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Le voile et le burkini ne protègent pas la femme mais menacent sa liberté et ses droits

Le voile transmet un discours, il a également une histoire et une culture. On ne peut l’analyser en faisant fi des éléments qui l’entourent. Autrement, les principes d’égalité et de liberté se retournent contre la modernité et la laïcité, au lieu de protéger la femme, menace ses acquis.

Par Razika Adnani *

Parmi les sujets qui ont suscité beaucoup de polémique cet été en France, il y a celui du burkini. Pour soutenir les actions des femmes réclamant l’autorisation du port de ce vêtement de bain au niveau des piscines publiques, un collectif universitaire français a affirmé que le burkini n’était pas un symbole religieux. La preuve en est, selon eux, qu’il n’est prescrit par aucun texte et que les conservateurs ne le revendiquent pas étant donné que pour ces derniers la femme ne doit tout simplement pas aller à la piscine ni à la plage.

Pourtant, le burkini est la version maillot de bain du voile. Ce sont les femmes voilées qui le portent pour se baigner. En ce sens, au moins pour elles, il est un symbole religieux tout autant que le voile.

Les femmes qui portent le burkini le font parce qu’elles sont convaincues que c’est recommandé par leur religion

Le fait que le burkini ne soit pas prescrit dans les textes n’est pas une raison pour prétendre qu’il n’est pas un symbole religieux. Rappelons que la dissimulation de la chevelure de la femme sous un foulard n’est pas non plus prescrite dans les textes. Ce n’est pas pour autant que le port du foulard est dépourvu de tout caractère religieux pour les adeptes du voile.

Un objet contient une symbolique religieuse ou pas selon la représentation qu’il a aux yeux de ceux qui y croient ou l’utilisent. Les femmes qui portent le burkini le font pour que les hommes ne voient pas leur corps et elles sont convaincues que c’est ce que leur religion leur recommande.

Quant au deuxième argument, il faut savoir que les fondamentalistes considèrent que la femme ne doit sortir de chez elle qu’en cas d’extrême nécessité. Elle ne doit donc ni aller travailler ni même se promener. Peut-on dans ce cas dire au sujet des femmes voilées, qui vont à l’université ou à l’entreprise, que leur tenue n’a aucun critère religieux ? Pour beaucoup de conservateurs, la femme ne doit pas non plus montrer son visage. Doit-on en déduire que le voile qui ne couvre pas le visage n’est pas un symbole religieux ? En effet, on pourrait le penser, mais ce n’est pas l’avis de celles qui le portent.

Le Burkini n’est pas un signe de modernité

Personne ne peut ignorer que les musulmans ne pratiquent pas tous l’islam de la même manière. Les plus orthodoxes ne le conçoivent que dans sa version du VIIe siècle.

En revanche, aujourd’hui beaucoup d’autres ne rejettent pas le changement mais veulent l’inscrire au sein de l’islam. Les femmes qui portent le burkini appartiennent à cette tendance. Elles veulent être des femmes qui travaillent, qui vont à la piscine et à l’université tout en se soumettant aux règles de l’islam dont le premier signe visible est le port du voile.

Il y a donc une nouvelle vague de musulmans pratiquants qui revendiquent une modernité puisant ses sources dans l’islam et non celle que l’Occident impose selon eux.

Ainsi, si le burkini n’a rien de traditionnel, cela ne signifie pas qu’il n’a rien de religieux. Et s’il n’a pas été connu dans le passé, il n’est pas forcément moderne, comme le pensent certains universitaires en France, sauf à considérer que la modernité est ce qui est récent, ce qui est lié au temps et à l’époque. Alors que lorsqu’il s’agit du comportement des hommes et des femmes, la modernité est une attitude et un état d’esprit grâce auxquels l’être humain prouve sa maturité.

Le burkini tout comme le voile est un signe de discrimination à l’égard des femmes

L’un des principes de la modernité, et des aspects de cette maturité, est celui de l’égalité hommes-femmes alors que le port du voile, imposé à la femme et non à l’homme, est une pratique discriminatoire à l’égard de la femme.

Avant même l’arrivée de l’islam, il est pour Saint Paul le signe visible de la subordination de la femme à l’homme. «Ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance», écrit-il dans son épître aux Corinthiens. Pour Saint Paul, la femme doit se couvrir la tête pour marquer une distance entre elle et Dieu. En revanche, l’homme a le monopole du rapport direct avec Dieu.

Ainsi, évoquer l’argument d’égalité en défendant le voile, l’égalité de tous de s’habiller comme ils veulent, est un non-sens si cela ne concerne pas l’égalité hommes-femmes, si l’on ignore les discriminations à l’égard des femmes, discriminations qui commencent par celle du corps. Le corps de la femme doit être caché et non celui de l’homme disent les adeptes du voile. Seule la femme est donc soumise au port du voile tandis que l’homme s’habille selon sa convenance. À la plage, l’homme a le droit de jouir de la chaleur du soleil caressant sa peau tandis que la femme, à cause de son corps dont on lui a toujours appris qu’il était un problème et qu’elle devait le dissimuler, est privée de ce plaisir.

Le discours que le voile transmet ne reconnaît que le corps

Un autre élément qui empêche de qualifier le burkini de moderne est le fait que la modernité valorise l’humain en tant qu’être penseur et responsable alors que le discours que le voile transmet aux musulmans ne reconnaît que le corps. Il parle de la femme comme un corps suscitant le désir et de l’homme comme un corps mu par ses instincts. L’homme est incapable de maîtriser ses pulsions devant le corps de la femme, disent les adeptes du voile.

Ainsi, la seule façon pour la femme de se protéger contre les agressions sexuelles de l’homme est de couvrir son corps. Cette «déshumanisation de l’homme» est le tribut que celui-ci paye pour obtenir de la femme qu’elle se voile, déshumanisation dont les conséquences sont désastreuses sur les relations inter- individus et la qualité de vie au sein des sociétés musulmanes ; la femme a été assignée à la claustration à vie pendant des siècles, une pratique barbare et un crime contre l’humanité qu’il ne faut jamais oublier.

C’est pour cela que le voile ne peut pas être un signe de modernité y compris sa version maillot de bain, le «burkini», même si ce dernier a été inventé en 2003. Le discours que le voile transmet ne valorise pas la liberté ni celle de l’homme, qu’il présente comme une matière sans esprit, ni celle de la femme. Le voilement des petites filles contredit l’argument de la liberté. Si la liberté est avant tout un choix en connaissance de cause, on ne peut pas prétendre que petites filles savent pourquoi elles se voilent ou qu’elles ont atteint la maturité intellectuelle et morale permettant de choisir de le faire ou pas.

Croire que le burkini libère la femme est une erreur

C’est une erreur de croire que le burkini libère la femme. En France, la femme est libre de sortir, d’aller à la plage. L’idée du voile libérateur de la femme est née chez certains intellectuels maghrébins qui pensent que le voile a permis à la femme de sortir de la maison et d’investir l’espace public.

Or, c’est le combat acharné des féministes, femmes et hommes de la première moitié du XXe siècle, qui a délivré la femme musulmane de sa prison à vie et en même temps de l’obligation de porter le voile ; dans les années 60 et 70, il était inconcevable qu’une femme qui travaille ou qui va à l’université porte le voile. Il est important de le rappeler, car le voile s’imposant aujourd’hui est essentiellement une revanche des conservateurs. À défaut de ramener la femme à la maison, ils lui ont imposé à nouveau le port du voile.

En conclusion, le voile transmet un discours, il a également une histoire et une culture. On ne peut l’analyser en faisant fi des éléments qui l’entourent. Autrement, les principes d’égalité et de liberté se retournent contre la modernité et la laïcité au lieu de protéger la femme menace ses acquis.

* Philosophe, islamologue, membre du Conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France, membre du groupe d’analyse JFC Conseil.

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