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L’«ADN» de Tahia Tounes selon Chahed : Un «bourguibisme» démocratique et social

Dans son discours de clôture du congrès de Tahia Tounes, le 1er mai 2019, Youssef Chahed a développé ce qu’il a appelle l’ADN de son parti, c’est-à-dire son identité, sa pensée politique, son référentiel et les valeurs morales, intellectuelles et sociétales qui constituent le socle de son projet politique.

Par Abdelmajid Mselmi *

Dans ce discours fleuve, passionné et enthousiaste, Chahed a indiqué à ses camarades qu’il ne considère pas Tahia Tounes comme une simple machine électorale dont le but est de gagner les élections. L’expérience a montré qu’un tel projet ne peut pas tenir longtemps, par allusion à son ancien parti Nidaa Tounes, qui a éclaté aussitôt après avoir gagné la présidentielle et les législatives de 2014.

Tahia Tounes doit être fondé sur une pensée politique qui soude le parti et constitue un socle solide capable de résister aux multiples défis de l’action politique.

Le «bourguibisme», l’Etat national et la libération de la femme

Pour Chahed, les racines du jeune mouvement et ses origines sont ancrées dans le mouvement national tunisien qui a libéré le pays de la colonisation et a fondé l’Etat national. Ses références ne sont ni le communiste Vladimir Illich Lénine ni Hassan El Banna, le fondateur des Frères musulmans. Les sources de sa pensée sont purement tunisiennes. Ce sont les leaders du mouvement national, Habib Bourguiba, Mahmoud El-Matri, Salah Ben Youssef, Hedi Chaker et Farhat Hached. Son mouvement n’est qu’un un maillon de la prestigieuse chaîne de réformateurs historiques qui se sont succédé depuis le 19e siècle, en Tunisie. Il est le prolongement du projet de l’Etat national fondé par Habib Bourguiba et ses compagnons au lendemain de l’indépendance, en 1956.

Youssef Chahed s’est attardé, dès le début de son discours sur l’œuvre centrale de Bourguiba, qui est la libération de la femme ayant permis la libération de la moitié de la société. Il a salué cette œuvre et s’est porté garant des acquis de la femme en continuité avec le projet libérateur de Bourguiba. Il a attaqué frontalement les courants rétrogrades qui considèrent la femme comme un simple «complément» de l’homme et s’opposent à ses droits.

Il a promis de poursuivre le combat afin de défendre avec force et détermination les droits des femmes, renforcer ses acquis et les approfondir afin d’aboutir à l’égalité totale entre les hommes et les femmes. La liberté de la femme, a-t-il martelé, fait partie intégrante du projet de l’Etat national.

La révolution et la démocratie, aboutissement naturel de l’Etat national

La démocratie est le terme qui est revenu à plusieurs reprises dans le discours de Chahed. Et dans ce chapitre, il a développé une thèse innovatrice et fort intéressante sur une question qui constitue encore une zone d’ombre dans la pensée politique tunisienne.

Tout en affirmant que l’Etat national constitue les racines de son mouvement, il a confirmé son attachement à la révolution du 14 janvier 2011. Il considère qu’elle n’est nullement une rupture ni un coup d’Etat contre l’Etat national. Au contraire, il considère que la démocratie, fruit de la révolution, est l’évolution naturelle et inéluctable de l’Etat national, c’est sa perspective légitime et le souffle dont il avait besoin depuis longtemps après le blocage auquel est arrivé la Tunisie sous la dictature.

Chahed a rappelé que beaucoup de leaders réformistes, dont Béji Caid Essebsi (qu’il a chaleureusement salué), ont essayé de démocratiser l’Etat national de l’intérieur très tôt, depuis les années 70, mais en vain. C’est pour cela que le changement démocratique est venu de l’extérieur du régime par la révolution.

À notre connaissance, le chef du gouvernement est le premier leader politique à proclamer aussi clairement que la révolution et la démocratie étaient non seulement une nécessité historique, mais aussi une continuité de l’Etat national, ainsi que la garantie de sa pérennité et de son développement.

C’est pour cela qu’il a fustigé et renvoyé dos à dos ceux qui nient (gauchistes ou islamistes) les acquis de 60 ans d’Etat national et ceux fidèles à l’ancien régime qui nient totalement l’apport de la révolution et de la démocratie pour l’état national et pour qui les aiguilles de la montre de l’histoire de la Tunisie se sont arrêtés le 13 janvier 2011.

Un Etat national juste, social et réformateur

Tout en exprimant son attachement à l’économie de marché, Youssef Chahed a rejeté l’ultralibéralisme sauvage et affirmé sa fidélité au rôle fondamentalement social de l’Etat national comme l’a conçu ses fondateurs depuis l’indépendance. L’Etat protégera toujours et quelles que soient les conditions les classes populaires et défavorisées et les personnes aux besoins spécifiques, a-t-il indiqué, rappelant les efforts fournis par son gouvernement aussi bien sur les plans aussi bien législatif que financier.

Les services publics, qui ont un rôle stratégique pour les citoyens, tels que l’éducation, la santé et le transport… doivent rester sous la tutelle de l’Etat. En revanche, l’Etat doit encourager le secteur libéral dans les activités concurrentielles. Son rôle est de promouvoir l’initiative privée, de libérer les énergies et de mettre à plat les obstacles bureaucratiques à l’investissement. L’Etat conservant son rôle de contrôle et de régulation.

Tout en se défendant de toute attitude dogmatique et idéologique, Chahed a rappelé que Bourguiba n’était ni de gauche ni de droite, il était un patriote pragmatique. Et c’est sans doute ainsi qu’il se voit lui-même.

Dans ce souci d’équité et de justice, la lute contre la corruption constitue un élément fondamental de la pensée politique du projet de l’Etat national défendu par Chahed. S’adressant ouvertement aux corrompus et aux mafieux, ce dernier les a menacé d’une guerre sans répit. «Nous n’avons point peur de vous. Nous poursuivrons notre combat contre la corruption quelles que soient les sacrifices», a-t-il martelé.

La réforme fait partie de l’«ADN» du projet politique de Tahya Tounes et de Chahed, qui prévoit de réformer tous les aspects de la vie des citoyens : enseignement, santé, digitalisation, économie verte, énergies renouvelable… «Notre engagement et notre abnégation pour la réforme est sans limites», a-t-il lancé.

Les valeurs morales, moteur du projet politique

S’inspirant de Bourguiba, Youssef Chahed considère que le combat que mènent les Tunisiens pour le progrès et le développement s’appelle «al-jihad al-akbar» (le grand combat), mot d’ordre du «zaim», chargé d’un fort contenu spirituel et moral, et qui est encore d’actualité.

Le patriotisme et l’amour de la patrie ont constitué le moteur qui a fourni l’énergie, la force et la détermination aux leaders nationaux pour se lancer corps et âme dans le combat contre le colonialisme. C’est ce patriotisme, ce dévouement et cet amour de la Tunisie qui doivent animer les Tunisiens durant cette phase transitoire de leur histoire.

Aussi faut-il rendre aux valeurs du labeur et du travail leurs lettres de noblesse. Car seul le travail finit par payer. Youssef Chahed cite, à ce propos, l’exemple de l’Allemagne et du Japon qui, après les catastrophes vécues pendant la seconde guerre mondiale, ont pu se relever et devenir de grandes puissances mondiales grâce au labeur, au patriotisme et au dévouement de leurs citoyens.

Remerciant ses camarades, qui ont accepté de reporter le meeting de clôture du congrès par solidarité avec les victimes de l’accident de Sabbala, Sidi Bouzid, le 27 avril, où ont péri 12 ouvriers agricoles, en majorité des femmes, Chahed a rappelé que l’engagement politique doit être animé par la conscience des besoins des citoyens, de leur difficultés et de leurs problèmes afin de les satisfaire, de leur proposer des remèdes et des solutions.

«Notre projet, notre engagement, notre dévouement c’est pour que vive la Tunisie» (Tahia Tounes), conclut Youssef Chahed.

* Membre de Tahia Tounes.

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