Ce matin, au lendemain du 1er tour des élections présidentielles anticipées du dimanche 15 septembre 2019, le café avait un goût amer, l’air était irrespirable et le soleil noir.
Par Mohamed Ridha Bouguerra *
En effet, l’espoir né un certain 14 janvier 2011 et qui vivotait, malgré tout, sous la cendre encore tiède, bien qu’effiloché sous la Troïka (la coalition conduite par le parti islamiste Ennahdha ayant gouverné la Tunisie de janvier 2012 à janvier 2014, Ndlr), et les coups de butoir que lui a assenés le terrorisme, vient, peut-être, de recevoir le coup de grâce donné par les résultats sortis des urnes dimanche soir.
Y aura-t-il vraiment une session de rattrapage ?
Pour nous consoler, on ne cesse de se répéter qu’il ne faudrait pas perdre complètement espoir et qu’il y aura une session de rattrapage le 6 octobre prochain avec les législatives, le parlement, de par la Constitution de janvier 2014, étant la vraie source du pouvoir.
Mais, après réflexion, on est bien obligé de ne pas écarter d’un revers de main, et aussi simplement et rapidement, l’amère réalité. Car, au fond, quelle signification donner au dernier vote de nos compatriotes, sinon celui d’une magistrale gifle administrée à toute la classe politique tunisienne frappée de cécité et incapable jusque-là de prendre la vraie mesure du rejet dont elle était l’objet?
Rejet qui vient d’être clairement exprimé par l’abstention massive enregistrée dimanche, puisque plus de la moitié de l’électorat n’a pas jugé bon de participer à ces élections.
Rejet révélé aussi par la défiance montrée envers les partis politiques, tous les partis politiques, et qu’exprime le choix pour la magistrature suprême de deux candidats en dehors du cercle restreint des politiciens patentés.
Rejet, surtout et enfin, de tous les ego surdimensionnés qui, à l’intérieur de la famille démocratique, se sont présentés en rangs dispersés au lieu de former une coalition viable et capable de faire barrage à la vaste mouvance islamiste ainsi qu’aux divers loups sortis de nulle part, depuis longtemps en embuscade, attendant leur heure, pour s’emparer de l’État de droit, moderne et démocratique.
Duel attendu entre un salafiste en costume cravate et un évadé fiscal en prison
Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces egos responsables et coupables du désastreux effritement des voix exprimées seront-ils vraiment capables de se ressaisir et de se soucier de l’intérêt supérieur du pays en mettant momentanément de côté leurs ambitions personnelles ?
Seront-ils vraiment assez réactifs, maintenant que les listes électorales pour les législatives sont formées, pour inverser la tendance et former un front commun afin de s’opposer aux gagnants d’aujourd’hui qui entendent certainement profiter de la dynamique qu’ils ont déjà créée afin de s’emparer le 6 octobre du parlement ?
Ce qui ne ferait, bien entendu, qu’aggraver encore davantage la situation ubuesque engendrée par les résultats de dimanche. Situation que résume jusqu’à la caricature le duel maintenant certain entre un salafiste en costume cravate et un évadé fiscal en état d’arrestation car accusé de blanchiment d’argent sale ?
Faudrait-il, in fine, se fier au proverbe arabe selon lequel le coup qui ne tue pas rend fort ? Nos politiciens sortis complètement groggy de cette épreuve sauront-ils rebondir et faire preuve de suffisamment de sens, à la fois patriotique et politique, pour sauver ce qui peut encore être sauvé, insuffler courage et ténacité à leurs troupes, demain, espérons-nous, unies et redonner encore espoir aux indécis et hésitants ?
Nous faudrait-il donc attendre le 6 octobre prochain et les résultats des législatives à venir avant de déclarer que l’espoir né avec la Révolution du 14 janvier 2011 est encore quelque peu vivace ou bien définitivement et cliniquement mort ?
Lourde attente en perspective !
* Professeur des universités, docteur honoris cause de l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.
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