En ce 13 août 2018, qui coïncide avec la fête nationale de la femme, les masques sont tombés. Aussi bien celui des Frères musulmans d’Ennahdha que celui du président Béji Caïd Essebsi qui continue à ménager son encombrant allié. Décryptage.
Par Rachid Barnat
Lorsque Béji Caïd Essebsi a demandé à la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) de se pencher sur le problème de l’égalité dans l’héritage mais aussi sur la peine de mort et sur la dépénalisation de l’homosexualité, il avait lancé un pavé dans la mare.
Il a obligé les partis politiques et les Tunisiens, d’abord à réfléchir et ensuite à se prononcer sur ces nouveaux espaces de liberté.
Le silence assourdissant des partis «progressistes»
Cette décision puis le rapport réfléchi et documenté de la Colibe, ont permis aux Tunisiens de voir, enfin, la réalité et de constater, hélas plusieurs choses.
D’abord que les partis dans leur grande majorité et principalement ceux qui se prétendent progressistes, défenseurs des libertés et ouverts au progrès, sont restés scandaleusement muets comme si le débat ne les concernait pas; alors qu’en réalité ce silence assourdissant n’est que l’expression de leur peur d’affronter Ennahdha et de l’absence, en réalité, de véritables convictions.
On a même vu le parti d’Abir Moussi qui se prétendait «bourguibiste», entonner le chant de ceux qui ne veulent rien faire et nous dire que ce n’était pas le bon moment.
Les Tunisiens dans leur ensemble n’avaient déjà que très peu d’estime pour leurs partis politiques dont ils ont vu l’incompétence manifeste; et ce n’est pas la peur et la lâcheté qu’ils ont manifestées à cette occasion, qui vont les racheter à leurs yeux.
Le masque de la modernité d’Ennahdha
Mais le second enseignement de cette affaire est plus important encore, c’est le masque de modernité et d’ouverture que voulaient se donner les Frères musulmans, qui est bien tombé. Les Tunisiens ont clairement vu que ce parti, contrairement à ce qu’il essayait de faire croire, n’a absolument pas changé de doctrine et d’idéologie.
Pourtant, Rached Gannouchi, avec beaucoup de culot et son toupet habituel, avait dit que désormais son parti sépare la religion de l’action politique, renonçant même à la prédication dans les mosquées. Il est vrai que peu de gens, parmi ceux qui réfléchissent, avaient cru ces propos. Mais il est clair : ce n’était que du vent pour endormir le peuple !
Ses dernières déclarations, rappelant que l’islam est un tout – religion et politique formant un tout – confirment, s’il en était besoin, que son parti n’est pas devenu «civil» comme il le prétendait depuis son congrès de Hammamet et ne peut donc se séparer de la religion.
D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement, à moins de se renier !
On a vu comment les islamistes se sont servis des mosquées pour contester le rapport de la Colibe et comment dans ces mosquées où, en principe, devrait régner la bonne foi et l’honnêteté, on a menti, on a trompé ses auditeurs en indiquant que le rapport contenait telle ou telle disposition alors que cela était complètement faux.
Est-ce là l’honnêteté de l’islam qu’ils représentent ?
Qui n’a pas aussi, à propos de l’homosexualité, entendu M. Ghannouchi en personne dire que la vie privée devait être préservée et que l’Etat n’avait pas s’en mêler? Et il condamne maintenant les dispositions qui vont dans ce sens pour décriminaliser l’homosexualité !
Est-ce là l’honnêteté de son islam ?
Qui voulait-il tromper en faisant de telles déclarations contradictoires?
Un président très peu ferme sur les principes
Alors, oui, le masque des islamistes est tombé et ils sont revenus à leurs pratiques habituelles, à savoir le mensonge, l’intimidation, les prières de rue et l’appel à la charia sur laquelle la société civile tunisienne les avait pourtant fait reculer mais à laquelle, on le voit, ils n’avaient pas renoncée; comme certains l’ont naïvement cru.
Dans son discours au palais de Carthage à l’occasion de la fête de la femme, aujourd’hui, lundi 13 août 2018, le président Béji Caïd Essebsi a fait une bonne entrée en matière en rappelant certaines choses mal comprises par beaucoup de Tunisiens qui n’ont lu ni la constitution ni le rapport de la Colibe, qu’ils contestent.
Face à cette situation, qu’a fait le président? Dans la forme un discours remarquable et pédagogique qui montre qu’il a encore un esprit très vif mais il a été comme à son habitude, très malin mais sans aucune fermeté dans les valeurs qu’il exprime.
Il a commencé par dire que les réformes proposées par la Colibe étaient conformes à la Constitution qu’il a le devoir de défendre et rappelé, à juste titre, que la Tunisie est un Etat civil qui a instauré dans son texte l’égalité des hommes et des femmes.
Il a appelé les islamistes d’Ennahdha à appliquer cette Constitution qu’ils ont votée.
Tout cela était très bien dit, nécessaire et fort.
Mais pour conclure, il a indiqué que l’égalité dans l’héritage serait à la carte : l’appliqueraient ceux qui le veulent ! Est-ce cela la Constitution et l’égalité des femmes, qu’il venait juste de rappeler?
Capitulation en rase campagne de Caïd Essebsi
Voilà encore une capitulation en rase campagne devant les islamistes au nom du sacro-saint «consensus». Le problème est que l’égalité dans l’héritage est non pas une simple question technique que l’on peut rejeter à sa convenance mais bien un principe d’égalité voulue. Ce que Béji Caïd Essebsi disait-lui-même un instant auparavant, en rappelant l’article 21 de la Constitution.
Va-t-on laisser des femmes, souvent parmi les plus démunies, subir pression, violence et chantage pour renoncer à l’égalité dans l’héritage? Y a-t-il, comme il semble l’admettre, deux Tunisies, l’une qui applique la Constitution et les valeurs de liberté et d’égalité; et l’autre qui appliquerait la charia ? Dans quel Etat du monde le droit est à la carte ?
C’est tout à fait choquant !
Face à cette nouvelle capitulation, il reste la société civile tunisienne.
Oui, les masques sont tombés. Aussi bien celui des Frères musulmans que celui de Béji Caïd Essebsi qui continue à ménager son encombrant allié! Et c’est tant mieux.
Maintenant il reste à espérer que la société civile par sa mobilisation va donner une nouvelle leçon aux politiques et inciter certains d’entre eux qui se targuent d’être des progressistes de voter un texte clair sur les principes et accordant, notamment aux femmes, une réelle égalité.
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