L’Organisation internationale du travail (OIT) a publié son rapport 2018/19 sur les différences salariales entre les hommes et les femmes. Il en ressort que celles-ci gagneraient en Tunisie 5% de plus que les hommes… en théorie.
Par Amina Mkada
Le rapport de l’OIT 2018/19 analyse l’écart de rémunération entre hommes et femmes et se concentre sur 2 principaux défis: comment trouver les moyens les plus utiles pour mesurer, et comment réduire l’écart salarial entre hommes et femmes de manière à informer au mieux les décideurs et les partenaires sociaux des facteurs qui le sous-tendent.
Le rapport inclut également un examen des questions politiques clés, concernant les salaires et la réduction des écarts salariaux entre hommes et femmes, dans différentes situations nationales.
Il compare environ 70 pays, dont la Tunisie, et 80% des employés salariés dans le monde, selon 4 catégories de revenus où ils sont classés: le revenu élevé, le revenu moyen supérieur, le revenu moyen inférieur (RMI), où la Tunisie est classée, et le revenu inférieur.
Situation dans le monde
Il y a 3 causes majeures, sources d’inégalités salariales dans le monde: la rémunération des femmes est inférieure pour un travail de valeur égale dans de nombreux pays; les femmes ayant un niveau d’instruction plus élevé que les hommes de la même catégorie professionnelle sont moins payées; il y a sous-évaluation du travail des femmes dans des professions et des entreprises fortement féminisées, même si similaires en termes d’effectifs, de branche d’activité, de propriété du capital, et de type d’accord salarial collectif signé.
Selon les enquêtes sur les salaires dans 64 pays, qui, ensemble, représentent la répartition des rémunérations d’environ 75% des salariés du monde, le rapport conclut que c’est dans les catégories de pays à revenu moyen inférieur (RMI) et revenu inférieur, que les inégalités salariales dans le monde sont les plus élevées, comme l’Afrique du Sud, la Namibie, la Tanzanie et le Malawi en 2018/2019.
Utilisant les salaires horaires moyens pour évaluer l’écart salarial entre hommes et femmes, le rapport constate que l’écart salarial entre hommes et femmes à l’échelle mondiale est d’environ 16%, d’après les données de 73 pays représentant environ 80% des travailleurs du monde.
Il y a toutefois des différences importantes entre les pays: 34% d’écart au Pakistan entre le salaire horaire des hommes et celui des femmes, et −10,3% en Tunisie (entre autres), ce qui signifie que, dans notre pays, les femmes gagnent en moyenne 10,3% de plus que les hommes.
Ceci en théorie, car le rapport explique que si la quantité de données étudiées est réduite, les résultats peuvent être faussés. En effet, des cas exceptionnels peuvent prendre une importance non-représentative comme dans d’autres pays, où il n’y a aucune représentation des femmes dans les catégories des plus bas salaires, alors que certaines sont bien présentes dans la catégorie des plus hauts revenus.
Le niveau d’instruction et les autres attributs professionnels n’expliquent que partiellement l’écart salarial entre hommes et femmes, en différents points de la répartition des salaires. La part inexpliquée de l’écart salarial hommes-femmes prédomine dans presque tous les pays, quel que soit leur niveau de revenus.
Cela s’explique dans la pratique, par le fait qu’une grande partie des femmes peu instruites restent en dehors du marché du travail ou travaillent à leur propre compte, et non en tant que salariées.
Les écarts de rémunération cachent une ségrégation professionnelle: les femmes continuent à être sous-représentées dans les catégories traditionnellement occupées par des hommes. Dans des catégories similaires, elles sont toujours moins payées que les hommes, même si les résultats scolaires sont aussi bons ou meilleurs que ceux des hommes dans les mêmes professions.
Les écarts cachent également une polarisation entre les sexes: en Europe, par exemple, travaillant dans une entreprise à prédominance féminine de main-d’œuvre peut entraîner une pénalité salariale de 14,7%, par rapport au travail dans une entreprise avec des attributs de productivité similaires, mais avec une répartition des sexes différente.
La maternité entraîne une pénalité de salaire qui peut persister dans une vie professionnelle féminine, alors que le statut de père est associé de manière persistante avec une prime de salaire.
Les 5 mesures de l’écart salarial utilisées par l’OIT
La croissance des salaires réels est calculée sur la base des salaires mensuels bruts et non celle des salaires horaires, pour lesquels il y a moins de données. En conséquence, les fluctuations reflètent à la fois les variations des salaires horaires, et celles du nombre moyen d’heures de travail effectuées.
Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire (comme en Tunisie), les salaires moyens restent trop bas pour répondre adéquatement aux besoins des travailleurs et de leur famille.
Retenons que parmi les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, qui est de parvenir d’ici 2030 à «un salaire égal pour un travail de valeur égale», un des indicateurs déterminants proposés consiste à comparer le «salaire horaire moyen des salariés hommes et femmes».
Les mesures les plus fréquemment utilisées sont celles de «l’écart salarial moyen ou médian entre hommes et femmes». Pour l’écart moyen, on additionne les salaires annuels sélectionnés et on divise par le nombre d’années retenues, 25 maximum. Cette moyenne des meilleurs salaires annuels donne le salaire annuel moyen. Pour l’écart médian, on compare la valeur située au milieu de l’échelle salariale des femmes, à celle au milieu de l’échelle salariale des hommes.
Cependant, la comparaison des salaires mensuels et des salaires horaires, fait aussi apparaître d’autres différences.
Se fondant sur ces 4 combinaisons possibles (salaire moyen/médian et salaire mensuel/horaire) et leur croisement, le rapport constate que les estimations mondiales varient de 16 à 22% environ, selon la méthode de mesure utilisée. On obtient le chiffre de 22% d’écart salarial dans le monde, en comparant les salaires mensuels médians.
Une 5e mesure complémentaire utilisée par l’OIT est celle de l’écart salarial pondéré entre hommes et femmes. Le rapport relève que dans la plupart des pays – surtout ceux où le taux de participation des femmes à l’emploi salarié est faible – les travailleuses ne présentent pas les mêmes caractéristiques que les hommes, et se trouvent concentrées autour de certains salaires horaires dans l’échelle salariale.
Dans cette configuration irrégulière, les estimations de l’écart salarial basées sur un seul chiffre correspondant à la valeur «moyenne» ou «médiane», peuvent être difficiles à interpréter et risquent de fournir des informations peu utiles aux décideurs politiques, en raison du biais que constitue cette concentration.
Certains pensent qu’il est important de noter que le premier chiffre retenu dans l’étude de l’OIT, est le taux brut de différence salariale. Un taux qui, comme expliqué dans l’étude elle-même, n’est peut-être pas la meilleure donnée pour mesurer les inégalités salariales entre les genres. Les chercheurs expliquent que la différence salariale brute, qu’ils qualifient de «non-pondérée», peut s’expliquer par des facteurs multiples qui ne sont pas pris en compte dans le calcul : le niveau scolaire, une plus forte représentation des femmes dans les secteurs à bas salaire, ou dans les emplois à temps partiel.
L’OIT propose une alternative : étudier les différences de salaire au cas par cas, en fonction des âges, des niveaux d’étude, du nombre d’heures de travail, afin de pouvoir finalement comparer ce qui est comparable. Et c’est là que tout bascule : avec ce nouveau taux, appelé taux pondéré de différence salariale, pratiquement tous les pays concernés par un écart salarial bénéficiant aux femmes, comme en Tunisie, se retrouvent avec une différence salariale en faveur… des hommes !
7 solutions possibles
Pour obtenir des indicateurs plus justes et plus près des réalités, l’OIT suggère 7 solutions:
1- revoir et modifier les enquêtes existantes en introduisant par exemple, des modules ayant spécifiquement trait aux écarts salariaux entre hommes et femmes dans des enquêtes transversales;
2- ne pas se contenter d’effectuer des mesures sommaires, mais examiner plus en détail les structures salariales respectives des hommes et des femmes, analyser les écarts salariaux hommes-femmes dans des sous-groupes de salariés plus homogènes, et calculer des écarts salariaux pondérés entre hommes et femmes qui tiennent compte de quelques-uns des principaux effets de composition. Cela est particulièrement utile lorsque la participation des femmes à la vie active est faible, et lorsque les femmes sont concentrées dans des secteurs et des professions spécifiques;
3- se poser une question importante: l’écart salarial entre hommes et femmes dans un pays donné est-il dû surtout à des différences de salaires au bas, au milieu, ou au sommet de la répartition salariale?;
4- les politiques et les mesures visant à ce que les femmes soient davantage représentées dans les postes à responsabilités et à salaire élevé, pourraient avoir un effet positif aux échelons supérieurs de la répartition;
5- la formalisation de l’économie informelle peuvent elles aussi être très bénéfiques pour les femmes, en leur conférant la protection effective de la loi et en leur donnant les moyens de mieux défendre leurs intérêts;
6- Si 40% de l’ensemble des pays ont adopté tel quel, le principe du «salaire égal pour un travail de valeur égale», les autres privilégient plutôt le principe plus étroit du «salaire égal pour un travail égal».
De plus, certains pays ont pris des mesures en faveur de la transparence des rémunérations, afin d’exposer au grand jour les écarts de salaires entre hommes et femmes, ce qui oblige les entreprises (surtout les grandes) à révéler ce que gagnent leurs employés.
Ces dernières années, plusieurs pays ont adopté en matière d’équité salariale, des lois préventives exigeant des employeurs qu’ils procèdent régulièrement à un examen de leurs pratiques de rémunération et à l’évaluation des écarts salariaux entre hommes et femmes, et qu’ils prennent des mesures pour éliminer la part de ces écarts due à une discrimination salariale;
7- réduire ou éliminer les écarts salariaux entre hommes et femmes, dans une politique plus générale d’égalité entre les sexes.
Où en est la Tunisie?
Les chiffres du rapport de l’OIT indiquent que la Tunisie est le seul pays qui conserve une différence salariale en faveur des femmes avec un taux pondéré : celles-ci gagneraient en moyenne 5% de plus que les hommes.
Mais cette différence est complètement artificielle, estiment certains analystes, car le travail des femmes issues des classes populaires n’est pas pris en compte, comme expliqué plus haut. Or, les femmes représentent 60% des travailleurs domestiques. Les Tunisiennes ne gagnent pas plus que leurs homologues masculins, contrairement à la moyenne des 10,3% estimée par ces analystes. Il n’y a en fait qu’environ 30% des Tunisiennes en âge de travailler, qui travaillent officiellement (contre plus de 78% des hommes) selon l’Institut national de la statistique (INS)!
Nous reproduisons ci-après les principales statistiques du rapport de l’OIT 2018/19 sur la Tunisie, les chiffres négatifs étant à la faveur des Tunisiennes et doivent être interprétés selon les explications de tout ce qui précède.
Le GINI (coefficient de mesure des inégalités salariales) évalue une inégalité des salaires horaires hommes-femmes de 37,3 en Tunisie, par comparaison à 12 pays de même revenu moyen inférieur (RMI), 0 étant l’inégalité la plus basse et 100 la plus élevée.
En termes d’écart salarial homme-femmes, utilisant les salaires horaires: l’écart moyen de la Tunisie est de -4.1 et il est de 14,6 pour l’écart médian. Celui utilisant les salaires mensuels, l’écart moyen est de 8,6, et l’écart médian de 18.4.
En ce qui concerne l’écart pondéré de rémunération entre hommes et femmes utilisant les salaires horaires, l’écart moyen est de 14.5, et l’écart médian est de 17.4. En termes d’écart pondéré utilisant les salaires mensuels, l’écart moyen est de 16.9, et l’écart médian est de 16.1.
L’écart pondéré de rémunération du salaire horaire moyen entre hommes et femmes dans le secteur privé, est de 14,7. Dans le secteur public, il est de -20.4.
L’écart pondéré de rémunération du salaire horaire moyen entre hommes et femmes travaillant à plein temps est de 9.4. Il est de -13.5 à temps partiel.
En comparant des écarts salariaux bruts et des écarts salariaux pondérés par facteurs, en utilisant le salaire horaire moyen dans les 2 cas, les pays recensés par l’OIT sont répartis en 5 groupes selon leur écart salarial brut, la Tunisie étant classée dans le 4e avec la Turquie, le Bangladesh, la Namibie, la Thaïlande et l’Albanie. Aussi, l’écart salarial brut moyen de la Tunisie se situe-t-il autour de -4%, et son écart pondéré moyen de rémunération entre hommes et femmes est d’environ 14%.
En termes de professions, féminisation, éducation et écart de rémunération entre hommes et femmes, ces dernières années: la part des tunisiennes dans les postes féminins est de +60% pour le travail domestique, +20% chez les non qualifiées, +20% semi qualifiées, et les techniciennes à presque 40%.
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