Le calendrier politique, en régime démocratique, une donne politique en soi, et impose son propre rythme. Or, un éventuel nouveau chef de gouvernement aura tout juste une année, avant les prochaines élections, présidentielle et législatives, et ne pourra pas déployer une nouvelle politique publique.
Par Mehdi Jendoubi *
Il y a un calendrier politique qui s’impose aux acteurs publics comme les saisons naturelles aux agriculteurs, le méconnaître serait une erreur.
Oublions les noms proposés aux hautes fonctions de chef de gouvernement et laissons de côté, un instant, les positions légitimes de chacun sur un probable remaniement complet du gouvernement, et raisonnons en espace-temps, variable dont toute action qui se veut efficace doit tenir compte.
Un nouveau chef de gouvernement fera face à trois mois d’été où l’inefficacité de l’appareil d’Etat est notoire et affrontera la phase préélectorale des élections législatives et présidentielles de 2019, qui prendra un minimum de trois mois sinon plus où il ne faudra pas mécontenter le peuple par des mesures impopulaires.
Nouvelle politique publique ou un simple plat réchauffé
Même si on opte pour un technocrate qui s’engagera publiquement à ne pas se présenter aux prochaines élections, il devra obtenir le soutien des deux partis principaux de l’assemblée et toutes ses décisions seront aux yeux du peuple la responsabilité de la coalition au pouvoir qui lui aura donné sa confiance. Il ne pourra pas ne pas en tenir compte ne serait-ce que pour le timing de ses réformes.
Pour déployer sa nouvelle politique publique tout chef de gouvernement aura devant lui tout juste au maximum douze mois de temps réel et efficace.
Même si les dossiers sont prêts, il ne pourra pas se limiter à réchauffer un plat préparé par le précédent gouvernement et devra engager des expertises complémentaires et d’actualisation en fonction du nouveau consensus de l’Accord de Carthage 2, ce qui également prendra du temps.
D’un autre côté, Il ne pourra jamais engager toutes les reformes à la fois et devra donc les répartir chronologiquement et les enchaîner sur tout juste une année, pour espacer les douleurs et les mécontentements.
Plus encore, même si les acteurs publics principaux, signataires des Accords de Carthage 2 sont d’accord sur tous les détails, il faudra négocier chaque réforme avec les acteurs sociaux sectoriels même si cela peut paraître comme une simple formalité et même superflu, puisque les «grands» se sont entendus entre eux. D’abord, cela peut mieux aider à expliquer et convaincre pour faire passer la pilule, que tout le monde qualifie d’avance d’«amère». Et surtout, le chemin est long entre les accords entre «chefs» et l’acceptation par les forces réelles sur le terrain. Quand il faut compter ses sous, le chacun pour soi n’est pas une spécialité tunisienne. L’actualité sociale mondiale est là pour nous le prouver.
De même, aucune consultation sérieuse ne peut se faire en moins de deux mois. Ajoutez-y le volet légal s’il y a des lois nécessaires aux réformes, à faire passer au parlement.
Le temps réel d’intervention et d’action efficace se réduit objectivement comme peau de chagrin. Tout nouveau chef de gouvernement, aussi dévoué et compétent fût-il, affrontera une mission objectivement impossible. Le calendrier politique est en régime démocratique une donne politique, et impose son propre rythme.
Marginalisation des présidences de l’assemblée et du gouvernement
Prochainement, le chef de l’Etat prendra une des décisions les plus importantes de son mandat. À lui seul reviendra la lourde responsabilité de faire prévaloir l’intérêt général face au carrefour des intérêts sectoriels des honorables signataires des Accords de Carthage 2. Dans son isoloir, sa tâche ne sera pas aisée.
Il n’est pas sain de banaliser pour la troisième fois après le changement de M. Essid, et du départ de M. Chahed s’il se confirme, un scénario qui n’est pas conforme à l’esprit de la constitution de 2014, du moins cela est sujet à débat. C’est au sein du parlement que les grandes manœuvres politiques doivent avoir lieu, les externaliser systématiquement en réunissant les acteurs politiques autour du chef de l’Etat, affaiblit l’assemblée et réduit le pouvoir du chef du gouvernement, deux institutions censées rééquilibrer un pouvoir jugé excessif aux mains des deux chefs d’Etats de la première République. Le recours au chef de l’Etat devra être un recours ultime et non une démarche systématique.
* Universitaire (jendoubimehdi@yahoo.fr).
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