La réforme des études médicales en cours organisée par le décret n° 341 de 2019 ne présente pas de solutions transitoires aux médecins généralistes de l’ancien régime pour passer au statut de médecin de famille, dénigrant ainsi 6000 médecins généralistes des deux secteurs privé et public.
Par Dr Alaedine Sahnoun *
«(la grenouille) S’enfla si bien qu’elle creva./ Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:/ Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs./Tout petit prince a des ambassadeurs/Tout marquis veut avoir des pages.»
C’est avec ces vers de La Fontaine que je vais commencer cet article sur la situation actuelle des 6000 médecins généralistes aussi bien du secteur public que du privé après la parution du décret n° 341 de 2019 relatif aux études médicales et le désir de grandeur (ou la folie des grandeurs) de certains qui feront, s’ils continuent dans leurs logiques, éclater tout le système de santé en Tunisie.
Il faut tout d’abord expliquer que tous les systèmes de santé dans le monde sont organisés sur 3 niveaux.
Une première ligne qui est représentée par les généralistes, médecins de famille, médecins de proximité.
Une deuxième ligne, représentée par les spécialistes et les hôpitaux de proximité que ce soit privé ou publique, et qui sont accessibles aux patients soit directement soit à travers les médecins de première ligne.
Une troisième ligne qui est représentée par les grands hôpitaux, les hôpitaux universitaires, les patients y sont référés par les structures de 2e ligne; ce niveau traite les cas les plus compliqués mais aussi c’est à ce niveau que se fait l’essentiel de l’enseignement de la médecine et de la recherche.
Se conformer aux standards internationaux
Depuis la nuit des temps, les facultés de médecine forment soit des médecins de première ligne soient des spécialistes dans diverses disciplines soient des médecins universitaires.
Jusque-là il n’y a pas de problème !
C’était sans compter sur la réforme des études médicales qui est imposée à la Tunisie, dans le cadre de l’accréditation et de l’uniformisation de tous les systèmes éducatifs dans le monde. Cette réforme oblige les facultés tunisiennes à se conformer aux standards internationaux ce qui veut dire entre autres que les médecins de première ligne doivent au minimum être formés pendant 9 ans au lieu de 7 actuellement et que les médecins de deuxième ligne soit au minimum formés pendant 10 à 11 ans, même plus pour ceux qui choisiront la carrière hospitalo-universitaire.
Jusque-là il n’y a pas de problème !
C’était sans compter que les instances académiques, prenant le train en marche et à la hâte, devaient expliquer et convaincre les jeunes étudiants (qui se sont engagés après leur baccalauréat dans un cursus qui normalement devait s’étaler sur 7 ans) qu’ils doivent passer 2 ans de plus, c’est dans ce cadre qu’on leur a expliqué que s’ils passaient deux ans de plus ils seraient des super médecins de première ligne et qu’ils bénéficieront du titre de spécialiste en médecine de famille et qu’ils seront supérieurs (non seulement du point de vue de la formation mais aussi du statut) aux médecins généralistes qui représentent actuellement la première ligne.
Le décret a qualifié les futures médecins de première ligne de spécialistes en médecine de famille sans affirmer que ceux qui exercent actuellement et ceux qui ont un ancien diplôme auront le même statut.
Indignation des médecins généralistes de toute la Tunisie
Cette situation a causé, et à juste titre, une indignation de tous les médecins généralistes de la Tunisie, et elle a été ressenti comme un mépris des instances académiques et du ministère de tutelle pour ceux qui sont en train de sacrifier leurs vies pour être présent 24h/24 et 7 jours/7 dans toutes les régions de la Tunisie pour servir le patient dans des conditions matérielles et sécuritaires lamentables.
Le fait de rester muet sur l’avenir des 6000 généralistes actuellement en exercice sous-entend qu’il y aurait la coexistence dans l’avenir de deux niveaux de la première ligne avec exactement le même travail et les mêmes tâches : «les bons» les spécialistes en médecine de famille, «les mauvais» les médecins de l’ancien régime, les généralistes et maintenant on entend même certains parler d’un 3e niveau : ceux qui ont un master en médecine de famille et qui seront considérés comme «pas si mauvais» mais «pas assez bons».
Cette situation si elle se confirme sera le coup de grâce à une santé en Tunisie déjà agonisante.
Les créateurs de cette spécialité en défendant leurs cursus ont présenté un argumentaire destructeur en affirmant que le niveau des actuels acteurs de la première ligne est médiocre et qu’ils sont dans le devoir de préparer une relève meilleure, comme si la décadence de la santé en Tunisie n’était pas causée par l’absence de stratégies claires de santé publique, n’était pas le manque de moyens matériels et humains, n’était pas la corruption et le népotisme…
Ce faux diagnostic et ces allégations destructrices pour le moral des troupes finiront par démotiver le peu qui reste de médecins tunisiens attachés à leurs postes, ceux qui défendent cette coexistence ne sont pas conscient que le rêve de nos futurs médecins c’est d’avoir leurs diplômes le plus rapidement possible pour quitter la Tunisie…
Donc quel gâchis… La stratégie du «grand remplacement» sera perdante : tu démotives tes troupes et tu les pousses à quitter, pour qu’ils ne soient jamais remplacés par ceux que tu as formés et qui se préparent à quitter.
C’est cela le parallèle avec la fable de la fontaine en voulant sortir du naturel et grandir très vite tu EXPLOSES.
Uniformiser la première ligne est impératif, un passage systématique du statut de médecin généraliste vers le statut de spécialiste en médecine familiale est obligatoire.
Discutons, au plus vite, pour mettre en place les moyens qui nous permettrons d’évoluer tous ensemble entre autre par un développement professionnel continue obligatoire pour tous…
* Président de la section de Sousse du Syndicat tunisien des médecins libéraux (STML).
Donnez votre avis