Jamais un document occidental n’a provoqué un tel affolement dans les rangs de l’Organisation internationale des Frères-musulmans. Les plus enflammés y voient une «déclaration de guerre» et menacent de riposter. Les plus rusés courbent le dos, craignant une interdiction de la confrérie.
Par Hichem Cherif *
La Société des Frères musulmans (en arabe : جمعية الأخوان المسلمين; Jamiat al-Ikhwan al-muslimin), raccourcie en Frères musulmans (الإخوان المسلمون ; al-Ikhwān al-Muslimūn), est une organisation transnationale islamique sunnite fondée en 1928 par Hassan El-Banna à Ismaïlia, dans le nord-est de l’Égypte.
Composée d’un appareil militaire et d’une organisation ouverte, son objectif officiel est la renaissance islamique et la lutte non violente contre «l’emprise laïque occidentale» et «l’imitation aveugle du modèle européen» en terre d’islam.
Une organisation violente hostile à la laïcité et à l’Etat civil
Cette organisation panislamiste est officiellement considérée comme organisation terroriste par le gouvernement égyptien, la Russie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Elle a rapidement essaimé ses idées dans les pays à majorité musulmane du Moyen-Orient, au Soudan ou en Afrique du Nord, et a également établi des instances nationales dans des pays non-musulmans. Certains groupes de partisans se sont constitués en mouvements autonomes, comme le Jama’a al-islamiya ou le Hamas.
Son opposition fondamentale et parfois violente aux États laïcs arabes a amené son interdiction ou la limitation de ses activités dans certains pays, comme la Syrie et l’Égypte. La lutte contre l’État d’Israël est au cœur du mouvement, et le théoricien du jihad armé, Sayyid Qutb, qui entrera par la suite en rupture avec le mouvement, fut pendant un temps l’un de ses membres égyptiens les plus en vue. Néanmoins, ses différentes branches ont depuis condamné le recours à la violence en dehors de la Palestine. Le mouvement entretient avec les institutions promouvant le wahhabisme saoudien des relations alternant entre coopération et rivalité.
La nébuleuse des Frères musulmans serait coordonnée par la Muslim Association of Britain de Londres, s’appuyant sur la banque Al-Taqwa. Néanmoins, selon Xavier Ternisien, elle ne constitue pas une structure pyramidale centralisée mais une mouvance hétérogène, labile et multiforme.
Après la révolution égyptienne de 2011, les Frères musulmans arrivent au pouvoir lors des premières élections législatives démocratiques et libres dans l’histoire du pays. En mai 2012, le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, devient le premier président civil élu démocratiquement en Égypte. Le 3 juillet 2013, un coup d’État militaire renverse puis réprime les Frères musulmans. L’Arabie saoudite, emboîtant le pas à l’Égypte, qualifie alors les Frères d’«organisation terroriste».
Réunie, le 11 juillet 2018, pour une audition sous l’intitulé de «la menace des Frères musulmans pour les Etats-Unis et leurs intérêts», la sous-commission de la sécurité nationale du Congrès américain a rendu un rapport aux conclusions extrêmement alarmantes, décrivant la Confrérie fondée en 1928 par l’Egyptien Hassan Al-Banna comme étant «une organisation islamiste radicale ayant essaimé en un réseau de filiales dans plus de 70 pays».
Pour cerner les contours de la menace que constituent les Frères musulmans pour les États-Unis et le monde, la commission s’est basée sur les témoignages et les rapports d’expertise d’un groupe d’éminent spécialistes composé de Hillel Fradkin, de l’Hudson Institute; Jonathan Schanzer, de la Foundation for Defence of Demecracies; Zuhdi Jasser, de l’American Islamic Forum for Democracy; Daniel Benjamin, Norman E. McCulloch Jr., John Sloan Dickey, du Center for International Understanding, au sein de Dartmouth College et de l’ambassadeur Ryan Crocker, diplomate en résidence à Princeton University.
La commission en a tiré un document de 90 page, extrêmement circonstancié, intitulé «The Muslim Brotherhood’s Global Threat», concluant que les Frères musulmans constituent «un mouvement global et influent, dont les différentes branches œuvrent à la promotion d’une idéologie radicale et extrêmement violente, même si certaines de ces branches ne sont pas directement engagées dans le terrorisme».
Vers une révision de la politique américaine vis-à-vis des islamistes
À l’issue de l’audition, le président de la sous-commission, le congressiste Ron DeSantis, a reconnu ouvertement que «la politique américaine n’a pas pris en compte le comportement radical des Frères musulmans et leur soutien aux groupes terroristes». Un aveu perçu comme un signe précurseur de la volonté du Congrès américain et de l’Administration Trump de classer les Frères musulmans comme organisation terroriste.
Face à cette menace qui pointe à l’horizon, la maison-mère des Frères musulmans est restée discrète, se contentant de la rhétorique habituelle, accusant le rapport de la commission américaine de faire partie d’une «campagne menée par l’extrême droite religieuse aux Etats-Unis contre l’islam». Mais, certains tentacules de la confrérie, notamment en Libye, ont qualifié ce rapport de «déclaration de guerre».
Ainsi, le chef du Parti de la Justice et de la Construction, vitrine politique des Frères musulmans en Libye, Khaled El-Mashri, s’est empressé d’aller à la rencontre de Stéphanie Williams, qu’il a connue lorsqu’elle fut chargée d’affaires par intérim à l’ambassade américaine en Libye, et qui venait d’être nommée représentante adjointe des Nations Unies dans ce pays, pour lui «demander des éclaircissements», tout en l’avertissant que ce rapport pourrait avoir des «conséquences dangereuses».
De son côté, le chef du conseil militaire de Tripoli, l’ancien djihadiste affilié à Al-Qaida, Abdelhakim Belhaj, actuellement proche des Frères musulmans, a été plus menaçant encore. Selon une note confidentielle européenne, il aurait mis en garde une source occidentale, avec laquelle il s’est entretenu à Istanbul, que le rapport du Congrès constitue à ses yeux «une déclaration de guerre des Etats-Unis et de leurs alliés émiratis contre les Frères musulmans», mettant en garde son interlocuteur que cela allait «avoir des conséquences, y compris en Libye».
Pour l’instant, toutes ces menaces demeurent de l’ordre de l’intimidation verbale. Mais, si l’administration Trump venait à mettre à exécution ses menaces de classer les Frères musulmans comme organisation terroriste, nul ne doute que les bras armés de la confrérie n’hésiteraient pas à passer des paroles aux actes.
Ennahdha refuse de condamner les Frères musulmans
Pourquoi ne pas demander à Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, et membre de longue date de cette organisation, qui prône la transparence, la fidélité à la Tunisie et le consensus, de se présenter devant le peuple tunisien pour faire son mea-culpa , donner un aperçu de la vision et de la philosophie de cette confrérie, qu’il dit ne plus partager, et condamner définitivement sa politique, nous donnant ainsi la preuve qu’il a en pris ses distances et qu’il luttera désormais contre son intrusion en Tunisie ?
S’il ne le fait pas, c’est qu’il garde un lien avec cette organisation et partage encore sa vision.
* Avocat.
Donnez votre avis