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Mais où est passé Al Badil Ettounsi ?

Meeting de Mehdi Jomaa et Al-Badil Ettounsi en mars 2019 à Sidi Bouzid.

Créé dans l’euphorie en 2017, avant de rentrer rapidement dans les rangs, Al Badil Ettounsi persiste à tirer sur sa corde préférée – la «technocratie» – pour (ré-)imprégner, auprès d’une classe politique déroutée ainsi que d’une technostructure gouvernante perturbée, avec peu d’idées opératoires et, surtout, sans cap stratégique, le statut de «stat-up politique» et de parti «fournisseur de solutions».

Par Mahmoud Abdelmoula *

Qui se souvient encore de l’euphorie ayant accompagné au printemps 2017 la naissance du nouveau parti politique Al Badil Tounsi ?

À titre de rappel, «Patrie », «Vision» et «Action» furent les trois mots d’ordre du slogan de ce nouvel acteur politique qui se voudrait centriste, modéré et pragmatique…

Un projet politique plutôt alléchant pour beaucoup d’entre nous, faut-il le reconnaître… dans un paysage partitocratique marqué par un bipolarisme tendu.

Au départ, c’était «Alternatives», un «think tank» où se sont engouffrés – tous azimuts –les figures d’une intelligentsia tunisienne déçue de la première phase du processus transitionnel tunisien : depuis Béji Caïd Essebsi (2011) jusqu’au «compromis historique» Nidaa-Ennahdha (2014) en passant, bien entendu, par l’expérience amatrice de la «Troïka», conduite par le parti islamiste (2012-2013).

Un parti élitiste, urbanisé et technocratique

Puis, ce fut l’annonce de la naissance du parti politique proprement dit : Al Badil Ettounsi (2017). Jeunes et moins jeunes y ont adhéré et il y a eu un afflux alimenté par une frange des mieux instruits parmi les Tunisiens et les Tunisiennes…

Un parti élitiste, territorialement urbanisé et, culturellement «globalisé», dès son lancement. Elitiste dans son membership central d’abord. Les trois-quarts de ses fondateurs ont fait leurs classes auprès du Lίder Maximo, Mehdi Jomaa, l’inspirateur de sa genèse, lorsqu’il était chef du gouvernement technocrate (2014). Les autres, eux, attestent un tant soit peu d’expériences de politiciens …

D’expérimentées figures politiques, para-politiques et autres académiques se sont occupées de soigner sa légitimation doctrinale et sa visibilité institutionnelle auprès d’une opinion publique tunisienne épuisée par un ballotage politique incessant.

Toutefois, peu de choses laissent comprendre chez l’opinion publique que sa doctrine est de fibre social-libérale…

Par ailleurs, dans sa ramification territoriale, essentiellement urbaine, où des jeunes instruits et autres activistes patentés se sont enthousiasmés pour le message véhiculé par le discours pragmatique de cet acteur politique.

À l’approche des échéances électorales, il était même considéré comme le «parti qui montait», au point que son leader, aveuglé par une ambition mal calibrée, avait réfuté l’offre, du reste raisonnable, de s’allier à un compétiteur tout aussi centriste pourtant bien parti dans les sondages pré-électoraux…

Depuis, que d’eau a coulé sous les ponts…

Hormis sa première épreuve, locale, aux municipales du Bardo, où Al Badil Ettounsi, en alliance avec d’autres parties politiques, a pu décrocher une mairie-symbole, le Bardo, abritant le siège historique du pouvoir législatif de la nation, la performance électorale est tout autre que réjouissante.

À commencer par les présidentielles de 2019 sur lesquelles les fondateurs du parti ont – trop – misé. Convaincus du déficit de son ancrage territorial auprès de masses populaires paupérisées, la primauté fut tout naturellement donnée à l’accès à la magistrature suprême de l’Etat tunisien : la présidence de la république. Le «score» établi par l’inspirateur et le leader du parti fut si décevant qu’il a fini par jaillir négativement sur ses candidats aux législatives organisées au même moment. Et dans toutes les régions…

Le lendemain de cette épreuve, silence radio ! Auprès de la haute direction ainsi que des bureaux régionaux, on entendait une mouche passer !

Le parti qui s’est présenté dans tous les arrondissements électoraux avait opté pour une démarche quasi solitaire en dehors de tout esprit d’alliance politique objective avec des acteurs locaux qui lui sont proches idéologiquement et susceptibles d’apporter à son discours un tant soit peu de crédibilité sociale…

La sentence ne s’était pas fait attendre : 3 sièges décrochés (sur 217) dans 3 régions (Sousse, Monastir et Sidi Bouzid). À l’instar du plus claire de nos députés, le généreux mécanisme de calcul des voix exprimées au vote (à savoir la proportionnelle) y fut d’une aide indubitable…

Une brusque démobilisation de cadres enthousiasmés par ce nouvel acteur qui se voudrait «pragmatique», semble s’être installée : mais où est passé Al Badil Ettounsi ?

Aussitôt, le flux d’alimentation informationnelle à l’adresse de militants, notamment sur les réseaux sociaux, commençait à tarir…

La communication publique a quasi cessé pour se retrouver avec des «news» figées… et une visibilité politique déclinante…

Une gouvernance politique qui laisse à désirer

En cette Tunisie transitionnelle, une issue si désolante de parti idéologiquement libéré des clichés caducs et censé incarner un espoir de renouveau politique ne doit pas surprendre. Sur les plus de 200 partis politiques recensés depuis 2011, combien seraient-ils ceux ayant – légalement et réglementairement – tenu leurs propres congrès constitutifs ? Etaient-ils populaires, démocratiques et accessibles au public ?

Exceptés des partis politiques historiques d’ancienne création, dont PDP/Al-Joumhouri, Ennahdha, POCT, PPDU ou Watad et autres de création post-2010 dont Afek Tounes, s’efforçant, à degrés différentiels, d’entretenir une certaine rigueur organisationnelle, quid des autres acteurs de notre «partitocratie» qui soient publiquement et démocratiquement constitués?

Même pas Nidaa Tounes ! Emblème d’un autre paradoxe bien de chez nous, les Tunisiens : un parti ayant peu ou prou observé la règlementation en la matière… tout en étant dépositaire du double pouvoir, législatif et exécutif…

Me Ayachi Hammami et ses services, nous le diront, un jour…

En tous cas, pas Al Badil Ettounsi dont le premier bureau politique – et même remanié – doit, en fait, correspondre à un output de convergence endogame entre fondateurs plutôt qu’à celui de vote explicite en congrès constitutif électoral qui soit démocratique et accessible à sa base militante…

Ses incessants remaniements effectués tant avant qu’après les élections 2019 ne pourront attester d’une gouvernance franchement démocratique…

Une tendance lourde à la dérive de cette gouvernance politique semble se dessiner…

Il n’en demeure pas moins qu’Al Badil Ettounsi persiste à tirer sur sa corde préférée – la «technocratie» – pour (ré-)imprégner, auprès d’une classe politique déroutée ainsi que d’une technostructure gouvernante perturbée, avec peu d’idées opératoires et, surtout, sans cap stratégique, le statut de «stat-up politique» et de «fournisseurs de solutions»

Cela dit, les Tunisiens, seraient-ils condamnés à revivre l’expérience de 2014 où dans une démocratie si fragile soit-elle, un non-élu gouverne le bled?

Mais voilà qu’en ce 2020, rebelote… avec l’issue qu’on connaît…

La mouvance centriste modérée tunisienne en charpie

La double modernisation de la gouvernance institutionnelle de l’Etat tunisien demeure handicapée par un déficit d’authentique processus d’«élicitation» (terme emprunté à l’ami Moncef Bouchrara) qui soit ouvert et générateur d’élites publiques et d’affaires rodées à la redevabilité publique en étant incessamment mises à l’épreuve de la double performance, politique et managériale…

La mouvance centriste modérée tunisienne dont sa composante historique, destourienne, est doublement débordée. Par une réalité si complexe qu’elle en devient sous-intelligible ainsi que par une opinion publique mercuriale. Elle se doit de prospecter une voie toute indiquée : l’émergence de leadership à crédibilité morale peu contestable… doté de capacité propre à peser sur les processus de notre réalité publique…

Une Tunisie effectivement plurielle, tolérante et pérenne devra passer par là !

Alors, encore un emprunt (au sage Taoufiq Al Hakim) : pour quand le retour à la raison ?

* Economiste.

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