Dans un éditorial de Jeune Afrique, paru, hier, 19 novembre 2019, Béchir Ben Yahmed, fondateur du journal, a présenté son analyse de la situation politique en Tunisie, dont la gouvernance s’apprête à connaître un nouveau quinquennat sous l’emprise des islamistes d’Ennahdha et, notamment, de leur leader emblématique et ô combien controversé, Rached Ghannouchi… Le pronostic du célèbre éditorialiste est sans appel : avec les islamistes, la Tunisie va reculer d’un siècle.
Rached Ghannouchi est, désormais, «au coeur du pouvoir», rappelle Béchir Ben Yahmed, du fait de son élection en tant que président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour la prochaine législature (2019 – 2024). Même s’il prenait le soin de ne pas prendre de responsabilité dans l’Etat, le président d’Ennahdha, est, en vérité, et de fait, depuis la révolution, au centre du pouvoir en Tunisie.
Tenant à mettre l’accent sur l’une des facettes les plus révélatrices du personnage, bien qu’anecdotique, Béchir Ben Yahmed rappelle que Rached Ghannouchi refuse de s’exprimer dans une autre langue que l’arabe. Ce qui en dit long sur son manque de flexibilité et du sens de l’évolution, à l’image de son idéologie (l’islam politique), profondément réactionnaire…
«Il refuse de s’exprimer dans une autre langue que l’arabe, qu’il maîtrise d’ailleurs moyennement. Bien que réfugié à Londres pendant près de vingt ans, il ne parle même pas couramment l’anglais. Ses compatriotes ont appris à utiliser le français pour communiquer avec l’extérieur, mais lui s’y refuse», a écrit le président du groupe Jeune Afrique.
Mais cette «arriération» ne concerne pas seulement la forme, selon M. Ben Yahmed, et va influer sur tout le pays : «En se donnant un Rached Ghannouchi comme président de l’Assemblée, la Tunisie a régressé d’un siècle; elle est devenue ou risque de devenir comme l’un de ces pays du Moyen-Orient dont nous observons jour après jour l’arriération et qui perdent leur temps en interminables querelles moyenâgeuses.»
Au-delà de cette régression, le journaliste reproche aux islamistes Tunisiens d’être LES responsables de l’échec du pays, sur les divers plans, à cause d’une gouvernance désastreuse durant les années de l’après-révolution, que ce soit par leur manque de compétence ou d’intégrité.
«Les islamistes tunisiens et leur formation Ennahdha ont montré tout au long des neuf dernières années qu’ils manquaient d’hommes d’État capables de gouverner un pays moderne. N’ont-ils pas inconsidérément augmenté les effectifs de la fonction publique et parapublique en recrutant des dizaines de milliers de fonctionnaires, plombant l’administration et déséquilibrant le budget de l’État ? N’ont-ils pas doublé l’endettement du pays, le portant à un niveau insoutenable ? N’ont-ils pas favorisé l’inflation et le chômage, le terrorisme et la corruption ?», a-t-il déploré.
Plus grave encore, Béchir Ben Yahmed accuse nos «frères musulmans» de Tunisie d’avoir «inféodé la Tunisie aux caprices et à l’ambition d’un Recep Tayyip Erdogan, qui rêve de refaire de la Turquie un empire.»
Et il pointe, également, du doigt la passivité des autres composantes du paysage politique tunisien et leur acceptation complice de la situation et du nouvel «échec programmé»…
«Ceux qui souffrent de l’immixtion turque dans les affaires tunisiennes et qui ont le pouvoir d’identifier les modalités scabreuses de cette ingérence doivent en informer la justice de leur pays […] Mais l’Assemblée nouvellement élue semble avoir décidé, par commodité, d’emprunter le chemin opposé. Comme celle qui l’a précédée, elle essaiera de gouverner avec Ennahdha, peut-être même sous sa direction. Tout se passe, hélas, comme si on reprenait les mêmes pour refaire les mêmes erreurs et mener le pays aux mêmes échecs», a-t-il regretté.
M. Ben Yahmed souligne finalement que le renouveau, sur le plan politique tunisien, s’est matérialisé en l’élection de Kaïs Saïed, en tant que président de la République. Toutefois – notamment au vu des limites de ses prérogatives – cela ne sera pas suffisant, estime-t-il : «Il me paraît inconcevable que les élections législatives n’apportent aucun changement, qu’on réédite le quinquennat précédent et que le seul vrai changement se limite à celui d’un nouveau président.»
Né le 2 avril 1928 à Djerba, Béchir Ben Yahmed est un journaliste franco-tunisien, longtemps directeur de publication de « Jeune Afrique ». Homme d’affaires actif dans la presse africaine, il est également auteur de chroniques et l’actuel directeur de publication du mensuel « La Revue ».
Cherif Ben Younès
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