Dans cet article publié le 7 août 2019, le journal émirati « Gulf News » commente les prochaines élections présidentielles en Tunisie. Le sous-titre de l’article sonne comme une sonnette d’alarme : «Les élections du mois prochain, pourraient donner le pouvoir à un parti islamiste».
Par Bobby Ghosh
La seule démocratie issue du Printemps arabe a récemment passé avec succès, non pas un mais deux tests qui ont beaucoup retenu l’attention: la transition du pouvoir rassurante et exempte de drames après la mort de son président, le nonagénaire Béji Caïd Essebsi (BCE).
L’autre, deux attentats-suicides à la bombe perpétrés dans la capitale le 27 juin, est passé inaperçu dans le monde. Contrairement aux précédents actes de terrorisme à Tunis, il n’y a pas eu d’inquiétude quant à la stabilité du pays, les autorités ayant réagi avec calme.
Un troisième test, après ceux de l’attentat du 27 juin et la disparition de BCE
Un troisième test est peut-être imminent, alors que le pays se prépare à une élection présidentielle le mois prochain, suivi des élections législatives le mois suivant: les Tunisiens peuvent-ils accepter d’être dirigés par des islamistes? D’autres pays arabes ont essayé et ont pour la plupart échoué. En Algérie voisine, un vote remporté en 1991 par les islamistes a été renversé par une alliance entre laïques et militaires.
Caïd Essebsi et Ghannouchi sont arrivés à un modus vivendi
Depuis que les Tunisiens ont renversé leur dictateur en 2011, ils ont évité de confier l’autorité absolue aux laïcs ou aux islamistes, les obligeant à collaborer dans le cadre d’un délicat rapport de forces.
À l’élection de 2014, aucun parti n’a obtenu de majorité claire. BCE et Rached Ghannouchi sont arrivés à un modus vivendi. Après la fracture de la coalition laïque de 2018, le Premier ministre Youssef Chahed a pu continuer à gouverner avec le soutien d’Ennahdha.
Chahed se présente maintenant à la présidence. Ghannouchi décidera s’il le mettra au défi et transformera le vote du 15 septembre en un affrontement entre le plus séculier du pays et son islamiste le plus puissant. À moins que les 2 hommes ne parviennent à un accord de partage du pouvoir, les lignes de front seront rappelées pour les élections législatives du 6 octobre.
Ennahdha préfère le terme «démocrate musulman» à «islamiste»
Avec les forces laïques divisées entre Hafedh Caïd Essebsi et Chahed, les islamistes pourraient finir par contrôler les 2 leviers du pouvoir, celui du chef du gouvernement et du président.
Que Gannouchi se présente au Parlement (ce qui ferait de lui le favori comme 1er ministre) ou à la présidence, il exercera pour la 1ère fois un pouvoir politique direct, n’ayant jamais été candidat à des fonctions politiques auparavant. De nombreux laïcs tunisiens – en particulier les jeunes manifestants qui ont lancé le Printemps arabe – restent profondément méfiants à l’égard de ses opinions religieuses, même si elles sont beaucoup plus modérées que celles des Frères musulmans.
Ennahdha préfère maintenant le terme «démocrate musulman» à «islamiste», mais comme je l’ai découvert lors d’un voyage de reportage à Tunis en février, de nombreux Tunisiens pensent qu’il ne s’agit que d’un masque.
Bien entendu, l’élection pourrait rendre théorique la question du pouvoir islamiste en reprenant le résultat de 2014, aucun parti ne disposant de la majorité au parlement. Mais si le passé récent sert de guide, cela rendrait la politique compliquée, car le gouvernement (islamiste ou laïque) aura plus de difficultés à entreprendre des réformes économiques difficiles, mais nécessaires.
Ce qui nous amène au test ultime de la Tunisie: en l’absence de redressement économique, combien de temps sa démocratie peut-elle être considérée comme acquise? Quoi qu’il en soit, cette question ne peut être théorique.
Traduit de l’anglais par Amina Mkada
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