Si la liberté de la presse est aujourd’hui en danger en Tunisie, il ne faut pas se tromper de diagnostic et, surtout, d’ennemi. Car ce sont les faussaires de cette liberté parmi les professionnels du secteur qui risquent le plus de lui porter atteinte, avec la complicité de la justice, de la classe politique et des forces de l’argent… sale.
Par Imed Bahri
À en croire le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), la liberté de la presse en Tunisie serait menacée. Pour preuve : entre le 1er mai 2018 et le 30 avril 2019, 200 journalistes ont fait l’objet de 139 agressions.
Ce chiffre alarmant s’ajoute aux 150 cas de licenciements de journalistes et aux 400 cas de journalistes qui n’ont pas été rémunérés.
Régression des libertés et financements occultes
Neji Bghouri, qui présentait, le 1er mai 2019, au siège du SNJT, le rapport annuel sur les libertés de la presse en Tunisie, à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, au siège du SNJT, a exprimé ses craintes quant à la régression des libertés en Tunisie et attiré l’attention sur les pratiques restrictives visant l’action des journalistes, tout en mettant en garde contre la prédominance «des financements politiques dans le secteur médiatique».
Il s’agit, selon lui, de menaces réelles sur la liberté de la presse, d’autant que, selon lui, il y a des tentatives pour exploiter la justice dans le but de restreindre l’action journalistique, alors que, selon lui, la liberté de la presse est la seule et unique garantie de la stabilité du paysage politique, social et économique tunisien.
Cependant, si M. Bghouri est dans son rôle de défenseur de la profession et si ses avertissements doivent être pris au sérieux, on doit raison garder et ne pas faire feu de tout bois, car, à la vérité, la liberté de la presse est réelle aujourd’hui en Tunisie et elle présente un cas unique dans le monde arabe.
Elle est certes menacée par la puissance de l’argent et des lobbys politiques et/ou de la corruption, comme d’ailleurs partout dans le monde, mais elle demeure encore, 8 ans après, le principal acquis de la révolution du 14 janvier 2011. Aussi doit-on veiller à renforcer les structures d’autorégulation et leur donner les moyens d’agir en vue de faire respecter le droit et la déontologie et sanctionner les dérapages qui se multiplient, notamment les campagnes de désinformation, de diffamation et de dénigrement qui, à l’approche des élections législatives et présidentielles deviennent, fréquentes.
Le cas Nessma TV ou la loi des hors-la-loi
À cet égard, la chaîne Nessma TV et son patron, Nabil Karoui, donnent le contre-exemple le plus éloquent, en agissant dans un mépris total des lois de la république et des règles de la déontologie.
Ce magnat de la télévision, lié à des cercles d’influence et d’argent sale, utilise sa chaîne au service de ses ambitions politiques, ce qui est formellement interdit par le décret-loi n° 116 relatif à la liberté de communication audiovisuelle. Il nargue aussi, depuis 2014, l’autorité de régulation, à savoir la Haute instance indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), rejette ses avertissements et multiplie les attaques contre ses membres, en toute impunité.
Pire encore : ce hors-la-loi, doublé d’un évadé fiscal notoire, qui fait face à plusieurs enquêtes judiciaires pour blanchiment d’argent et autres pratiques financières douteuses, trouve un appui certain auprès de certains dirigeants politiques, qui comptent sur sa chaîne pour redorer leur blason et ferment les yeux sur ses dérapages fréquents.
Ce sont ces hors-la-loi, jouissant de l’incroyable indulgence de la justice et de la classe politique, par peur ou par calcul opportuniste, qui constituent le plus grand danger pour la liberté de la presse en Tunisie.
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