Pour comprendre le destin de la Tunisie actuelle et le sort peu reluisant qui l’attend, il faut jeter un regard rétrospectif sur l’évolution des deux principaux courants ayant modelé (et déstabilisé) le monde arabo-musulman au cours du dernier demi-siècle : le nationalisme arabe et l’islam politique. Deux projets délirants, deux échecs retentissants…
Par Dr Mounir Hanablia *
Le 18 mai 1965, Elie Cohen, le célèbre espion israélien infiltré dans les plus hautes sphères de l’Etat syrien, était pendu sur l’une des places publiques de Damas, à titre d’avertissement pour tous les éventuels candidats espions, et sans aucun doute, de défi. Le régime syrien de l’époque ne s’apercevrait de l’étendue des dégâts occasionnés par cette affaire, qu’après la guerre de Juin 1967, dite «des six jours», et le désastre militaire qui en avait résulté, dont 53 ans après, les effets perdurent. Le Golan a été occupé et annexé, et la Cisjordanie, après avoir été ouverte à la colonisation sioniste, est en passe d’être annexée, tout comme l’a été Jérusalem, avec l’aval du président Trump. Pis, la Syrie n’est plus depuis 9 ans qu’un pays en miettes déchiré par la guerre civile et ouvert à l’intervention militaire étrangère et au terrorisme.
L’échec historique du panarabisme
Que les régimes arabes aient souvent été des nids d’intrigue ouverts à toutes les officines de renseignements des grandes puissances n’aurait donc en soi rien d’étonnant. Durant la première guerre mondiale les tribus du Hijaz du Cherif Hussein de la Mecque s’étaient déjà rangées sous la bannière de l’officier britannique Thomas Edward Lawrence contre l’empire ottoman, et Saint John Philby avait été le conseiller attitré de Abdelaziz Ibn Saoud dans le Najd. La rivalité entre ces deux officiers n’avait reflété que celle opposant à l’époque les bureaux du Caire et de Bombay, du célèbre Colonial Office.
La Turquie en tous cas n’oublierait pas de sitôt cette leçon de solidarité islamique. Plus tard, Nouri Said, un ancien officier de l’armée ottomane devenu Premier ministre du Royaume Hachémite d’Irak symboliserait, au sein de la Ligue arabe, l’exemple même de la collaboration avec l’empire britannique durant les années 50, à l’époque de la grande vague du nationalisme arabe.
Le panarabisme s’achèverait d’une manière aussi tragique avec la débâcle de l’armée égyptienne dans les sables mouvants du Sinaï. On en avait rejeté la responsabilité sur le maréchal Abdelhakim Ameur, dont seul le suicide avait opportunément épargné un procès peu glorieux à son pays. Mais la défaite de Nasser avait en réalité débuté en 1961 avec la sécession hors de la République arabe unie, conduite par les officiers syriens pourtant pan-arabistes, du parti socialiste arabe Baath. C’était ce même Baath Syrien qui avait convaincu deux ans plus tôt un Nasser plus que réticent, de la nécessité de l’union entre leurs pays respectifs.
Malgré son échec, le panarabisme, qui n’a pas surmonté ses contradictions, fut fondamentalement un projet laïc moderniste, et pour cette raison il n’a jamais cessé d’être voué aux gémonies par les islamistes de toutes obédiences, en particulier depuis leur accès au pouvoir, ou leur cooptation par des Etats aux ambitions démesurées. Il a été pour cette raison combattu, et parfois utilisé, par les Etats conservateurs du Golfe, mais prétendre que l’islamisme ait fait mieux depuis le printemps arabe serait hasardeux.
L’échec historique du l’islamisme
Le premier grand échec de l’islamisme, un projet censé fédérer les musulmans, a d’abord été sa ligne de fracture putride entre sunnites et chiites, toujours aussi béante depuis la bataille de… Siffin en 656, réactivée avec la première guerre du Golfe en 1979, et paradoxalement exacerbée par l’échec de l’armée israélienne contre le Hezbollah en 2006. Son second échec, de taille, a été le démembrement du Soudan, où il avait régné sans partage depuis la chute de Jaafar Al Nimeiry. Son troisième échec, le plus inacceptable d’entre tous, a été l’utilisation du terrorisme de l’Etat Islamique, soutenu –tiens ! tiens ! – par la Turquie, membre de l’OTAN, associée à des Etats arabes, pour détruire et démanteler d’autres Etats arabes.
Dans ces conditions, la perte de l’Egypte par les islamistes ne peut en être considérée que comme la conséquence logique. Entre une démocratie dominée par les islamistes sur le modèle soudanais, aboutissant fatalement à la constitution d’un Etat copte en Haute Egypte, et entre un régime dictatorial sauvegardant l’unité nationale d’un pays millénaire, le destin a fait le choix le plus approprié, même si le terrorisme en fait payer à son peuple le prix fort.
L’islamisme en Tunisie : chronique d’une descente en enfer
Il fallait rappeler toute ce pan d’Histoire d’ombres plus que de lumières, alors que la Tunisie, le seul projet abouti issu de ce qu’on a nommé le Printemps Arabe, à l’image du Printemps des Peuples de 1848, voit sa vie parlementaire noyautée par des partis d’obédience islamiste arguant d’une légitimité selon eux issue des urnes, en l’absence de Cour Constitutionnelle, et de contrôle sérieux sur le financement des partis politiques. Deux impératifs fondamentaux de toute démocratie respectueuse du droit et des institutions sont donc depuis l’instauration du pluripartisme ignorés.
Cela nous vaut aujourd’hui des candidats à la présidentielle conseillés par des sociétés de public-relations patronnées par d’anciens officiers de services secrets étrangers. Cela nous vaut également un foisonnement de partis politiques champignons, qu’on abandonne aussi rapidement qu’ils ont été constitués, pour avoir fini de servir, et qu’il faut satisfaire par des nominations de conseillers pour en obtenir les votes.
Á la remorque d’ un parti islamiste insoluble dans le pouvoir, dont le discours ne s’assagit que par intermittences, mais nullement les pratiques ou le projet politique, il y en a désormais un autre de substitution, mâtiné de populisme, usant de la violence verbale et de l’intimidation, y compris à l’encontre de la présidence de la république, des médias, ou d’autres députés de l’opposition.
Ce bloc philocalifal, tout comme le dernier Calife Abbasside, Al Musta’sim, n’a jamais eu pour préoccupation principale le bien-être du peuple, ni l’amélioration d’une économie sinistrée, à la dégradation de laquelle il n’a pas peu contribué. Sa principale fonction semble de lâcher la bride à un discours démagogique obscurantiste à même de lui gagner les élections, d’empêcher toute réforme de la société et toute organisation rationnelle susceptible d’exploiter efficacement les potentialités scientifiques, techniques, organisationnelles, que l’actuelle pandémie du Covid-19 a laissées entrevoir, dans ce pays, ou de l’entraîner dans des entreprises mercenaires, pour ne pas dire terroristes, dont il ne tirerait aucun bénéfice, ainsi que cela s’était déjà fait du temps de la Troïka avec le conflit Syrien, et dont on voit bien qui a tiré profit.
Les calculs politiques avaient alors pris le pas sur les impératifs judiciaires et sécuritaires, en tant que garants d’une alternance politique pacifique; nous en héritons aujourd’hui les milliers de terroristes en provenance de Syrie de retour sur nos frontières sud limitrophes de l’émirat frère musulman de Tripoli… sanctifié par l’Onu.
Il faut évaluer les récentes attaques de Jebel Chaambi contre nos soldats, les enlèvements de pêcheurs dans nos eaux territoriales, et les incendies contre les transports du phosphate, à la lumière de ces projets politiques-là.
Après les démembrements de l’Irak, de la Syrie, du Yémen, du Soudan, et de la Libye, il est temps de comprendre enfin où on veut nous mener.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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