Bien choisir ses représentants au parlement pour ne pas avoir à souffrir leur incompétence et leur népotisme.
La Tunisie est à la croisée des chemins. Elle peut continuer à s’enfoncer doucement dans cette crise généralisée qui s’éternise et aux conséquences redoutables ou bien et a contrario par un sursaut citoyen, elle peut s’engager dans une voie progressive vers un mieux-être général.
Par Hedi Sraieb *
Il va sans dire que ce ne sont que des mots, un vœu pieux tant l’horizon semble boucher. Toutefois, et sans être en mesure de dessiner une perspective d’avenir dans toutes ses dimensions, il est possible d’identifier des exigences à satisfaire, des conditions à réunir, des modalités à mettre en œuvre pour sortir de ce marasme. Autrement dit, il conviendrait de construire une liste de critères permettant de discriminer les candidatures collectives (formations politiques partisanes et indépendantes).
Probité, intégrité et droiture adossées à la compétence
Une législature, c’est très court ! À n’en pas douter, et seul le temps long et la pugnacité permettront de venir à bout de tous les maux qui accablent à des degrés divers tout le corps social.
Il faut compter aussi avec toutes sortes d’aléas et d’événements imprévisibles ! À défaut donc de disposer d’un véritable projet d’ensemble qui puisse soulever l’enthousiasme de toute la société, on peut raisonnablement tenter de réunir quelques a priori minimaux.
Nos concitoyens mettent systématiquement en avant la probité, l’intégrité et la droiture adossées à la compétence, l’expertise, l’habilité. Des qualités somme toute psychologiques qui restent ancrés dans «l’éthos» (qualités morales, aptitudes et manières d’être). Trop souvent, ils en restent là ! Comme si cela suffisait à faire un bon représentant. En somme des choix par défaut puisque ces critères permettraient au mieux d’éliminer trop de candidatures versatiles, déloyales, intéressées et vénales et qui plus est ignorantes, inexpérimentées, inaptes. Un premier tri utile, et en quelque sorte une condition nécessaire de légitimité à l’exercice de fonction délibérative. Mais est-ce bien suffisant ?
Mettre fin au nomadisme et à l’absentéisme parlementaires
Près d’un demi-siècle de dépolitisation, d’infantilisation et de mise au pas de toute la société ont altéré, dénaturé, pour ne pas dire avilir «la chose politique». Pour un large éventail de nos compatriotes «représentant politique» rime avec «politicien» au sens le plus le plus péjoratif. Il faut bien l’admettre, au vu du «nomadisme parlementaire» inadmissible et inconcevable, pour ne pas dire scandaleux, nos compatriotes ont raison ! Que dire aussi de cet absentéisme insensé et irresponsable. La prochaine législature devrait mettre fin à ces pratiques indignes !
Nos concitoyens, outre ces considérations liées à «l’éthos» des personnes, entrevoient et envisagent l’action politique sous l’angle de la technicité.
La politique serait affaire de bonne gestion technique (on dit aussi bonne gouvernance) mise en œuvre par des élites avisées perspicaces et clairvoyantes. En somme dans le «pathos» (discours-projet) de ces élites, c’est-à-dire, dans leur possible capacité de «savoir-faire» sous-tendue par l’exposé de mesures présentées comme pertinentes, et des réformes dites de bon sens dans l’intérêt de tous ! Mais c’est en fait, là, que les choses se compliquent.
La politique est tout sauf «neutre» !
Bien sûr cette dépolitisation n’a pas totalement aliéné et assujetti les consciences. Nombre de nos concitoyens savent que derrière des choix dit techniques ou fonctionnels se cachent des choix proprement politiques pour ne pas dire idéologiques. Mais hélas trop d’entre-eux encore, ont une conception négative et dépréciative de ce que l’on nomme par idéologie-politique qui n’est jamais qu’une représentation idéelle (en idées et images) de ce qu’est ou devrait être la vie en société, les relations sociales, la prise en compte harmonieuse d’intérêts souvent opposés, la définition même de l’intérêt général ou celle du bien commun… Toutes choses qui font sens au sein d’une collectivité, mais qui ne vont pas de soi… tant s’en faut!
Les croyances, préjugés, connaissances, vécus, qui s’agitent dans l’imaginaire, forment des corpus, induisent la pensée, et guident l’action. Ce que d’aucuns appellent aujourd’hui «ensemble de valeurs», terme désormais à la mode, prétendument éloigné de tout dogmatisme, et qui constitue précisément l’arrière-plan (conscient comme inconscient) idéologique de légitimation de l’action politique. Ces ensembles et sous-ensembles de valeurs se trouvent au cœur même de la politique et par là de la conduite tantôt plus libérale tantôt plus sociale de l’intervention publique, tantôt plus conservatrice tantôt plus progressiste des choix à mettre en œuvre. En conséquence de quoi la politique est surtout une affaire d’arbitrage et de choix entre des intérêts, des convictions, des inclinaisons. La politique est tout sauf «neutre» !
L’unanimisme consensuel brouille les cartes
De fait, nos concitoyens ont souffert – mais à vrai dire continuent à souffrir en grand nombre –, par cette rhétorique rabâchée à souhait, sur le «nécessaire consensus», «l’union nationale» à tout prix, ou encore le prétendu «juste milieu» loin des extrêmes. Cet unanimisme hérité de longue date, enfoui dans les consciences, continue à brouiller les enjeux et à troubler les esprits.
Notre toute jeune démocratie devrait faire surgir des projets de sociétés plus largement contrastés, et par là même, offrir au corps électoral, des formations politiques ou des coalitions déterminées à mener à bien ces projets.
Pour l’heure, on notera avec déception que les partis les plus en vue présentent encore des programmes socio-économiques très similaires et dont les différences, à vrai dire, ne dépassent pas l’épaisseur d’une feuille de papier.
Raison pour laquelle, une fois de plus, le prochain scrutin se déroulera autour du choix de personnes bien plus que sur le choix d’orientations différentes et d’objectifs distinctifs ! Critères illusoires et démobilisateurs qui ne feront qu’accentuer la désaffection du politique
Mais il est vrai aussi que demeure en surplomb «les grandes peurs» : l’accaparement du pouvoir par les islamistes, ou le retour aux affaires des caciques et nouveaux substituts-jumeaux de l’ancien régime ! Un électorat effrayé et tétanisé, dans toutes ses composantes, qui risque fort d’user du réflexe pavlovien de nouveau du «vote utile». Des deux côtés de l’échiquier politique on semble avoir fait sienne la sentence de Machiavel : «en politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal»… La conséquence induite et réitérée sera la même : affaiblissement voire effacement des forces porteuses d’un réel changement de cap, et possiblement même, des forces si réduites pour être en capacité de constituer un ancrage homogène et cohérent de résistance face aux courants conservateurs dominants. Après tout démocratie veut bien dire majorité et minorité, mais aussi pouvoir et contre-pouvoir. Nous en sommes encore loin…
Sortir de l’impasse d’un modèle économique et social à l’agonie
Nos concitoyens risquent fort de solliciter de nouveau des critères nécessaires (probité, connaissance) mais irrémédiablement insuffisants et manifestement inopérants pour sortir de l’impasse d’un modèle économique et social à l’agonie et des pratiques politiques népotiques généralisées.
Pourtant le «moindre de mal» serait que les aspirations au «pouvoir vivre» par le reflux notable de la précarité et de l’inculture… soient progressivement satisfaites !
* Docteur d’Etat en économie du développement.
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