Vu d’ici ou d’ailleurs, nous avons l’impression, nous les TRE (Tunisiens résidents à l’étranger), que les gouvernements tunisiens successifs et plus encore celui-là, n’ont rien compris et ne comprennent toujours rien aux enjeux migratoires ni à ce que signifie la présence de plus de 10% de Tunisiens à l’étranger.
Par Mohamed Smida *
Les dernières mesures annoncées d’augmentation exorbitante des droits de chancellerie allant jusqu’à près de 300% pour le passeport, ou 11€ pour une simple copie conforme, puis l’annonce d’un confinement imposé, en tout état de cause, d’une semaine au moins, à l’hôtel et à notre charge, en cas de retour en Tunisie cet été, ne font que renforcer notre impression d’être, pour les décideurs, une sorte de pièce rapportée.
L’impression largement partagée, il n’y a qu’à lire les commentaires dans les nombreux groupes de Tunisiens sur les réseaux sociaux, est que pour le gouvernement, nous sommes «la vache à lait », puisque nous n’avons pas le choix.
La diaspora est mal représentée dans sa diversité
L’espoir, né après la révolution de 2011 – à laquelle nous avons activement participé, et l’élection de la constituante, à laquelle nous avons envoyé des élus-es, que nous soyons perçus comme citoyens à part entière, ayant les mêmes droits et devoirs, même si nous sommes expatriés – semble désormais s’évaporer en dépit ou peut-être en partie à cause des élus représentant les TRE au parlement, depuis 2014.
À la faveur de la révolution, les associations de Tunisiens, notamment en France, ont bien proposé la création d’une instance consultative, le Conseil supérieur des Tunisiens à l’étranger), à même de représenter la diaspora dans sa diversité et contribuer à faire des TRE un des atouts de la Tunisie et de sa stratégie de développement post révolutionnaire
Non seulement le discours, parfois tenu, sur l’importance, voire le rôle stratégique des TRE dans les politiques publiques envisagées n’a été suivi d’aucun début d’effet mais l’expression de l’autorité de l’Etat demeure verticale d’autant que les Tunisiens d’ici souffrent d’une image entretenue par les Tunisiens de l’intérieur de n’être pas comme eux, d’être quelque part pas assez Tunisiens.
Les termes des débats sur les binationaux lors de la constituante et aujourd’hui encore, illustrent bien cette injustice qui nous est faite et grosso-modo par toutes les franges de la population y compris parfois les Tunisiens éclairés voire progressistes.
Des pourvoyeurs de devises, certes, mais pas que
Un Conseil supérieur des Tunisiens à l’étranger a bien été créé par la Loi n° 2016-68 du 3 août 2016 mais la présence en son sein des 18 députés élus à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) comme membres de droit, le vide de sens (antichambre de l’ARP) et les compétences qui lui sont reconnues sont en-deçà des ambitions affichées.
Il y a bien sûr eu quelques changements à la marge, depuis la révolution : amélioration des services consulaires et vitalité de la vie associative des Tunisiens à l’étranger.
Cependant, l’approche des autorités de l’Etat demeurent fondamentalement verticales à telle enseigne qu’un consul général qui recevait une des plus anciennes associations des Tunisiens en France n’a pas hésité à affirmer qu’il voulait rassembler le tissu associatif des Tunisiens, ce à quoi il lui a été rétorqué, par les présents, que le tissu associatif n’avait pas besoin du consulat pour se rassembler s’il le souhaitait.
Ce sentiment d’être pris pour des pourvoyeurs de devise, des vaches à lait est de plus en plus ouvertement affirmé par d’innombrables concitoyens expatriés de différentes manières d’autant que l’augmentation n’a pas de caractère temporaire et introduit de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement. En effet, un résident en France n’aura pas à payer la même chose qu’un Tunisien en Algérie ou au Canada. Cette tarification est pour le moins incompréhensible.
L’augmentation des frais de chancellerie est injustifiée
Nous sommes conscients des difficultés que traverse la Tunisie surtout avec cette crise sanitaire inédite et on aurait très bien compris d’être sollicité pour nous solidariser, beaucoup parmi nous ont participé à différentes cagnottes mais aussi au compte 18/18 qui a été mis en place. On aurait accepté de payer 10€ de plus notre billet d’avion dans un acte solidaire. Mais augmenter les frais de chancellerie de la sorte ne peut qu’être refusé et incompris.
Il s’agit d’une décision prise d’une manière discrétionnaire, sans explication sans avertissement, qui s’applique immédiatement et qui deviendra la règle jusqu’à la prochaine fois, si elle n’était pas annulée et remplacée par une augmentation raisonnable et supportable par la grande majorité de nos concitoyens TRE qui ne sont pas tous aisés loin s’en faut.
Au-delà de son caractère exorbitant, injuste et soudain, l’augmentation des frais de chancellerie relève de la continuité de cette relation verticale, pour ne pas dire mépris, que l’Etat tunisien, d’après 2011, continue d’exercer sur ses ressortissants vivant à l’étranger, alors que les pays de résidence leur reconnaissent des droits et des devoirs même quand ils ne sont que résidents étrangers.
Il serait peut-être temps que l’on se rende à l’évidence à Tunis que nous sommes des citoyens à part entière et que nous revendiquons l’égalité de traitement en droit comme en devoir.
* Militant associatif et politique, résident en France depuis plus de 40 ans.
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