Né au Caire, en Egypte, le 16 avril 1912, et mort à Paris le 2 janvier 1991, Edmond Jabès est un écrivain et poète de langue française. Né dans une famille juive francophone, Edmond Jabès est d’abord un passeur de culture et de mémoire entre les rives de la Méditerranée. Il est aussi, comme l’écrivait René Char, l’auteur d’une œuvre «dont on ne voit pas d’égal en notre temps».
Marqué dans sa jeunesse par la disparition prématurée de sa sœur, il publie dès 1929 diverses plaquettes de poésie et se lie d’amitié avec Georges Henein, Albert Cossery et Andrée Chédid, des compatriotes au destin similaire.
Edmond Jabès est amené à quitter son Égypte natale en 1956 lors de la crise du canal de Suez, en raison de ses origines juives. Cette expérience douloureuse du déracinement devient fondamentale pour son œuvre, marquée par une méditation personnelle sur l’exil, le silence de Dieu et l’identité juive, qu’il dit n’avoir découvert qu’à l’occasion de son départ forcé. Installé alors à Paris, il y demeure jusqu’à sa mort. Il sera naturalisé français en 1967. Son œuvre marquera de nombreux écrivains comme Maurice Blanchot ou Jacques Derrida.
‘‘Petites poésies pour jours de pluie et de soleil’’, recueil dont sont extraits les poèmes suivants a été publié par les éditions Gallimard en 1991, l’année de sa mort.
Le mouton et le corbeau
Un jeune mouton
Tout blanc, tout blanc,
Et un vieux corbeau
Tout noir, tout noir
Devisaient sagement
Dans un pré accueillant.
« Je rêve d’avoir des ailes
Comme toi, dit le mouton.
Je pourrais à volonté
Me rouler dans le ciel
Sans crainte, ni surprise. »
« Moi, dit le corbeau, je hais
Le ciel pour trois raisons.
D’abord il est vide et trop haut,
Ensuite parce que, le plus souvent,
Il est couvert d’épais nuages
Et, enfin, parce qu’aucun oiseau
Ne peut s’y tenir debout.
Veux –tu savoir de quoi je rêve ?
D’un tendre fromage de chèvre. »
Et, sans un mot d’adieu, s’envola
Vers le vaste pays de l’oubli,
Un pays d’air, de vent, de neige, de pluie
Mais aussi de soleil, à ses meilleurs moments.
Abandonnant le mouton, tout interdit,
A son champ délimité, aux couleurs
De paresse et de mélancolie.
L’ours blanc et l’ours brun
L’ours blanc c’est son droit
N’aimait pas l’ours brun
Qui le lui rendait bien.
Un chasseur, un matin, survint
Et de trois balles, de son vieux fusil
Blessa sérieusement l’ours brun.
L’ours blanc en fut tout ému.
Aussi quand le chasseur voulut, la croyante morte,
S’approcher de sa victime,
L’ours blanc bondit sur lui
Et d’un seul coup de patte l’assomma.
L’ours brun, malgré sa douleur, sourit.
Et l’ours blanc s’en réjouit, se souvenant
Qu’ils étaient frères.
Plus tard, ils dévorèrent, à eux deux,
L’aventureux chasseur malchanceux.
L’âne en peine
Un âne avait beaucoup de peine
à raconter sa vie d’âne
à un beau cheval blanc
Qui le narguait.
« Exprime-toi comme un cheval »,
Lui disait le cheval.
Et l’âne lui répondait :
« Je ne puis que m’exprimer comme un âne
Puisque j’en suis un. »
Et le cheval irrité lui disait :
« Un âne se tait devant un cheval,
Ne l’as-tu pas appris ? »
Et l’âne pleurait, pleurait.
Et ses larmes, c’était un matin d’été torride
Rafraîchissant le sol qui, à sa façon, le remerciait.
Ciel et terre
Un chien bleu
Avec des poils gris.
Un chat gris,
Avec des yeux bleus.
Un mur blanc et chaud.
Le chat dessus, le chien dessous.
Et un oiseau s’amusant bien
Tout là-haut. Tout là-haut.
Ciel bleu. Terre grise.
Pour les vivants, point de surprise.
Le monde sera toujours ce qu’il est,
Comme le chien et comme le chat,
Comme l’autruche et le chameau,
Comme l’aube et le crépuscule
Et comme le rêve de ce bel été
Qui recule.
L’arbre volant
Que les bois aient des arbres,
Quoi de plus naturel ?
Que les arbres aient des feuilles,
Quoi de plus évident ?
Mais que les feuilles aient des ailes,
Voilà qui, pour le moins est surprenant.
Volez, volez beaux arbres verts.
Le ciel vous est ouvert.
Mais prenez garde à l’automne, fatale
Saison, quand vos milliers et milliers d’ailes
Redevenues feuilles tomberont.
Donnez votre avis