Ce n’est pas le tintamarre d’éloges incongrus qui fera oublier que la diplomatie tunisienne n’agit ni n’influe sur les événements. Aujourd’hui, si elle se fait belle à voir, elle ne l’est que telle une momie, sans vie.
Par Farhat Othman *
Malgré les talents qu’elle recèle, qu’ils soient en activité ou sur la touche et qui sont de précieux témoins d’un passé plus glorieux, la politique étrangère de la Tunisie d’aujourd’hui n’est plus qu’une diplomatie des paillettes. Et on le sait bien, si la paillette est, au singulier, la parcelle d’or dans les sables aurifères ou la lamelle de matière brillante servant d’ornement sur les vêtements, elle n’est, au pluriel, que l’éclat trompeur et tapageur. C’est parfaitement approprié à notre politique étrangère actuelle tombée le plus bas possible récemment avec la tragicomédie de l’arrestation illégale de l’expert onusien Moncef Kartas. Avec une telle turpitude en plus, il n’est pas exagéré de parler d’absence de vie diplomatique ou de mort clinique d’une diplomatie momie ou Toutankhamon, la forme et l’apparence des paillettes comptant plus que le fond, l’action concrète.
C’est assurément pour cela qu’on est assez souvent prompt à parler de prestige pour faire oublier qu’on n’en a pas et d’honneur quand on l’a perdu. On le vérifie bien avec les plus récents événements ayant eu lieu et on le vérifiera probablement avec celui devant se tenir en Tunisie l’année prochaine en osant espérer que ce sera l’occasion pour que nos responsables se réveillent enfin et saisissent une telle occasion en vue de faire ressusciter cette diplomatie de son état morbide, insuffler la vie dans ce qui n’a que le lustre de la momie.
Archaïque pratique diplomatique
L’archaïsme de notre pratique diplomatique ou s’y attachant marque de tout ce qui ne vit pas ou plus, est patent dans ce réflexe récurrent d’une information fausse et trompeuse présentant en succès l’événement banal, telle l’accession de la Tunisie au siège de pays non membre du Conseil de sécurité de l’Onu pour deux ans.
En effet, si notre pays, et aussi le Niger, viennent d’être élus au dit Conseil pour les deux sièges réservés à l’Afrique, c’est qu’ils étaient en lice sans concurrents et devaient être élus sans nulle surprise, sauf quant au score des votes à défaut de l’unanimité des 193 voix. Or, les deux nouveaux membres pour l’Afrique, succédant à la Côte d’Ivoire et à la Guinée Équatoriale (outre la Pologne, le Pérou et le Koweït pour les autres groupes), n’ont été élus que par 191 voix sur 193.
Voilà les faits sans fioritures de ce qui n’est qu’une constante de tour de rôle; ce qui fait que chaque vingt ans pratiquement, ce siège échoit à la Tunisie comme en 1959-1960, en 1980-1981 et en 2000-2001. Pourquoi donc faire un succès de ce qui n’emporte nulle gloire ? Au lieu de se bomber le torse sans raison, ne devait-on pas plutôt déplorer que les voix des votants ne se soient pas toutes portées sur notre pays en un tel scrutin sans enjeu, au résultat connu d’avance ? Pourquoi le vote ne fut-il pas unanime, deux voix ayant manqué aux 191 votes en faveur de notre pays ? Et au lieu du concert d’éloges sans raison valable, pourquoi ne pas avoir parlé de ces deux votes manquants ? Car si l’on a bien mentionné que le vote n’était pas unanime, c’était juste pour en relativiser la portée alors qu’elle est capitale dans une procédure de pure forme. Les avanies faites à un représentant du secrétaire général de l’Onu, M. Kartas, avanies indignes de la part d’un pays se voulant civilisé, y ont-elles été pour quelque chose ?
Certes, on ne peut qu’être heureux que cette grosse bévue ayant quasiment frôlé la catastrophe diplomatique n’ait pas eu d’incidence sur ce mandat de deux ans, quasiment habituel tous les vingt ans. Cela ne justifie aucunement qu’on en fasse un motif de satisfaction de ce qui n’était que dans l’ordre des choses. Bien sûr, on dira que si l’unanimité a manqué à la Tunisie, c’est du fait de la défection d’Israël avec qui la Tunisie n’entretient pas de relations diplomatiques, et la non-participation au vote d’un micro-État. Or, eu égard à la volonté affichée par notre pays de jouer un rôle important pour les causes justes, dont celle de Palestine, l’attitude d’Israël n’est-elle pas symptomatique ? Est-il, par ailleurs, admissible de se prévaloir de l’absence de relations diplomatiques avec ce pays pour justifier son vote négatif ? Cela n’incrimine-t-il pas plutôt l’inertie tunisienne dans le dossier palestinien du fait surtout de son refus à normaliser ses rapports avec la partie forte du conflit en vue de pouvoir agir plus librement et plus utilement au retour à la légalité internationale dont on prétend y agir sans le faire de manière crédible ?
Pourtant, le monde a changé et il nous faut impérativement nous adonner à la diplomatie autrement, rompre avec la pratique à l’antique toujours en vigueur, et pas que chez nous certes, mais elle y est poussée aux limites du ridicule avec cette politique étrangère des paillettes. Le concert d’éloges entonné lors du non-événement onusien en atteste bien l’état, surtout l’absence cruelle d’actes tangibles.
A-t-on vraiment besoin de recourir aux réflexes de la dictature pour redorer le blason terni de notre diplomatie, alors que nul chez nous n’ignore ce que la vraie diplomatie veut dire : un art d’agir, non de parler pour ne rien dire ? Une aussi archaïque pratique est la preuve que l’on tient dur comme fer à une antiquité diplomatique, et aux méthodes obsolètes de l’ancien régime. Comment alors espérer voir la Tunisie défendre les causes justes, telle celle de Palestine, avec de tels réflexes honnis d’un temps révolu et si elle n’arrête pas de pratiquer sa politique de totale transparence sinon parfaite léthargie ? Comment assumera-t-elle donc sa prétention d’honorer une vocation à être la voix de la sagesse, de la pondération et de la mesure en un monde en pleine mutation ?
Ressusciter la diplomatie Toutankhamon
Le grave déphasage entre le chiqué inutile et l’utile concret a été, sans nul doute, atteint lors de la fastueuse tenue à Tunis du dernier sommet ordinaire de la Ligue des États arabes. Que n’a-t-on dit alors sur la réussite de notre diplomatie dans l’organisation d’un sommet parfaitement stérile? Félicitant le corps diplomatique dont il est le vrai chef, le président de la République en a parlé comme d’une illustration des «réussites» diplomatiques qu’il est bien le seul à voir.
Si vraiment le vote sans nulle signification, salué par le président, manifestait, comme il le dit «le respect et la confiance» placés en la Tunisie par la communauté internationale, n’aurait-il pas dû être unanime ?
Pour vanter les mérites de cette diplomatie Toutankhamon, outre l’organisation et la réussite du 30e Sommet arabe, le président évoque le choix de la Tunisie pour l’organisation du Sommet de la Francophonie de 2020. Or, la réussite purement formelle de la réunion arabe et un sommet francophone sans nulle initiative revitalisant son esprit d’origine (ce qui semble encore être le cas) suffisent-elles à constituer pour la Tunisie «une reconnaissance de son rôle actif en matière de diplomatie dans la promotion des valeurs de paix, de justice, de liberté, de coopération et de solidarité», ainsi que le dit M. Caïd Essebsi ?
Alors que le monde est au plus mal, que la situation est catastrophique en une Tunisie en péril imminent, n’est-il pas irresponsable de continuer d’user d’une langue de bois obsolète en prétendant que le siège au Conseil de sécurité permettra de «continuer à contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales» quand la Tunisie ne réussit déjà pas à instaurer la paix chez elle et à ses frontières, surtout avec une Libye plus que jamais livrée au chaos ? D’autant plus qu’elle est dans l’incapacité de respecter l’Onu et ses fonctionnaires !
M. Caïd Essebsi le dit pourtant dans ses félicitations aux diplomates, la période est «complexe et changeante» sur les plans régional et international, mais aussi national, incitant les Tunisiens à soutenir la diplomatie de leur pays. Pour cela, il est impératif qu’elle arrête de se comporter en zombie et agisse enfin véritablement sans se limiter aux slogans creux qu’elle n’arrête d’afficher.
Ce n’est point le fait que la Tunisie siégera 2 ans à partir du 1er janvier 2020 au conseil de sécurité qui changera quoi que ce soit au malheur de plus en plus grand de l’humanité; ce sont des initiatives concrètes et le courage de les prendre. Or, on n’ose le faire encore !
À la veille de l’indigne troc du siècle que le président américain entend imposer en Palestine, y a-t-il meilleure parade que de rompre avec l’actuelle politique de gribouille en normalisant les rapports avec Israël pour plus de crédibilité à demander — et même exiger — le retour à la légalité internationale ? Bien mieux, ce serait le moyen de renforcer la capacité de la Tunisie à obtenir que la résolution 573 du Conseil de sécurité du 4 octobre 1985, restée lettre morte à ce jour, soit enfin appliquée. Rappelons qu’elle condamne Israël en tant qu’État agresseur pour l’attaque perpétrée sur Hammam Chatt avec un droit à des réparations appropriées suite aux pertes en vies humaines et aux dégâts matériels. Il n’en a rien été à ce jour.
Par ailleurs, face aux drames récurrents en Méditerranée, n’est-il pas temps de quitter l’inertie actuelle dont on fait montre, cautionnant et encourageant la politique migratoire criminogène de l’Union européenne (UE) ? Les occasions ne manquent pas pour le faire, mais on n’ose contester la logorrhée sécuritaire européenne pour exiger ce qui tombe sous le sens et est même fatal à terme : la libre circulation humaine sous visa biométrique de circulation.
Or, voici le Sommet des deux rives qui se tient à Marseille le 24 juin, précédé par le Forum de la Méditerranée qui a vu se réunir à Tunis, le 7 juin, la société civile des pays du Dialogue 5+5. Y a-t-on seulement évoqué — et entend-on le faire ? — le seul vrai écueil à de possibles retrouvailles plus que jamais impératives avec la Méditerranée en tant que lac de paix : la libre circulation humaine ? Nullement ! Pourtant, ce fut — et ce sera encore le cas à Marseille — une opportunité à saisir pour lancer l’appel impératif à la libre circulation humaine rationalisée, se faisant sous visa biométrique de circulation, délivrable sans frais et pour une année minimum renouvelable.
Voici aussi venir le cinquantenaire de la francophonie en fin de 2020 et qui sera une autre occasion à saisir pour insuffler la vie dans le corps de cette diplomatie Toutankhamon, la réveiller de son état de mort clinique par des initiatives tout aussi osées que légitimes. Celle que commandent la logique, le droit et l’éthique est l’idée capitale, sinon révolutionnaire, de visa francophone pour initier l’inévitable évolution vers le visa biométrique de circulation en base future des relations internationales. On consultera avec intérêt à ce sujet et sur cette idée d’origine tunisienne, l’analyse publiée sur le site ‘‘Contrepoints’’ : «Pour un visa francophone de circulation !»
* Ancien diplomate et écrivain.
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