Pris en tenailles entre une spéculation active et une récession mondiale qui s’annonce plus sévère que jamais, les prix du pétrole ont mordu la poussière augurant des jours sombres pour les producteurs.
Par Hassen Zenati
Il fallait se frotter les yeux à plusieurs reprises pour y croire : lundi soir, 20 avril 2020, sur le marché américain, les producteurs couraient à perdre haleine derrière les acheteurs capricieux pour placer leur pétrole, leur offrant jusqu’à 37 dollars par baril à la clôture (livraison mai) pour le prendre en stock.
Il faut imaginer un automobiliste au passage dans une pompe, effectuant son plein de carburant et se faisant payer sa provision par le pompiste ! C’est le monde à l’envers. On est dans l’irréel. La pandémie du coronavirus qui a déferlé sur le monde, y semant un chaos à peine descriptible, n’a pas fini d’étonner et d’inquiéter le monde stupéfait.
Les prix se sont certes ressaisis peu de temps après, remontant à un peu plus d’un dollar le baril environ, soit à un niveau inférieur à celui d’avant le premier choc pétrolier de 1970-73, en attendant le round d’après. Car ces variations erratiques, au gré des incertitudes politiques et économiques, font l’affaire des spéculateurs qui entendent bien faire leur miel de la crise sanitaire mondiale.
Ce qui s’est passé lundi soir aux Etats-Unis n’est cependant qu’un épisode relativement mineur de la grave crise pétrolière qui ébranle le monde.
Une panne quasi-totale de l’économie américaine
L’effondrement ne concerne que le prix du brut texan (WTI), référence du marché américain. Il encaisse de plein fouet la panne quasi-totale de l’économie américaine en raison du confinement dû au coronavirus : arrêt des entreprises et prolifération du nombre de chômeurs, chute brutale de la consommation, effondrement de la demande domestique de carburants.
Plus de vingt deux millions de salariés ont déjà perdu leur emploi et le flux est loin de se tarir : il est relativement facile de licencier aux Etats-Unis et le système social est l’un de ceux qui protègent le moins les salariés mis à la porte. C’est du jamais vu depuis 1929, dans un pays qui affichait en janvier une santé insolente, avec un taux de chômage à 3,5%, au plus bas depuis 50 ans. Sur les écrans de télévision, des images filmées d’hélicoptère tournent en boucle montrant d’interminables files d’attente de nouveaux chômeurs prenant leur mal en patience pour récupérer un peu de nourriture.
L’autre référence du marché pétrolier, le Brent de la mer du Nord, qui reste la boussole mondiale, n’a dévissé que de 6% lundi, refusant de suivre son homologue américain dans les abysses. Il se situait autour de 26 dollars le baril, contre 65-68 dollars en janvier.
Pour les experts, l’écart entre les deux bruts est beaucoup trop important pour perdurer. Il s’explique par l’effondrement de la demande mondiale, bien sûr, mais aussi par la saturation des capacités de stockage aux Etats-Unis. Plus un zeste de spéculation de la part des producteurs et des traders, chacun essayant de capter le maximum de la rente après le dernier accord de réduction de la production (moins 10 millions de barils/jour) entre l’Arabie saoudite et la Russie au sein de l’Opep+, mais qui ne prendra effet que le 1er mai prochain, ce qui laisse une marge pour la spéculation. Les plus optimistes tablent sur un ré-alignement des deux pétroles (Brent et WTI) autour du mois de juin.
Les économies mis à terre par le virus mettront du temps à se remettre
Après les premières mesures de dé-confinement en Chine, en Allemagne, et bientôt en Europe du Sud et aux Etats-Unis, la demande est appelée à repartir, en effet, mais sans doute pas au rythme soutenu qui était le sien avant la pandémie. Les économies flanquées par terre par le virus mettront beaucoup de temps à se remettre. Les uns parlent de la fin de 2021, mais d’autres se donnent des horizons plus lointains encore.
Sur le marché pétrolier, les Etats-Unis sont devenus ces dernières années les «maîtres des horloges» : premiers producteurs mondiaux (13 millions de barils jour) grâce au pétrole de schiste, ils sont devenus aussi un grand exportateur depuis que Barak Obama a ouvert les vannes de l’exportation devant les producteurs américains, fermées par ses prédécesseurs. De ce fait, ils tiennent les deux bouts du marché, sur lequel ils ne sont pas loin de faire la pluie et le beau temps.
Dans les mornes conditions économiques actuelles, les prix du pétrole n’ont aucune chance de franchir les cinquante dollars le baril, soit trois fois moins que le niveau qu’elles se préparaient à franchir en 2014, avant une première vague de reculs provoquée par la contraction de l’économie mondiale.
Avec deux conséquences prévisibles. La première : une chute importante des investissements des compagnies productrices multinationales, qui tablaient sur des prix élevés afin de poursuivre leur exploration, en usant de technologies de plus en plus sophistiquées et coûteuses pour aller en profondeur dans les gisements. La deuxième : l’appauvrissement des pays producteurs les plus peuplés, qui devront renoncer à leurs politiques sociales généreuses, au risque d’un retour de bâton parmi les populations assistées.
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