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Et si le FMI était plutôt l’otage du gouvernement tunisien ?

Christine Lagarde reçue par Youssef Chahed en janvier 2018. 

Il est déplacé et malhonnête de pointer du doigt le FMI et de lui faire assumer la responsabilité de la crise qui prévaut en Tunisie. D’autres pays, comme la Corée du Sud et Singapour, ont su faire un bon usage des crédits du FMI et ont atteint les plus hauts stades de développement et de croissance.

Par Khémaies Krimi

Une évidence : la grève générale de la fonction publique observée le 22 novembre 2018 a été, de l’avis de tous les analystes objectifs, un grand succès au point que l’historien Amira Alaya l’a comparée, le lendemain, dans le quotidien ‘‘Assabah’’, à la grève générale du 26 janvier 1978, au moins du point de vue de son importance et de ses enjeux.

Cette grève, suivie dans tout le pays, a constitué, en ce sens, un véritable tournant de la transition socio-politique que connaît le pays depuis le soulèvement du 14 janvier 2011 et vient annoncer, non seulement, une nouvelle configuration des rapports de force socio-politiques mais surtout des remous sociaux imprévisibles. À court terme, elle risque de donner l’exemple à de puissantes organisations syndicales sectorielles déjà sur le pied de guerre et qui, au vu de leur détermination, n’attendent qu’un signal de ce genre pour passer à l’action.

Espérons seulement que la Tunisie ne connaîtra pas les mêmes troubles qu’avait connus il y a six mois un pays comme la Jordanie. Car les symptômes sont les mêmes : dépendance de l’aide financière étrangère, finances publiques en difficulté, endettement extérieur excessif, dépendance énergétique avec, comme corollaire, l’augmentation en une seule année et à plusieurs reprises du prix du carburant, matraquage fiscal, institutions de taxes exceptionnelles…

Succès de la grève générale, un tournant historique

Cette grève générale réussie de la fonction publique vient surtout brouiller tous les calculs de ce que le député Fayçal Tebbini a appelé la coalition des «traîtres jihadistes et des contrebandiers laïcs» qui ont gouverné le pays depuis 8 ans.

La coupe est hélas pleine. Cette même coalition qui, après avoir diabolisé la veille la centrale syndicale dans les réseaux sociaux et tout fait pour la pousser à la grève dans la perspective de l’affaiblir et de l’isoler, a récolté tout à fait le contraire de ce qu’elle espérait.

En mettant l’accent sur la dimension patriotique de sa grève, l’UGTT a éperonné l’égo patriotique des Tunisiens et gagné leur sympathie, à une triste période où la majorité des Tunisiens n’ont plus confiance ni dans la classe politique, ni dans la présidence, ni dans le gouvernement, ni dans la justice.

Pourtant, si on s’amuse à faire une rétrospective des évènements qui ont eu lieu en 2018, le gouvernement Youssef Chahed a eu tout le temps matériel requis, voire toutes les chances de son côté pour redresser l’économie du pays et tenir les engagements qu’il avait pris avec la centrale syndicale. Deux moments forts méritent qu’on s’y attarde.

Au mois de janvier 2018, ce gouvernement, en adoptant pour cet exercice une loi de finances impopulaire consacrant l’austérité et la précarité, a échappé à une véritable explosion sociale, grâce à la grande manœuvre du locataire du palais de Carthage, le président Beji Caid Essebsi, qui sut absorber l’ire de la rue, momentanément, en initiant un dialogue entre les forces politiques et sociales du pays, dans le cadre des fameuses dialogues de Carthage II. Aujourd’hui, au regard des résultats, on se rend compte que ces dialogues étaient de simples diversions pour gagner du temps.

La grève générale du 22 novembre 2018 a été réussie. 

Pis, c’est au cours de cet exercice, également, que l’économie du pays a connu les plus graves contre-performances et les plus mauvais classements internationaux de son histoire.

En l’espace de deux mois, la Tunisie a été classée par les pays membres de l’Union européenne, comme un «paradis fiscal» (5 décembre 2017) et comme «pays fortement exposé au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme» (7 février 2018). L’inflation a connu des records. Elle est passée de 4,5% en août 2016, au moment où Youssef Chahed était nommé chef du gouvernement, à 8,1%, actuellement, selon le FMI. Le dinar a connu également sa chute la plus vertigineuse, l’euro s’échangeant, aujourd’hui, contre 3,4 dinars contre 2,4 dinars en 2016.

Et pour ne rien arranger, le fameux rapport du Forum de Davos sur la compétitivité a classé la Tunisie à la 133e place sur un totale de 140 pays listés pour l’ampleur de la dette, à la 118e pour la stabilité macroéconomique, à la 129e pour le marché du travail, à la 103e pour le marché de production et à la 90e pour la maîtrise des technologies de communication et de l’information (TIC) et 89e pour le taux d’inflation.

En dépit de ces mauvais scores, les instances financières internationales ont tout fait pour aider le gouvernement Chahed. Au mois de juillet dernier, un pool de bailleurs de fonds qu’on avait comparé, à l’époque, sur ces mêmes colonnes, à la commission financière internationale anglo-franco-italienne de 1869, avait décidé d’accorder à la Tunisie, sous forme de dons et de prêts, un montant de 5,5 milliards d’euros (environ près de 17 milliards de dinars), dont 2,5 milliards d’euros (7,7 milliards de dinars) programmés pour l’année 2018/2019. Du jamais vu. La seule conditionnalité apparente exigée par les bailleurs de fonds est de voir le gouvernement tunisien poursuivre les réformes convenues à un rythme plus accéléré.

Pourquoi diaboliser le FMI ?

Mention spéciale pour le FMI qui a été particulièrement compréhensible. C’est avec une célérité inhabituelle que le Fonds a décaissé en l’espace de 3 mois (juillet-septembre 2018) deux tranches de 250 millions de dollars chacune au titre du crédit accordé, en mai de 2016, dans le cadre du Mécanisme élargi de crédit (MEDC).

Mieux, le FMI aurait donné, au mois de juillet 2018, le feu vert au gouvernement Youssef Chahed pour finaliser les négociations sociales avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui ont abouti à des augmentations salariales dans le secteur public, la majoration du Smig, des pensions de retraite et des aides sociales fournies aux familles nécessiteuses.

Pour des observateurs avertis, dont Ahmed Néjib Chebbi, président d’honneur du parti Al Joumhouri, et Abid Briki, syndicaliste, ancien ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance et coordinateur du Mouvement Tunisie en avant, le FMI aurait tiré la leçon des explosions sociales qui ont eu lieu en Jordanie et anticipé sur d’éventuels mouvements sociaux pouvant se produire en Tunisie à la rentrée.

Cela pour dire, que les grévistes du 22 novembre 2018, apparemment formatés par le sinistre discours stalinien de Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, ont diabolisé à tort, dans leurs déclarations et manifestations, le FMI.

Nous disons à tort, car n’oublions pas c’est le gouvernement tunisien qui était allée solliciter le FMI pour obtenir des crédits et non le contraire. À la limite, en sa qualité de bailleur de fonds, il est tout à fait normal qu’il soit soucieux de récupérer son argent. Selon certaines sources, le FMI craint pour son argent et serait à la limite otage des gouvernements successifs tunisiens qui ne font rien pour engager les réformes structurelles souhaitées ou ont du mal à les mettre en route, en raison des résistances, notamment celles de l’UGTT.

Pour mémoire, ces réformes, contrairement à ce que fait propager le gouvernement, ne se limitent guère à la réduction de la masse salariale, bien que celle-ci soit considérée comme centrale et importante par les bailleurs de fonds.

Ce que recommande le FMI c’est tout un package de réformes qui englobe la réforme de la fiscalité, la lutte contre la corruption, la limitation de la compensation à ceux qui en ont vraiment besoin, la rationalisation de l’endettement du pays à travers la création d’une agence de trésor spécialisée dans le domaine, l’amélioration de la gouvernance et l’option, à cette fin, pour la digitilisation…

Cela pour dire in fine, qu’il est déplacé et malhonnête de pointer du doigt le FMI et de lui faire assumer la responsabilité de la crise qui prévaut dans le pays. D’autres pays, comme la Corée du Sud et Singapour, ont su faire un bon usage des crédits du FMI et ont atteint les plus hauts stades de développement et de croissance.

Le mal est hélas dans nos gouvernants. Nous ne pouvons en vouloir qu’à nous-mêmes. Nous méritons amplement ce qui nous arrive. C’est le tribut de l’inconscience politique, de l’irresponsabilité, de l’impunité et de l’incompétence qui prévaut dans le pays.

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