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Le destin contrarié de Selma Elloumi : Plus d’espoir à vendre ni de patente à rentabiliser !

Selma Elloumi, riche entrepreneure, co-fondatrice du mouvement Nidaa Tounes, est devenue présidente de Amal Tounes (Espoir de Tunisie), un «espoir» qui la fera vivre pour longtemps dans la prospérité, mais pas les Tunisiens qui, eux, mourront bientôt de faim.

Par Yassine Essid

Il y a les querelles théologiques, les querelles scientifiques ou philosophiques. Il y a surtout les querelles politiques. N’allez surtout pas imaginer que ces affrontements, qui mettent régulièrement aux prises les acteurs politiques à l’intérieur des instances du pouvoir autant que dans l’espace médiatique tunisien, tourneraient autour de doctrines traduisant une certaine conception de l’univers, des mouvements intellectuels appartenant à des idéologies réactionnaires ou progressistes. Il ne s’agit pas non plus de générer des connaissances, des concepts et des analyses à partir desquels leurs auteurs sauront penser leur monde ou porteraient, sur telle ou telle mesure à caractère social ou économique, des décisions éclairées qui seraient à prendre ou à rejeter. Que nenni. Ces conflits tournent le plus souvent en polémiques oiseuses qui font sonner des grands mots qui passent pour des idées et se résolvent en de pures logomachies. Nous vivons hélas cette réalité depuis huit ans.

La patente au cœur des querelles politiques en Tunisie

Pendant ces derniers mois, un violent face-à-face entre deux clans rivaux d’un même parti politique avait mis en évidence un vocable nouveau tout en lui réservant une nouvelle carrière : la patente. Passant de l’univers du petit boutiquier à la sphère politique, ce mot est désormais à répertorier dans la liste des modalités de pensée et d’action de la médiocratie politique de ce pays qui allie l’incompétence à la recherche de la satisfaction d’intérêts particuliers exprimés en vérités incontestables mais bien triviales.

La patente, qui a subitement acquis une forte saillance politico-médiatique, s’était ainsi retrouvée au centre d’une règlement de comptes, une sorte de «putsch» compliqué mené par des intervenants de tout bord, tendus vers la satisfaction de leur soif de pouvoir au détriment du bien commun et de l’urgence nationale. Bref, d’âpres rivalités opposant deux camps irascibles et hargneux aux dépens du sort de leur propre parti.

Scindé en deux, chaque partie dissidente prétendait représenter Nidaa Tounes. Sauf qu’il n’y avait qu’une seule patente et personne pour statuer sur son légitime détenteur. Enfin, et malgré le plein contentieux qui séparait le chef du gouvernement Youssef Chahed du fils du président Béji Caïd Essebsi, et une justice qui s’était déclarée incompétente, la présidence d’un gouvernement, virtuose de la volte-face, informa les farouches insurgés du congrès de Hammamet par une correspondance sans équivoque, que le véritable représentant légal de Nidaa Tounes demeure Hafedh Caïd Essebsi. Dépités, Soufiene Toubel et ses frondeurs durent abdiquer dans la défaite après s’être glorifiés d’être les authentiques mandataires des adhérents de Nidaa Tounes.

La riche héritière hérite d’un parti en déshérence

Sur ces entrefaites, Selma Elloumi, riche entrepreneure, co-fondatrice du mouvement Nidaa Tounes, aux côtés du futur chef d’Etat, Béji Caïd Essebsi (BCE), fut reconnue dès le départ parfaitement apte à détenir un maroquin. Elle est donc nommée ministre du Tourisme, puis promue directrice du cabinet présidentiel. Au plus fort de la crise, elle fut dépêchée par BCE auprès de la faction de Hammamet pour être aussitôt nommée présidente d’un parti en pleine déroute. A-t-elle été limogée de Carthage ou envoyée en intercesseur ? La réponse importe peu. Car aussitôt la «patente» de Nidaa Tounes légitimement récupérée par Hafedh Caïd Essebsi, et plutôt que de souffrir une mort lente, elle annonça son retrait le 8 juin 2019 de Nidaa Tounes et s’en alla fonder son propre parti politique en récupérant (à quel prix ?) la patente tombée en déshérence du parti d’Emna Mansour Karoui, désormais ex-présidente du Mouvement démocratique pour la réforme et la construction (MDRC) et première candidate féminine à la présidentielle.

La venderesse, par effet immédiat, poursuivra néanmoins ses activités au sein de son ex-formation baptisée par une formule ayant valeur incantatoire et une forme rythmique : Amal Tounes («Espoir de Tunisie»), et qui désigne l’état de celui pour qui l’espoir est la transaction du rêve avec la réalité. À n’en pas douter, cet «espoir» fera vivre pour longtemps dans la prospérité Mme Elloumi, mais les Tunisiens qui vivent de son espoir mourront bientôt de faim.

Ministre, elle n’a fait que perdre son temps et notre argent pour des broutilles

Selma Elloumi, sévère dignitaire, qui avait dès le départ pour fonction de veiller sur la gestion des biens d’un mouvement politique devenu une mémoire morte, est une dame effacée, sans doute une compétente entrepreneure mais peu douée pour le service de l’Etat. Son passage à la tête du ministère du Tourisme ne fut guère glorieux. Même, si la théorie de l’entreprise privée est passée dans les institutions publiques par l’entremise du concept de gouvernance, ses années au ministère passaient l’une après l’autre en des occupations insignifiantes.

Pour venir au secours d’un secteur moribond, elle passait son temps à vivre en vraie touriste en état de loisirs permanents, qui dispose de temps et d’argent pour s’offrir des déplacements fréquents jusqu’au bout du monde. Alors elle voyagea, visita un pays après l’autre, entreprit des démarches futiles, signa des accords creux et finit par se noyer entre le chiffre croissant des hôtels qui ferment, le poids des emplois perdus, le nombre des touristes les moins dépensiers du monde qui débarquaient au compte-gouttes et le calcul des promesses creuses de ses partenaires étrangers qui lui assuraient des débarquements en masse.

On a rarement vu ministre responsable d’un secteur jusque-là prospère et insouciant se démener avec une verve aussi désolante en affichant sans retenue sa satisfaction, perdant son temps et notre argent pour des broutilles.

Un petit parti pour les petites gens et les oubliés

La création d’un 220e parti politique (si nos calculs sont à jour), révèle encore une fois l’état des institutions de pouvoir qui intègrent depuis cinq ans des logiques de gouvernement à la petite semaine et des acteurs interchangeables, des êtres roublards devenus des élus, toujours prêts à «jouer le jeu» sans que les règles n’aient jamais été clairement explicitées. Pendant ce temps, l’état social du pays s’écroule et les modalités économiques sont dans un état de faillite programmée.

À quatre mois des élections on ignore où l’amènera cette nouvelle monture. En attendant, elle a commencé par le plus facile : composer une garde rapprochée d’un petit parti pour les petites gens et les oubliés. Elle s’est entourée de militants baratineurs, d’imposteurs démagogiques, d’universitaires faussaires, de pique-assiette et d’écumeurs de marmite notoires, d’experts en mensonges, d’intellectuels qui contribuent à saper dans la société toute démocratie véritable. Bref, un ramassis d’individus depuis longtemps discrédités qui n’ont rien à faire dans la politique et rien à faire dans le débat public. Des personnages médiocres, envieux, qui ne pensent qu’à eux, qui n’ont jamais rien apporté à la société et serviront une fois de plus à déshonorer la vie publique.

Mais pour elle, le plus dur reste à faire. Car au-delà de l’acronyme ‘E.T.’ (à ne pas confondre avec le film qui raconte l’histoire de l’extraterrestre qui se lie d’amitié avec un enfant solitaire), demeure la question de l’identité, pierre angulaire idéologique de tout les partis politiques et loi invariable qui annonce un avenir où les rapports entre l’homme et le monde qui l’entoure devront être plus parfaits qu’ils ne sont.

Si l’on exclut l’idée que le projet de Mme Elloumi serait à l’évidence autre chose qu’une régénérescence des vagues conceptions politiques de Nidaa Tounes et ses dérivés : Machrou Tounes, Tahya Tounes, Al-Moubâdra, bien que ce dernier ait été créé avant lui, et autres boutiques totalement coupées de la société, représentatives des intérêts de leurs dirigeants incapables de mettre en œuvre leurs programmes une fois aux affaires, il y aurait forcément là naissance d’une nouvelle voie qui nous mènera tout droit à la croissance et au progrès. Or Amal Tounes (un débris de plus ?) compte justement éviter ces écueils, n’entend pas reposer uniquement sur la conquête d’un pouvoir fortement convoité bien que totalement discrédité, mais procéderait de l’élaboration mûrement méditée d’un corpus doctrinal à l’usage des collaborateurs, des adhérents, des experts en communication et d’une base de militants qui constituera l’infrastructure du parti.

Disséminés dans tout le pays, ils constitueront la réalité de sa durable implantation. Enfin, il définira des programmes répondant à la demande sociale tout en bénéficiant de larges soutiens. Il faudrait simplement que les dirigeants du parti sélectionnent des représentants à l’image de la diversité de leur électorat en s’appuyant sur des réseaux sociopolitiques denses et stabilisés. Est-ce vraiment le cas?

Sitôt proclamés, les rassemblements finissent en ruptures intempestives

Le processus démocratique, né du printemps arabe, a introduit un changement total de la donne politique. La démocratie, donnant plus que jamais à tous, nobles et roturiers, le même espoir de pouvoir un jour briguer une fonction politique, continue de produire à chaque approche d’une échéance électorale le même mélange composite, le même fatras de partis n’ayant la plupart du temps pour dessein que de satisfaire l’amour-propre et l’ambition infinie de leurs dirigeants. Craignant la marginalisation, ils racolent tous azimuts par des slogans dérisoires et des clichés sans substance à l’adresse d’une opinion publique qui ne sait plus qui croire, car ils prétendent tous avoir trouvé la solution définitive et entière des problèmes du pays.

À l’approche des élections législatives de novembre, l’habituel commerce informel se réinstalle au cœur même de la vie politique où se dressent des étals hétéroclites, où chaque parti, chaque corporation, expose et flatte sa marchandise. Des communiqués, qui se comptent par dizaines, annoncent chaque matin des tentatives de rapprochements, des processus de négociations, des engagements et des pourparlers constructifs. Mais voilà que des clivages nouveaux apparaissent, des mésententes profondes deviennent des guerres ouvertes et viennent contrarier toutes les bonnes intentions, tous les rapprochements fraternels. Et les rassemblements finissent, sitôt proclamés, en résistances et en ruptures intempestives.

Dans les longues artères de ce bazar démocratique, défilent des boutiques modestes portant des noms derrière lesquels on saisit mal la référence, des échoppes primitives au personnel dérisoire, un commerce, jadis prospère et dominant, aujourd’hui victime d’un lourd contentieux, et un grand magasin, parfaitement agrée, qui solde sans marchander mais dont l’arrière-boutique demeure inaccessible.

Dans ce marasme de la vie politique, plus personne ne règne en maître, plus personne ne détient la souveraine volonté. Chacun cherche à clamer ses bonnes intentions, rassurer la population et la soustraire à l’influence de l’adversaire par des mensonges organisés.

L’ambiance générale est aujourd’hui très sombre et les perspectives d’avenir bien compromises. L’ampleur de la crise économique et sociale, le délitement des formes traditionnelles de l’autorité de l’Etat qui sont à la base de l’impuissance du politique, l’incompétence des dirigeants, la défiance de l’opinion publique face aux partis, les contraintes multiples auxquelles sont confrontés tous les gouvernements et tous les secteurs de l’économie que la mondialisation des échanges ne fait qu’aggraver, font que ceux ou celles qui s’érigent aujourd’hui comme les réformistes ambitieuses de demain, ne peuvent proposer que du sang et des larmes. Pour faire bref, il n’y a plus beaucoup d’espoir à vendre ni de patente à rentabiliser.

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