Selon l’ambassadeur de Turquie en Tunisie, Omer Faruk Dogan, la Tunisie n’a pas su profiter, à temps, d’importants investissements turcs privés et publics, lesquels, faute de compréhension, ont migré vers d’autres pays plus accueillants. La vérité est tout autre…
Par Khémaies Krimi
Le diplomate, qui s’exprimait récemment, lors d’une conférence de presse tenue à l’occasion du 3e «anniversaire» de la tentative du coup d’Etat qui a eu lieu le 15 juillet 2016 en Turquie, a révélé que des investisseurs turcs ont, ces dernières années, projeté d’investir dans le tourisme et l’industrie tunisiennes quelque 5 milliards de dollars mais les autorités tunisiennes, pour diverses raisons qu’il n’a pas voulu évoquer, n’ont pas été à leur écoute et ne leur ont pas facilité la tâche.
Résultat, selon l’ambassadeur : les investisseurs turcs ont changé de destination et sont allés investir ce montant en Algérie et en Egypte.
Accointances entres Ennahdha et l’AKP
Ce que n’a pas dit le diplomate, qui vient de finir sa mission en Tunisie, le 12 juillet 2019, c’est que ces prétendus investisseurs turcs, dopés par les accointances entre le parti Ennahdha, au pouvoir en Tunisie depuis 2012, et le Parti de la justice et au développement (AKP), également au pouvoir en Turquie, ne voulaient pas investir dans de nouveaux projets mais seulement pour prendre la place d’investisseurs européens déjà engagés pour la réalisation de mégaprojets touristiques ou pour la reprise de sociétés publiques.
C’est le cas du groupe italien Alfa Accia, leader de l’industrie sidérurgique dans son pays, qui avait, en 2016, manifesté, dans un communiqué officiel son intérêt pour l’acquisition de 49% de la société El Fouledh. Depuis silence radio.
Il semblerait que les ministres nahdhaouis qui sont à la tête des départements économiques, particulièrement Zied Ladhari, alors ministre de l’Industrie et actuellement ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, ont tout fait pour enterrer le projet afin de donner une chance aux Turcs.
Le même scénario s’est répété avec le mégaprojet de tourisme de santé, la cité thermale d’El-Khbayat (gouvernorat de Gabès), dont le coût s’élève à plus de 400 millions d’euros.
Un groupe autrichien a été retenu pour piloter et réaliser le projet sur cinq ans. Ce groupe, représenté par son directeur exécutif, Gerhard Weiser, avait co-paraphé, en 2013, avec le ministre tunisien du Développement et de la Coopération internationale de l’époque, le Nahdhaoui Lamine Doghri, un mémorandum d’entente portant sur la création d’une ville thermale à El Khbayat.
Depuis, on a très peu entendu de ce projet. Il n’a même pas été évoqué lors du Forum économique tuniso -autrichien qui s’est tenu les 20 et 21 novembre 2018 à Vienne.
Les Turcs ciblaient des produits et ouvrages géostratégiques
D’après des sources locales et nationales concordantes, derrière le retard qu’accuse ce projet, des tractations seraient en cours pour pousser le promoteur autrichien à abandonner le projet et à le confier à un autre turc.
Les investisseurs turcs ont manifesté également de l’intérêt pour deux grands projets fort rémunérateurs.
Cité sans la nommer par l’AFP, un groupe turc, en lice avec un autre qatari, aurait tout fait, au temps de la «Troïka», l’ancienne coalition gouvernementale dominée par Ennahdha, ayant gouverné de 2012 à 2014, et même après 2014, pour pousser le gouvernement tunisien à transférer l’aéroport de Tunis Carthage en dehors de Tunis en contrepartie d’un montant faramineux, le prix de deux aéroports de cette dimension.
Les Turcs sont également fort intéressés par le conditionnement de toute l’huile d’olive tunisienne. Lors d’un récent atelier organisé par la Chambre syndicale des exportateurs d’huile, sur le thème : «Promotion internationale des labels tunisiens d’huile d’olive : perspectives et stratégies», des lobbies ont plaidé pour l’accélération du projet de création d’une grande société mixte tuniso-turco-japonaise pour le conditionnement, en Tunisie, de toute l’huile d’olive produite en Tunisie.
Lorsqu’on sait que cette société sera créée dans le cadre de la fameuse loi 72 (malheureusement toujours en vigueur), la part des recettes d’exportation en devises des parties qui reviendraient de droit aux partenaires turcs et japonais sera transférée en toute légalité à l’étranger et échappera au contrôle des Tunisiens.
En somme, il semble raisonnable que lorsqu’on parle de l’investissement turc en Tunisie, il y a toujours des calculs pas très nets.
Les Tunisiens ont beaucoup souffert, ces dernières années, de l’ingérence des Turcs, en raison de l’islam politique déstructurant qu’ils soutiennent en Tunisie et en raison de l’asymétrie des échanges commerciaux avec la montée en puissance des exportations turques vers la Tunisie, et leur corollaire, la destruction d’importants pans de l’industrie par l’effet du dumping et de la concurrence déloyale. Sans oublier qu’une partie des produits de contrebande inondant la Tunisie transite par la Turquie et atterrit en Tunisie via les ports libyens.
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