Nebil Radhouane vient de s’éteindre, lundi 19 novembre 2018, après un combat très courageux contre la maladie. La déchirante nouvelle de sa disparition ne m’a pas beaucoup surpris, puisque, depuis l’été 2016, après la foudroyante rechute qu’il venait de faire, il m’avait confié qu’il se savait déjà «sur le chemin dont nul n’est revenu» (L. Ray).
Par Ridha Bourkhis *
Comme à l’extinction d’autres amis que je portais dans mon cœur, tels des frères intérieurs, arrimés à l’essence-même de mon être le plus profond et le plus vrai, cette triste nouvelle que je supporte aujourd’hui avec une curieuse résignation et une sérénité étrange, celles-là mêmes dont j’ai fait preuve à la mort de mes parents, cesse de m’étourdir et fait jaillir en moi-même un interminable défilé de réminiscences et de souvenirs souvent tendres, amalgamés à l’image lumineuse et rayonnante de ce vieil ami avec qui j’ai surtout beaucoup ri, ri aux éclats, ri comme les enfants insoucieux.
A Dieu mon Ami ! «On aurait pu rire encore un peu !…»
Nebil Radhouane dont les profondeurs semblaient plutôt graves, mélancoliques, voire quelque peu hypocondriaques et qui quelquefois pouvait paraître trop sérieux, était, paradoxalement, porté à chérir la joie de vivre, la bonne humeur et le rire.
Plein d’humour, il avait toujours le mot pour rire et, en philosophe, il riait de tout. Même quand il était bien conscient que sa cruelle maladie pesait encore sur sa vie, comme l’épée de Damoclès, il continuait à plaisanter à tout propos et à rire et se rire des faux jetons, des obséquieux, des fayots, des flagorneurs, des opportunistes et des matamores. De la «médiocrité crasse», de la bêtise et de la fatuité des uns ou des autres, il se riait, préférant toujours l’ombre digne aux lumières fallacieuses et aux honneurs éphémères.
Quand je le rencontrais, à Kairouan comme à El Menzah, à Salammbô, à Sousse ou encore à Tunis où, avant les adieux, nous marchions, dimanche après-midi, dans des rues presque dépeuplées, où tout était fermé et qui nous plaisaient étrangement, nous parlions rarement de stylistique, de syntaxe ou de poésie, domaines où Nébil Radhouane, passait incontestablement pour un maître, mais nous nous racontions de petites histoires et des plaisanteries juste pour rire, rire en permanence et en narguant je ne savais quel malheur ou quelle tristesse viscérale, comme si le rire était pour lui, autant que pour moi-même, une espèce de cuirasse contre la mort.
La traduction Coran en français, «l’œuvre de sa vie»
Ancien étudiant de la grande philologue de l’Université de Paris-Sorbonne Joëlle Gardes Tamine (décédée en octobre 2017), titulaire d’un Doctorat d’Etat en poétique et rhétorique sur la «syntaxe de Saint-John Perse», Professeur de l’Enseignement Supérieur depuis plusieurs années, de compétence polyvalente mais surtout remarquable spécialiste de poésie française et de sciences du langage, maîtrisant comme rarement un autre à la fois la langue arabe et la langue française, Nebil Radhouane était l’un de nos meilleurs universitaires tunisiens en langue et littérature françaises, mais aussi l’un de nos meilleurs traducteurs. S’il n’a pratiqué la traduction que comme une spécialité seconde, une activité à laquelle sa formation et ses diplômes académiques ne l’avaient pas vraiment préparé, il a appris par lui-même à la pratiquer pour son propre plaisir, ce qui l’a progressivement conduit à l’obtention, en 2011, à Riyad, du Prix Mondial de la Traduction du «Serviteur des Deux Saintes Mosquées», après avoir traduit en français un essai philosophique publié à Paris, aux éditions l’Harmattan.
La traduction en français du Coran qu’il a réalisée avec brio au terme de sa coopération technique en Arabie Saoudite, longue de treize ans, et que des responsables saoudiens ont publiée, dans de très bonnes conditions éditoriales, à Beyrouth, et diffusée largement dans plusieurs pays arabes et africains, est de toute évidence le couronnement d’un travail de titan, bien méritoire, glorieux même, dans la réalisation duquel Nebil Radhouane a dû suer sang et eau. C’est, disait-il avec grande satisfaction, mais sans vanité aucune, «l’œuvre de sa vie» qu’il venait de produire et dont il était bien normal de célébrer la parution avec bonheur.
En plus de cette belle traduction du Coran, de ses centaines de papiers littéraires publiés, le long d’une trentaine d’années, dans les quotidiens tunisiens ‘‘Le Temps’’ et ‘‘La Presse de Tunisie’’, et de son impressionnante thèse d’Etat éditée par le Centre de Publication Universitaire de la Manouba, Nebil Radhouane a aussi à son actif un important ‘‘Dictionnaire de stylistique, rhétorique et poétique’’ publié à Tunis et préfacé par Joëlle Gardes Tamine, un ouvrage sur la ‘‘Syntaxe française’’ publié aux éditions Academia Bruylant à Louvain-La-Neuve, en Belgique, et la traduction en français d’un essai philosophique d’une essayiste de l’Arabie Saoudite; une excellente traduction publiée en France, chez l’Harmattan et qui lui a permis d’arracher le Prix susmentionné.
L’Université tunisienne se souviendra très longtemps de ce Professeur hors pair qui a formé et marqué de nombreuses générations d’étudiants et de jeunes chercheurs.
À Dieu Nebil. Repose en paix !
* Maître de conférences à l’Université de Sousse, journaliste , poète et romancier.
Nebil Radhouane n’est plus : Un orfèvre de la langue française
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