(Ph. Festival de Hammamet).
Le festival Hammamet accueillait Carlos Nuñez, multi-instrumentiste galicien et explorateur de genre musicaux méconnus du grand public. Ce dernier a offert, jeudi 2 août 2018, un voyage dans l’espace et le temps qui s’est terminé en apothéose sur scène.
Par Seif-Eddine Yahia
Cantonnée à des stéréotypes véhiculés entre autres choses par le cinéma hollywoodien, la musique espagnole est rarement appréciée dans sa diversité. Souvent ramenée au flamenco et à la musique andalouse, la culture espagnole est une mosaïque renfermant de merveilleux secrets que Carlos Nuñez a tenté de dévoiler au cours de ce concert.
Une musique galicienne marquée par l’influence celte
Originaire de Galice, Carlos Nuñez a eu à cœur, depuis le début de sa carrière, de mettre en avant le patrimoine musical propre à sa région. Bordée par l’Océan Atlantique, la Galice a bénéficié, au cours de son histoire, d’une grande influence venant des pays anglo-saxons. Cette influence a laissé des traces jusque dans la musique traditionnelle de cette région et dans les instruments utilisés pour la pratiquer.
C’est avec sa gaïta (ou gaïda), cornemuse typique du nord-ouest de l’Espagne et accompagné de trois autres musiciens que Carlos Nuñez est monté sur la scène de Hammamet. Un quatuor composé d’un percussionniste, d’un guitariste et d’une violoniste, en plus de M. Nuñez qui était à la fois flûtiste et joueur de gaïda en fonction des morceaux.
Pendant tout le spectacle, le musicien s’est fait conteur et historien, expliquant au public d’où venaient les morceaux qu’ils allaient entendre. Carlos Nuñez et son groupe ont proposé un voyage dans l’espace et dans le temps avec des compositions remontant parfois au XIIIe siècle ou des morceaux venus d’Amérique du Sud, région du monde où la gaïda a été exportée à l’arrivée des explorateurs espagnols et portugais.
Une partie des morceaux joués était directement puisée dans les répertoires celtiques d’Irlande ou d’Ecosse, afin de créer un trait d’union entre le patrimoine galicien et les musiques celtiques plus connues dans le reste du monde.
Kiana, la violoniste du groupe originaire des Etats-Unis, a quant à elle revisité les titres celtiques les plus connues du répertoire nord-américain, partie du monde où cette musique s’est exportée grâce à l’arrivée massive des migrants irlandais au point que le pays fait aujourd’hui partie des scènes les plus actives de la musique celtique.
Kiana, la violoniste, lors de la chanson finale du concert.
Le public a aussi eu droit à une réinterprétation des Boléros de Maurice Ravel. Ce dernier s’était en effet inspiré d’un air traditionnel galicien qu’il avait repris pour le faire connaître au reste du monde.
En plus du voyage et de l’aspect pédagogique du concert, de nombreuses surprises étaient au rendez-vous lors de cette soirée : une improvisation du batteur sur une valise Samsonite, une session de gigue pour la violoniste Kiana, un apprentissage des subtilités du rythme du fandango ou encore l’entrée en scène d’un groupe de mezoued pour accompagner le quatuor à la fin du concert.
Un mélange Celtico-tunisien
Carlos Nuñez n’était pas venu sur le sol tunisien depuis près de dix ans et un concert à Sidi Bou Saïd. Cependant, l’artiste avait déjà remarqué que des rapprochements entre la Tunisie et le patrimoine culturel celte.
Gaïta espagnole et mezoued tunisien (Ph. festival de Hammamet).
Après un clin d’œil au nom de la bière nationale tunisienne (« Celtia » : ça ne s’invente pas), le musicien a fait monter sur scène une formation de mezoued pour l’accompagner. Les musiciens des deux groupes ont réussi à saisir les points communs entre deux musiques a priori assez différentes. Après une improvisation de la formation de mezoued qui a fait se lever le public de Hammamet, les deux groupes se sont livrées à un dialogue musical improvisé où chacun a su intelligemment trouver sa place.
Notons que cette partie du spectacle a été travaillée en une dizaine de minutes à peine, juste avant le début du concert. En outre, les deux groupes ne s’étaient jamais rencontrés par le passé mais l’écoute, la compréhension mutuelle et sans doute aussi la connaissance encyclopédique de l’histoire de la musique de M. Nuñez ont fait de cette rencontre un des temps forts du concert.
Toujours dans cette logique d’échange et de partage, Carlos Nuñez a profité de sa dernière chanson pour faire monter tout le public sur scène afin d’exécuter une danse traditionnelle bretonne, transformant la scène et les tribunes du théâtre en une immense piste.
Carlos Nuñez transformant la scène du festival en piste de danse.
Un final qui a fait office d’apothéose pour un concert à la fois intelligent et sensible, où Carlos Nuñez a réussi à partager ses influences et ses découvertes musicales dans une vraie logique d’échange.
La démarche derrière le concert de Carlos Nuñez est profondément militante. En mettant en avant ces traditions régionales et ces particularismes méconnus propres à sa région, le joueur de gaïta cherche à connecter les histoires millénaires des différentes régions du mondes, loin des stéréotypes figés dans le temps et sources de divisions entre les peuples, notamment dans cette Europe parfois coupée de ses racines.
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