Vu la fragilité de l’économie tunisienne, dé-confiner devenait une ardente nécessité pour le pays et le chef du gouvernement Elyes Fakhfakh a avancé sur cette voie. Il n’y a pas de politique sans risque mais l’effondrement de l’économie aurait des conséquences très graves pour la Tunisie, d’autant que ses deux principaux partenaires, la France et l’Italie, traversent eux aussi une crise inédite.
Par Francis Ghiles *
Les Tunisiens ont été plutôt épargnés à ce jour par la Covid-19 mais l’économie du pays a encaisse un choc très rude. La gestion de la crise, tant sur le plan sanitaire qu’économique est tout à l’honneur du chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, arrivé au pouvoir peu de semaines plutôt après les interminables tractations qui ont suivi les élections de l’automne 2019. Il sera confronté dans les mois à venir à plusieurs défis: sur le plan intérieur, il lui faudra éviter à tout prix que les milliards de dinars de crédit divers dans l’économie soient alloués autant sinon plus à l’investissement public qu’a l’assistance publique.
Le dé-confinement est une ardente nécessité
L’économiste Hachemi Ayala a mille mois raison d’écrire qu’il «ne peut se satisfaire de la thérapie d’abandon de l’investissement public préconisé par le FMI, il ne peut attendre 2024 pour retrouver le niveau d’investissement public de l’année 2017 sans faillir à ses missions essentielles.» Si les dépenses en capital de l’Etat tunisien ne retrouvent même pas en 2025 leur niveau de 2011, 7,2% rapporté au PIB, le futur s’annonce sombre.
Il faut d’abord rendre à César ce qui est du à César et reconnaître que le makhzen tunisien n’a pas disparu, contrairement à ce que craignait certain, suites à des années d’intrigues politiques qui ont caractérisé le pays après 2011. Les mesures annoncées dès le 16 mars 2020 et qui s’accompagnait d’une aide importante aux entreprises ont été suivies par d’autres dans les semaines qui suivirent. Les ministres des Finances Nizar Yaiche et de la Santé Abdellatif Mekki ont appuyé le chef du gouvernement de manière efficace.
Une autre institution a joué un rôle majeur sur le plan économique et financier, ce qui n’est guère pour surprendre puisque celui qui est aux commandes de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane El-Abassi, est un homme déterminé et compétent.
Malgré un respect parfois incertain des consignes de confinement donné par les autorités et d’un système de santé dont les moyens logistiques sont limités, la pyramide des âges (âge moyen de 31 ans), le climat et un système peut-être génétiquement différent de celui de leurs voisins du nord sont des facteurs qui peuvent expliquer cette situation.
Vu la fragilité de l’économie, dé-confiner devenait une ardente nécessité et le Premier ministre a avancé sur cette voie. Il n’y a pas de politique sans risque mais l’effondrement de l’économie aurait des conséquences très graves pour la Tunisie. Dès le 17 mars, la BCT a abaissé son taux directeur à 6,75% et annoncé une batterie de mesures pour aider les entreprises dont la possibilité de reporter les échéances bancaires.
Les taux d’inflation et de chômage vont repartir à la hausse
La Tunisie effectue les deux-tiers de son commerce extérieur avec l’Union Européenne, notamment la France et l’Italie dont les économies sont atteintes de plein fouet par la pandémie. La chute des exportations commerciales tunisiennes (près de 5% en glissement annuel en avril 2020) et des importations (46%) est à l’image de cette dépendance. De nombreux investissements directs étrangers seront reportés, sinon rapatriés. Selon l’Agence de promotion des investissements (API), la baisse des IDE se chiffre à 18,6% dans le secteur de l’énergie, 21,5% dans l’industrie et 65% dans les services.
Les secteurs du tourisme et du transport sont durement touchés. Les recettes du tourisme qui représente 4,9% de la valeur ajoutée totale en 2019 ont chuté de 22% pendant les quatre premiers mois de l’année. La fermeture des frontières, ici comme en Europe, réduira de manière drastique le nombre de visiteurs français, allemands, italiens et anglais cet été.
Les conséquences en cascades pousseront les taux d’inflation et de chômage vers le haut. Les recettes budgétaires baisseront, les finances publiques déraperont. L’effet bénéfique de la baisse de l’énergie ne compensera pas l’impact global du Covid-19. La croissance du PNB sera-t-elle de 1% contre une prévision dans la Loi de Finance 2020 de 2,7%? L’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) a-t-il raison de prévoir, le mois dernier, qu’une chute de PIB de 3,6% en 2020 serait suivie d’un rebond de 3,1% l’an prochain?
Nul n’est en mesure de le revoir exactement. Ce qui est sûr c’est que la Tunisie mérite à ce moment délicat de son histoire toute l’aide possible de ses partenaires bilatéraux et multinationaux. La BCT, fort heureusement, n’a pas puisé pour l’heure dans ses réserves de change et le dinar tunisien est resté stable.
M. Fakhfakh a mis le doigt sur l’ampleur de la tâche qui attend son gouvernement quand il a expliqué que le besoin de financement extérieur du budget de l’Etat pourrait doubler sur l’année. Dans la Loi de Finance 2020 il est chiffré à 8,8 milliards de dinars.
L’investissement européen pourrait apporter un bol d’oxygène
Pour l’heure, les partenaires internationaux de la Tunisie «se montrent compréhensibles» à l’égard de la seule démocratie du monde arabe, comme l’avait demandé le président Kais Saied en mars.
Encore serait-il bon que ces partenaires se posent des questions plus stratégiques: est-il judicieux que la Tunisie, comme l’y incite le FMI, réduise les dépenses d’investissement de l’Etat? Mener une telle politique dans le domaine de l’éducation et de la santé revient à hypothéquer son futur et à aggraver les disparités régionales déjà considérables.
Au-delà du mouvement des IDE dans les mois à venir, l’Union Européenne ne devrait-elle pas encourager les relocalisations de certaines de ses entreprises, notamment dans le secteur des produits pharmaceutiques où la Tunisie peut s’enorgueillir d’unités de fabrication dignes des meilleures d’Europe? L’Europe ne pourrait-elle pas redéfinir sa stratégie de sécurité et ajouter à la sempiternelle lutte contre le terrorisme et l’islam politique radical, une dimension économique qui lui faisait défaut jusqu’a maintenant.
En cette année qui marque le 25e anniversaire du Processus de Barcelone, il serait bon que les voisins de nord réfléchissent à la politique chinoise.
Veulent-ils se réveiller dans quelques années pour trouver une Tunisie et ses voisins qui se sont fait prendre dans les filets de la nouvelle Route de la Soie?
* Chercheur attache au CIDOB à Barcelone, ancien correspondant du ‘‘Financial Times’’ (1977-1995) et contributeur a la BBC, France 24 et Al-Jazeera.
Donnez votre avis