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Colibe : Le problème est dans l’ambivalence de la Constitution

Les divergences actuelles entre les laïcs progressistes et les islamistes conservateurs du parti Ennahdha, à propos du rapport de la Commission des libertés et de l’égalité (Colibe) étaient prévisibles et attendues. Il suffit de lire la Constitution de 2014, dont on disait, à l’époque, qu’elle était «une des meilleures au monde», pour s’en rendre compte.

Par Khémaies Krimi

Cette Constitution, fruit de compromis difficiles entre constituants laïcs et islamistes, contient des articles contradictoires, qui sont autant de grenades dégoupillées pouvant exploser à tout moment et remettre en question l’équilibre politique précaire entre ces deux tendances idéologiques et politiques qui sont officiellement représentées, au sein de la coalition au pouvoir, par les partis Nidaa Tounès et Ennahdha.

C’est ce qui vient de se passer avec la publication récente du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), qui est venu raviver le débat sur l’identité de la Tunisie, débat sur lequel la Constitution ne s’est pas clairement prononcée en raison de l’ambiguïté et de l’ambivalence de ses articles pouvant être interprétés de manières contradictoires, chaque partie y retrouvant forcément ce qu’elle cherche.

Les points sur lesquels achoppent les débats

Aussi, les laïcs et les islamistes ne se sont-ils pas beaucoup fatigués pour trouver dans le texte de cette Constitution les arguments recherchés pour justifier soit leur adhésion soit leur opposition aux propositions contenues dans le rapport du Colibe pour parfaire le dispositif juridique réservant les droits et les libertés.

Les principales recommandations de ce rapport sur lesquelles les deux parties ne sont pas d’accord ont trait à l’instauration de l’égalité dans l’héritage entre l’homme et la femme, la fin du statut du père en tant que «chef de famille», la dépénalisation de l’homosexualité et l’abolition de la peine de mort.

Pour les laïcs, tout projet de légalisation de ces droits ne peut que constituer une importante avancée sur la voie du renforcement des libertés individuelles, et surtout, de l’émancipation économique de la femme qui représente la moitié de la population, et la meilleure si l’on tient compte du taux de réussite à l’université et la moins bien nantie eu égard son faible accès aux postes de responsabilité.

Pour justifier leur approche, les laïcs citent les articles 6 de la Constitution, qui stipule : «L’État…. garantit la liberté de conscience et de croyance, le libre exercice des cultes et la neutralité des mosquées et des lieux de culte de toute instrumentalisation partisane…»

Ils citent, également, l’article 21 qui dit : «Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination. L’État garantit aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs. Il veille à leur assurer les conditions d’une vie digne».

Ce qui, du point de vue des laïcs, conduit à penser que toute éventuelle loi sur l’égalité entre l’homme et la femme en matière d’héritage serait, forcément, en conformité avec la Loi Fondamentale.

Pour les islamistes, la Tunisie est, d’abord, un pays islamique

Quant aux islamistes, leur argumentaire se fonde sur le fait que le Coran est au dessus de la Constitution et de toute interprétation humaine. Ainsi, pour eux, les propositions contenues dans le rapport de la Colibe constituent un outrage impardonnable au texte sacré qui stipule, notamment, en matière d’héritage, qu’«il revient à l’homme la part de deux femmes».

Ils se référent, eux aussi, à l’article 6 qui stipule que «l’Etat est le gardien de la religion» et à l’article 1 qui affirme l’identité islamique de la Tunisie. Ce dernier article notifie, en effet, clairement que «la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime». Pour eux, le texte de la Constitution est très clair : la Tunisie est un pays islamique ce qui sous-entend l’impératif pour l’ensemble des Tunisiens de ne pas transgresser le texte sacré et les traditions islamiques du pays.

Pour justifier leur rejet de la dépénalisation de l’homosexualité, et son éventuel corollaire, les mariages entre personnes de même sexe et la menace que cela pourrait représenter pour la pérennité de l’espèce, les Islamistes font référence à l’article 7 de la Constitution qui dit : «La famille est la cellule de base de la société, il incombe à l’Etat de la protéger». D’où l’affirmation récurrente et imparable par les islamistes de leur attachement à la structure «traditionnelle» du couple constitué de deux personnes de sexes différents.

La finalité des recommandations de la Colibe est ailleurs

Cela pour dire que par-delà les arguments des uns et des autres, il semble que la problématique réside dans la réversibilité des articles de la Constitution de 2014 qui donnent raison autant aux laïcs qu’aux islamistes, fruit de la quête effrénée d’un consensus au final précaire et, à l’expérience, peu viable.

Une telle réversibilité, pour peu qu’elle perdure, ne peut que compromette tout projet de réforme et plonger le pays dans l’immobilisme improductif.

À titre indicatif, la recommandation du rapport de la Colibe sur l’éventuelle égalité successorale, loin d’avoir une seule dimension religieuse, est une problématique démographique et socio-économique par excellence. Elle est développée de manière exhaustive par les auteurs de l’orientation du 13e Plan de développement (2016-2020) dans le volet «Ressources humaines». On y lit notamment que «compte tenu du fait que la population tunisienne a tendance à vieillir de plus en plus, la femme va constituer une des solutions pour y remédier, en jouant un rôle plus dynamique dans le développement de l’économie et dans la prise d’initiatives génératrices d’emplois et de sources de revenus».

Sur la base de cette approche développementale, les femmes rurales réputées pour leur sens de l’entrepreneuriat peuvent trouver dans l’égalité dans l’héritage une opportunité pour s’approprier des parcelles agricoles, des vergers et un nombre conséquent de têtes de bétail, des biens qu’elles peuvent soit vendre soit hypothéquer pour lancer leur microprojet. Il y a là de toute évidence une piste à explorer pour développer, dans les régions à prédominance rurale, une véritable économie fondée par des femmes entrepreneuses.

C’est là une approche réaliste, crédible et offrant des perspectives positives que les laïcs peuvent exploiter pour persuader la majorité des Tunisiens du bien-fondé de ce projet d’égalité successorale et de barrer la route, par la même occasion, aux gourous islamistes qui voient toujours d’un mauvais œil les femmes s’émanciper et la moitié du patrimoine du pays échapper aux barbus.

On ne le répétera jamais assez, cette affaire d’égalité dans l’héritage est avant tout une affaire économique : il y aura forcément, au final, des gagnant(e)s et des perdant(e)s. Le débat ne devrait donc pas opposer les laïcs et les islamistes mais les femmes et les hommes. C’est la guerre des sexes qui est aussi vieille que celle des anciens et des modernes.

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