats car il n’en a cure des véritables représentativité et fonctionnement démocratiques et surtout, par déni de la réalité, il refuse de voir la signification réelle de cette abstention.

L’abstention, un acte politique

Cette indifférence des citoyens pour la vie politique est à interpréter comme un rejet et une punition des partis politiques et comme une condamnation sans appel de leur gestion catastrophique des affaires publiques depuis janvier 2011. Depuis cette date, les citoyens n’ont cessé d’attendre et n’ont cessé de voir les responsables politiques – souvent médiocres et parfois opportunistes voire corrompus – persister à décevoir leurs espoirs et s’acharner à dégrader leurs conditions vie.

De guerre lasse, voyant la criminalisation systématique de leurs luttes et face à la répression de plus en plus féroce, les citoyens ont perdu tout espoir de changement et ont décidé de déserter, de «s’absenter». Soit, symboliquement en s’abstenant; soit, réellement, en «votant avec leurs pieds» et en quittant le pays, qui comme «harraga», qui comme «cerveau»… Et cette hémorragie n’est pas près de se résorber à moins que… l’on renonce à cette caricature qui se réduit aux rituels et se limite au formalisme de de démocratie.

Faut-il rappeler, enfin, que le dictateur Ben Ali avait imposé partout dans le pays des lieux qu’il avait ostensiblement baptisés «place ou square des droits de l’Homme»?

* Universitaire.

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