Rattrapé par ses gaffes, desservi par son tempérament fougueux et submergé par le coronavirus, Donald Trump fait l’objet d’un tir groupé de ses anciens conseillers, à cinq mois d’une élection présidentielle qu’il pensait remporter haut la main, mais qui pourrait lui échapper désormais.
Par Hassen Zenati
À moins de cinq mois de l’échéance présidentielle, les nuages s’accumulent dans le ciel électoral de Donald Trump, il n’y a pas longtemps bleu et serein. Après le livre du journaliste Micheal Wolf : «Le Feu et la Fureur» en 2018, le décrivant comme un «électron libre» manquant de scrupules et de sang froid, incapable de contrôler le pays, et le brûlot de Bob Woodward, son collègue défricheur du scandale du Watergate (cabale de Richard Nixon contre les Démocrates en 1974), «Fear : Trump in the White House» («Peur : Trump à la Maison Blanche») dressant le portrait d’un président colérique et paranoïaque, une nouvelle bombe a été jeté sous les pieds du président des Etats-Unis, candidat à sa propre succession en novembre.
Les congédiés de la Maison Blanche se vengent
«The Room Where It Happened, A White House Memoir» («La pièce où cela s’est passé, mémoires de la Maison Blanche»), attendu dans les librairies américaines ce lundi 22 juin 2020, est le témoignage direct de son ancien conseiller à la sécurité, John Bolton. Il est truffé d’accusations accablantes et de noms d’oiseaux contre son ancien patron.
Avant John Bolton, son directeur de cabinet remercié, John Kelly, l’a traité d’«idiot», son ancien ministre de la Défense congédié, James Mattis, a estimé que son «niveau de compréhension» est celui d’un élève de sixième, tandis que son ancien conseiller économique Gary Cohn l’a décrit comme un «menteur professionnel». Tout cela est ressorti opportunément en même temps que se déroulait la campagne de promotion du livre de John Bolton.
Mais, si jusqu’ici, les critiques, malgré leur virulence, ont glissé sur Donald Trump comme une goutte d’eau sur les plumes d’un canard, le livre de John Bolton, néoconservateur, faucon d’entre les faucons, partisan d’une intervention militaire en Iran, qui a été l’un de ses plus proches collaborateurs jusque dans le «saint des saints» du pouvoir, risque de ruiner ses chances d’être réélu. Vindicatif, l’auteur, qui a fait partie d’une charrette de congédiés de la Maison Blanche, cible le cœur de la campagne électorale ce Trump, réorientée contre la Chine. Cette dernière y est dressée en bouc émissaire de tous les échecs présidentiels, sur fond de pandémie du coronavirus, qui a fait près de 120.000 morts et plus de 2 millions de cas diagnostiqués sur le territoire.
«Il ne raconte que des merdes»
Depuis quelques semaines, les discours de Donald Trump tendent en effet à accabler Beijing, tenue pour responsable du «massacre» mondial, selon ses propres termes, provoqué par la rapide propagation du virus. Son adversaire démocrate Joe Biden est même pointé du doigt comme un allié de la Chine. Or, c’est là ou le bât blesse, John Bolton, affirme que Donald Trump, qu’il décrit comme un homme ne voyant sa fonction que comme un instrument pour faire avancer ses intérêts personnels, aurait négocié sa réélection auprès du président chinois Xi Jimping. Il lui aurait ainsi demandé lors d’un sommet du G-7 à Tokyo en juin 2019, d’importer pour plusieurs milliards de dollars de produits agricoles américains (blé et soja), pour le rendre plus crédible auprès de l’agro-business de son pays et faciliter sa réélection.
Donald Trump est accusé aussi d’avoir levé les sanctions contre le groupe de télécommunications chinois ZTE comme monnaie d’échange dans le même but et d’avoir approuvé la construction de camps d’internement dans la province du Xinjiang pour y entasser les dissidents musulmans ouighours et kazakhs. «C’est exactement la bonne chose à faire», aurait-il dit à Xi Jimping, selon Bolton.
Parmi d’autres «amabilités» qu’il sert à son ancien patron, John Bolton raconte qu’il avait demandé à l’ancienne Première ministre britannique Theresa May si son pays disposait d’un armement nucléaire, et à son ancien directeur de cabinet si la Finlande faisait partie de la Russie. Il ajoute que briefer le président des Etats-Unis sur la géopolitique «ne sert à rien, car il passe la majeure partie de son temps à parler au lieu d’écouter». Même ses conseillers se moquent de lui derrière son dos, assure-t-il, jusqu’à son Secrétaire d’Etat Mike Pompeo, qui lors d’un sommet avec le leader nord-coréen Kim Jong-un, aurait glissé à son collège un petit papier sur lequel il aurait tracé: «He is so full of shit» (Il ne raconte que des merdes).
Joe Biden compte se servir des bourdes de son adversaire
Dans le camp d’en-face, chez les Démocrates, on ne rate pas une miette de ces ratés présidentiels qui ne peuvent que servir leur candidat Joe Biden, désormais seul candidat à l’investiture de son parti depuis le retrait de Bernie Sanders. Il y croit plus que jamais. À la recherche d’une vice-présidente à présenter sur son ticket, l’idéal pour lui aurait été d’embarquer Michelle Obama, l’épouse de Barack Obama, dont la popularité est au zénith. Mais, il ne lui manquera pas de postulantes parmi les femmes de la jeune génération de militantes comme Gretchen Whitmer, 48 ans, gouverneure depuis 2018 du Michigan, ou la maire d’Atlanta, Keisha Lance Bottoms, 50 ans, une Afro-Américaine en place depuis 2018. Celle qui sera retenue sera la troisième femme de l’histoire des Etats-Unis candidate à la vice-présidence, après la démocrate Geraldine Ferraro en 1984 et la républicaine Sarah Palin en 2008. Une femme de couleur, jeune et militante serait un atout essentiel pour contrebalancer les nombreuses critiques qui lui remontent de son électorat: trop vieux (à 77 ans, il serait le plus vieux président de l’histoire des Etats-Unis s’il était élu), trop blanc, trop représentatif du sérail politique.
À l’encontre de Donald Trump, qui a organisé sa campagne sur un mode binaire : «Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi», Joe Biden s’emploie à ratisser large et à rassembler. Il compte tirer le maximum de profit des erreurs commises par l’administration de son rival dans la gestion de la pandémie, qui, outre les dégâts sanitaires, a entraîné le pays dans sa plus grave récession économique depuis des décennies. Il veut enfin s’appuyer sur le mouvement Black Lives Matter (Les Vies Noires Comptent), née après le meurtre de George étouffé sous le genou d’un policier pour renouer avec la tradition démocrate de luttes antiracistes.
Joe Biden semble avoir un boulevard devant lui après avoir réuni le camp démocrate autour de sa candidature, là où Donald Trump, critiqué par l’aile modérée de son parti, semble piégé entre la crise sanitaire qui n’en finit plus d’aligner ses morts et la crise économique qui n’en finit plus de déverser ses chômeurs sur un marché du travail plat, qu’aucune vague ne semble devoir animer dans l’immédiat.
Un mandat ça va, deux mandats bonjour les dégâts
Samedi soir, 20 juin, pour son premier meeting électoral depuis le début de l’épidémie, Donald Trump a totalement raté son retour le ring dans l’enceinte du centre BOK à Tulsa, dans l’Oklahoma, ne réussissant à remplir qu’à peine 19.000 places de l’arène. Le tiers supérieur de la salle est resté désespérément vide. John Bolton en a profité pour revenir à la charge remonté comme un pendule pour parachever sa vengeance : «Il ne sera pas réélu, je ne voterai pas pour lui. Les Etats-Unis ne se relèveront pas d’un second mandat de Trump». Autre version du fameux : «Un mandat ça va, deux mandats bonjour les dégâts».
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