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Le poème du dimanche : ‘‘Les quatrains valaisans’’ de Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke est un écrivain autrichien. Il est surtout connu comme poète, bien qu’il ait également écrit un roman, ‘‘Les cahiers de Malte Laurids Brigge’’, ainsi que des nouvelles et des pièces de théâtre.

Né le 4 décembre 1875 à Prague, dans une famille qui le destine très rapidement à la carrière des armes, mais qu’il dut décevoir pour faire du journalisme, et mort le 30 décembre 1926 à Montreux, en Suisse. Il vécut à Veyras de 1921 à sa mort.

Son amour enflammé pour Lou Andreas-Salomé, rencontrée en 1896 – elle avait trente-six ans et lui vingt et un – lui inspirera ses premiers poèmes. Une amitié les liera jusqu’à la fin de sa vie. Il voyage en Italie puis en Russie avec Lou et son mari. Il rencontre à cette occasion en 1899 Léon Tolstoï. Il séjourne aussi à Paris, où il devient en 1905 le secrétaire de Rodin.

De 1907 à 1910, il voyage en Algérie, en Tunisie et en Egypte, puis séjourne à Berlin, en Espagne, à Venise, à Aix-en-Provence, Arles et Avignon (en France). Il vivra grâce à l’aide de plusieurs mécènes et, à partir de 1919, il s’installe en Suisse et compose plusieurs recueils de poésies en français.

* * *

Avant que vous comptiez dix

Avant que vous comptiez dix
tout change : le vent ôte
cette clarté des hautes
tiges de maïs,

pour la jeter ailleurs ;
elle vole, elle glisse
le long d’un précipice
vers une clarté soeur

qui déjà, à son tour,
prise par ce jeu rude,
se déplace pour
d’autres altitudes.

Et comme caressée
la vaste surface reste
éblouie sous ces gestes
qui l’avaient peut-être formée.

C’est presque l’invisible qui luit
C’est presque l’invisible qui luit
au-dessus de la pente ailée ;
il reste un peu d’une claire nuit
à ce jour en argent mêlée.

Vois, la lumière ne pèse point
sur ces obéissants contours
et, là-bas, ces hameaux, d’être loin,
quelqu’un les console toujours.

Comment encore reconnaître

Comment encore reconnaître
ce que fut la douce vie ?
En contemplant peut-être
dans ma paume l’imagerie

de ces lignes et de ces rides
que l’on entretient
en fermant sur le vide
cette main de rien.

Comme un verre de Venise

Comme un verre de Venise
sait en naissant ce gris
et la clarté indécise
dont il sera épris,

ainsi tes tendres mains
avaient rêvé d’avance
d’être la lente balance
de nos moments trop pleins.

Contrée ancienne

Contrée ancienne, aux tours qui insistent
tant que les carillons se souviennent -,
aux regards qui, sans être tristes,
tristement montrent leurs ombres anciennes.

Vignes où tant de forces s’épuisent
lorsqu’un soleil terrible les dore …
Et, au loin, ces espaces qui luisent
comme des avenirs qu’on ignore.

Eros (III)

Là, sous la treille, parmi le feuillage
il nous arrive de le deviner :
son front rustique d’enfant sauvage,
et son antique bouche mutilée …

La grappe devant lui devient pesante
et semble fatiguée de sa lourdeur,
un court moment on frôle l’épouvante
de cet heureux été trompeur.

Et son sourire cru, comme il l’infuse
à tous les fruits de son fier décor ;
partout autour il reconnaît sa ruse
qui doucement le berce et l’endort.

Extraits des ‘‘Quatrains valaisans’’.

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