Enfin, et après une nuit chaude et agitée, le «show» s’achève. Les artistes, épuisés mais fiers d’avoir accompli leur mission, peuvent rentrer roupiller, récupérer des forces pour de nouveaux défis… Il ne reste plus qu’à rentrer les animaux dans leurs cages, à démonter le chapiteau et à commencer l’opération de nettoyage.
Par Salah El-Gharbi *
Le public, lui, est parti depuis longtemps, l’esprit agité par un cafouillis d’images et de sons. Si certains ne cachaient pas leur satisfaction devant la performance de leur clown préféré, d’autres semblaient un point de vue plutôt mitigé. Si les plus exigeants étaient déçus par le numéro des deux trapézistes, pas trop bien ficelé à leur goût, la majorité était, tout de même, éblouie par la dextérité du vieux jongleur…
Au «cirque du peuple», le spectacle, dans son ensemble, était au rendez-vous. Même si parfois, on avait du mal à suivre l’enchaînement des numéros, leur caractère répétitif, la lourdeur de certaines performances artistiques, la représentation a tenu ses promesses. Désormais, on peut se réjouir d’avoir tant de talents dont nous ne pouvons qu’être fiers.
La triste réalité d’un pays à la dérive
Maintenant que les bonimenteurs de tout acabit se sont tus, que les passions commencent à se relâcher, que la gueule de bois vient de passer, la réalité, hideuse et têtue, celle d’un pays à la dérive, finit par nous rattraper pour nous rappeler nos soucis, les vrais, que ni les habiles acrobaties ni les subtils subterfuges de nos artistes ne sauront dissiper.
Si, pour résoudre les difficultés économiques, surmonter la crise politique, résoudre les problèmes sociaux…, il fallait organiser une aussi pathétique mascarade, cela se saurait depuis longtemps… Ainsi, nos baladins ont beau chercher à nous divertir, en s’inventant des querelles de chapelles ou de personnes, croyant, ainsi, calmer nos âmes endolories par une décennie de tension permanente, ils ne parviennent pas à nous détourner de notre triste quotidien. Au contraire, plus ces saltimbanques s’agitent plus les peines de la population s’intensifient.
Sous Ben Ali, l’«opposition», qu’elle soit islamiste, ou «socio-démocrate», s’était toujours proclamée chantre de la «démocratie» et fervent défenseur du «droit». Or, en 2011, dès qu’elle a eu, le pied à l’étrier, la fameuse «Troïka» a fait volte-face et voilà Ennahdha qui fait un hold-up sur l’Intérieur et la Justice, non pas pour réformer ces institutions gangrenées, mais pour les inféoder. Ainsi, au lieu de contribuer à la mise en place d’un ordre nouveau, ce mouvement ne fait que s’accommoder de l’ancien qu’elle n’avait pas cessé de pourfendre durant les «années de braises».
Le mouvement islamiste enfonce la Tunisie dans la mouise
En fait, quand Abir Moussi interpelle les islamistes : «Qu’est-ce que vous avez fait pendant dix ans», elle a, certainement, raison. Car, la responsabilité des islamistes dans l’actuelle confusion est pleine et entière. En, 2011, ces islamistes avaient un boulevard devant eux. Ils auraient pu refonder le système qui était à bout de souffle, et gagner ainsi, non seulement de la légitimité, mais aussi de la crédibilité.
À l’époque, miné par ses contradictions idéologiques, par l’incompétence de ses cadres, par l’absence d’un véritable projet alternatif crédible, mais aussi, aveuglé par son arrogance et sa fatuité, le mouvement islamiste ne pouvait que barboter et, par conséquent, enfoncer le pays dans la mouise et aggraver ses difficultés déjà immenses.
Néanmoins, et même si Abir Moussi est dans son droit lorsqu’elle apostrophe les Nahdhouis, pour leur demande des comptes, elle se devait elle aussi de nous faire le bilan de vingt-trois ans d’un règne marqué par le «désordre ordonné»… Elle devrait nous dire, à titre d’exemple, comment au cours des cinq décennies qui précèdent le 14/01, le pouvoir destourien avait détricoté l’œuvre de la décennie post indépendance, nous parler de la détérioration de nos écoles, de nos hôpitaux, de nos service publics…
La nouvelle icône des «progressistes», des «modernistes», héritière de de la nullité «novembriste» a beau brandir la photo de Bourguiba, devenu un produit d’appel, pour tenter les «intégri-bourguibistes» et nous rebattre les oreilles avec des légendes surannées, elle n’est que dans la diversion et dans la mystification, obsédée par son nombril. Car, si Bourguiba était vivant, il serait le premier à la désavouer. Lui, l’homme connu pour sa hauteur de vue ne saurait cautionner la mesquinerie et la futilité.
En attendant un «Bourguiba plus plus»
D’ailleurs, même si personne ne conteste le leadership du premier président de la République, Kaïs Saïed, qui mérite notre estime, il est juste d’admettre que Bourguiba était le produit de son époque où le pluralisme, la démocratie étaient considérés comme des produits pour nantis, où l’autoritarisme politique était le modèle le plus répandu.
Si, en 1956, Bourguiba avait les réponses adéquates que nécessitait la résolution des problèmes de son époque, en 2020, ces mêmes réponses seraient inappropriées, insuffisantes ou malvenues. Aujourd’hui, le pays a de nouveaux besoins et attend un «Bourguiba plus plus», alliant l’audace et l’esprit d’ouverture qu’on connaît chez le «Zaïm» à une véritable maîtrise des problèmes de notre époque. Le «Bourguiba nouveau» serait un vrai démocrate qui croit en l’État de droit, porteur d’un vrai projet de société capable de nous permettre de nous réconcilier avec la mondialisation, autrement dit, un leader qui soit du nouveau siècle capable de relever les défis d’aujourd’hui…
Loin des chamailleries, des querelles de vulgaires chiffonniers, la vraie bataille se joue sur ces vraies questions qui devraient nous permettre de progresser. Car, il serait dommage qu’après dix années de sacrifices consentis par une population tourmentée, après tant de sang coulé, de vies brisées… on se retrouve à la case de départ, réduits à être les témoins de la médiocrité, glabre ou barbue, soumis à un ordre plus arbitraire et plus cynique que celui du «déchu».
* Universitaire et écrivain.
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