L’avenir de l’Algérie dépendra avant tout de l’aptitude de son armée à trouver un compromis acceptable avec les autres forces en présence. Ce ne sera pas facile. Et en attendant, il serait plus sage en Tunisie de ne pas insulter l’avenir, et de s’abstenir de prendre position.
Par Dr Mounir Hanablia *
En 1912, la Révolution Mexicaine, qui devait durer 8 ans, avait éclaté lorsqu’un vieux dictateur, Porfirio Diaz, après plus de 30 années de pouvoir, avait prétendu présenter sa candidature pour un nouveau mandat présidentiel.
En Algérie, les récents événements laissent perplexe. D’un côté il y a une part importante de la population des villes, qui est descendue dans la rue manifester, pour, à travers son opposition à un 5e mandat présidentiel d’un candidat pratiquement grabataire, revendiquer la fin d’un système politique auquel elle attribue la responsabilité de ses désillusions et de ses difficultés quotidiens. De l’autre, il y a une armée omniprésente et omnipotente qui moins que jamais ne semble prête à relâcher l’emprise qu’elle exerce sur le pays, depuis l’indépendance, et qui, dans les années 90, n’avait pas hésité à intervenir pour mettre fin à l’expérience démocratique qui avait mené les islamistes du FIS au seuil du pouvoir, déclenchant ainsi une véritable guerre civile dont le pays ne sortirait, meurtri, que dix années plus tard.
Les réalités sont plus complexes que l’apparence des choses
Il y a donc un véritable schéma simplificateur qui s’est mis en place, comme au Venezuela, avec d’un côté les bons, et de l’autre les mauvais. Mais depuis le Printemps arabe, les réalités se sont souvent révélées beaucoup complexes que ne le laissaient supposer l’apparence des choses vues sur les écrans de télévision et les réseaux sociaux. Et à travers ce que l’on nomme communément peuple, il faudrait deviner quelles sont les forces politiques qui ont réussi à mobiliser la rue, ou bien qui s’apprêtent à en prendre la tête, afin, comme on dit, de retirer les marrons du feu.
Il y a bien sûr d’abord l’opposition politique des exclus du pouvoir, à commencer par les islamistes du FIS, le parti dissous, les réseaux de l’ancien parti dominant, le FLN, et les partis régionalistes ou même indépendantistes.
Ensuite, il y a les forces populaires et syndicales que la dégradation du niveau de vie du fait de la politique néolibérale, inquiète et mobilise au nom d’une plus grande justice sociale. Enfin, au sein même du sérail, c’est-à-dire de l’armée, il y a certainement des clans à l’œuvre qui sont prêts à utiliser le mécontentement général afin d’augmenter leur part de pouvoir, et pourquoi pas, l’accaparer.
C’est peut être cette composante là, pour le moment occulte, qui déterminera l’avenir politique du pays. Mais pour le moment, l’armée algérienne s’efforce de paraître unie, sur une position dure, celle selon laquelle il n’y a pas d’alternative, pour le moment, au maintien de Bouteflika, sans lequel le pays retomberait dans le chaos de la décennie noire, ainsi que le rappelait récemment son chef dans un discours prononcé devant ce qui paraissait être la totalité des officiers supérieurs, réunis pour la circonstance.
Seulement au cours de cette réunion, et à travers les uniformes impeccablement tirés de ses représentants, l’armée a surtout donné d’elle-même l’image de l’une de celles qui composaient le pacte de Varsovie, renforçant l’impression fâcheuse d’un anachronisme, empêchant autant la maîtrise des techniques modernes de la communication, que la perception adéquate des réalités.
L’enjeu du maintien de Bouteflika pour l’armée
En effet, dans un pays où la sécurité militaire a toujours été toute puissante et omniprésente dans l’exercice effectif du pouvoir, l’armée n’a pas été informée des effets sur la rue de la réélection de l’actuel président, et plus grave encore, ne s’est pas entendue sur la nécessité d’un candidat de substitution.
En s’en tenant au même candidat, malade et diminué, l’armée a surtout démontré l’incapacité du régime à se perpétuer. L’Algérie étant un ancien pays socialiste révolutionnaire et tiers-mondiste, une comparaison très malheureuse se profile à l’esprit, celle de l’effondrement de l’Union Soviétique, de l’Europe de l’Est, de la Yougoslavie, et des recompositions territoriales qui les ont accompagnées. Or l’armée algérienne demeure la seule force capable de maintenir la cohésion du pays, et son effondrement pourrait avoir de graves conséquences sur l’avenir de tout le Maghreb. Sera-t-elle capable de se redéployer en dehors du champ politique afin de se consacrer exclusivement à sa mission?
Il faut dire que l’armée avait joué le jeu de la démocratie, en organisant des élections libres, mais elle n’avait pas été payée de retour, elle avait été obligée d’intervenir lors des années 90 pour protéger le pays du scénario catastrophe représentée alors par l’accession du FIS au pouvoir, qui aurait ouvert la voie à un régime de type taliban s’appuyant sur les anciens combattants d’Al-Qaïda, où en tant qu’institution, elle n’aurait pas pu assumer son rôle.
Il faut leur rendre cette justice, les militaires algériens avaient mené une sale guerre qu’ils n’avaient à l’origine pas voulue, soutenus en cela par toute la frange éduquée occidentalisée de la population, qui avait terni leur réputation, en particulier lors l’assassinat de feu le président Mohamed Boudhiaf, et du fait des opérations de contre-guérilla qui avaient fait des milliers de victimes, mais ils avaient néanmoins conservé l’intégrité territoriale du pays, et ils lui avaient épargné les destructions considérables et l’anarchie dont allaient plus tard pâtir, à l’issue du Printemps arabe, des pays comme la Syrie, le Yémen, et la Libye.
Il faut aussi reconnaître qu’en Algérie, l’armée s’est taillé la part du lion dans les prébendes issues du pétrole, et que dans le secteur économique, rien ne peut se faire sans sa participation.
L’Algérie garante de l’intégrité territoriale de la Tunisie
Sur le plan extérieur, ce que l’on peut leur reprocher, en s’engageant dans l’affaire du Sahara, dans laquelle tous les torts sont de leur côté, c’est d’avoir torpillé toute possibilité de progression des pays maghrébins dans le projet d’unification. Il faut aussi se souvenir qu’en 1986, l’Algérie s’était portée garante de l’intégrité territoriale de la Tunisie grâce au projet de fraternité et de concorde, alors que, la santé du président Bourguiba déclinant, les plus grandes inquiétudes planaient quant aux futures relations avec la Libye.
En ce sens, l’Algérie a été aussi fidèle à notre pays que celui l’avait été envers elle, lors de son combat pour la libération nationale. Et aujourd’hui, encore, si notre armée maîtrise la situation sécuritaire provoquée par l’implantation des maquis terroristes sur la zone frontalière, c’est aussi grâce à la collaboration transfrontalière avec ses homologues qu’elle y parvient, mais étant donné leur refus farouche de toute ingérence étrangère sur leur territoire, il faudrait ré-évaluer le futur de cette collaboration avec l’irruption de l’armée américaine sur le champ de bataille.
Dans la difficile situation que nous traversons, le tourisme et les malades issus du pays voisin constituent pour notre économie sinistrée un ballon d’oxygène non négligeable.
Existe-t-il ainsi qu’on le prétend une volonté de déstabiliser l’Algérie? Cela fait des années qu’on le prétend, mais la survenue des événements simultanément avec ceux du Venezuela et de l’Iran constitue tout de même une coïncidence troublante. Y a-t-il un plan pour faire exploser l’Algérie, ce pays continent, en de multiples entités? Il existe certes un irrédentisme berbère, mais il ne semble pas être aussi important qu’on veut bien le dire, d’une part, et d’autre part on ne voit pas au nom de quel intérêt on voudrait mettre la main sur les richesses de ce pays alors qu’il a toujours approvisionné sans discontinuer le marché mondial, indépendamment de toute considération politique.
Il faut aussi reconnaître que le Marché Global ne se satisfait plus des pays menant une politique indépendante, et dans le monde arabe et musulman, le seul modèle politique toléré est celui représenté par les pays du Golfe, ou les pays largement ouverts aux vents du capitalisme international . Ceux promouvant le culte de la fierté et de l’indépendance nationales suscitent désormais l’hostilité, en particulier lorsqu’ils disposent de richesses naturelles considérables, et qu’ils refusent de normaliser leurs relations avec Israël.
En ce sens, l’ère de la présidence Trump semble être celle de la mise au pas des derniers bastions s’opposant à l’hégémonie américaine, en particulier dans le secteur énergétique.
Il ne faut pas que l’Algérie bascule comme la Libye, la Syrie ou l’Irak
On ignore encore quelle est la vision stratégique américaine relativement à l’Algérie, un pays à l’origine formé d’un conglomérat de d’émirats et de tribus, que seule la poigne de la France avait réunifié avec la colonisation. Mais on n’ignore pas que la thèse colonialiste d’une colonisation des Arabes par les Berbères a cours, en particulier chez les islamophobes.
Qu’arriverait-il si l’Algérie basculait ? Les conséquences pourraient être fâcheuses si le FIS accédait au pouvoir. Il serait douteux qu’une telle éventualité ne donnât pas le signal d’un effondrement de l’Etat, et de l’éclatement du pays en de multiples entités. Il se pourrait aussi qu’en Tunisie, le parti Ennahdha y trouvât la profondeur stratégique nécessaire pour accélérer son programme de déstructuration de la société.
Quoiqu’il en soit, l’Histoire a prouvé avec Massinissa que les événements en Numidie se répercutaient sur Carthage, et depuis Charles Quint, jusqu’à Bugeaud et au Duc d’Aumale, que ce qui se passait à Alger finissait toujours par avoir des conséquences un jour l’autre à Tunis.
L’avenir de l’Algérie dépendra bien sûr avant tout de l’aptitude de son armée à trouver un compromis acceptable avec les autres forces en présence. Ce ne sera pas facile. Et en attendant, il serait plus sage en Tunisie de ne pas insulter l’avenir, et de s’abstenir de prendre position.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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