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La fille de La Goulette, Gisèle Halimi n’est plus

Tunisienne de naissance et de cœur, engagée dans les luttes anticolonialistes et militante féministe de la première heure, Gisèle Halimi, femme de caractère et avocate courageuse au service de ses idées progressistes, s’est éteinte à Paris à 93 ans.

Par Hassen Zenati

«Ma mère a eu une belle vie», a déclaré le fils de Gisèle Halimi, Emmanuel Faux, ancien journaliste à Europe-1, en annonçant son décès. De fait, l’avocate et militante féministe a eu une vie bien remplie avant de tirer sa révérence, laissant le souvenir d’une femme de conviction, ouverte et réticente au politiquement correct.

Une fervente militante pour les libertés

Née à La Goulette le 27 juillet 1927, Gisèle Halimi, élève du lycée des jeunes filles de Tunis, diplômée de la faculté de droit et de lettres et de l’Institut d’études politiques de Paris, est entrée au barreau à Tunis en 1949, avant de poursuivre sa carrière d’avocate à Paris en 1956. Elle fait son entrée en politique en militant pour l’indépendance de la Tunisie, en compagnon de route fidèle du Néo-Destour et de Habib Bourguiba. Ce qui la conduira à s’engager aux côtés du Front de libération nationale (FLN) contre la torture et pour l’indépendance de l’Algérie et à se rapprocher du mouvement nationaliste marocain. Elle prendra une part active dans la défense des détenus politiques du FLN, notamment Djamila Boupacha. Avec Simone de Beauvoir, elle cosignera un livre d’hommage à sa «cliente». Elle prendra ensuite la défense de la cause palestinienne après avoir dénoncé les crimes de guerre américains au Vietnam. Elle figurait parmi les membres du comité de parrainage du Tribunal Russel sur la Palestine en 2009. Le militant palestinien, Maourane Barghouthi, détenu depuis des années dans une prison israélienne, lui a demandé d’être parmi ses avocats.

Les « Salopes» font entendre leurs voix

À partir des années 1970, elle prend une grande part dans la fondation et l’expansion du mouvement féministe français, en signant notamment en 1973 le Manifeste des 343 – dit par défi «Manifeste des 343 Salopes» — publié par le Nouvel Observateur. Il s’agit d’une pétition signée par 343 femmes célèbres ou anonymes – un coming out, dirions-nous aujourd’hui – qui déclarent s’être fait avorter, en violation de la loi interdisant l’avortement. Elles voulaient faire évoluer cette loi et reprendre la liberté totale de leur corps, en décidant elles-mêmes de leur procréation. Son nom figurait notamment aux côtés de Simone de Beauvoir, de Françoise Sagan, Catherine Deneuve et Jeanne Moreau. En 1975, les «Salopes» auront gain de cause en arrachant la dépénalisation de l’avortement, le droit à l’avortement et enfin l’interruption volontaire de grossesse.

Dans ces années-là, Gisèle Halimi sera la vedette de plusieurs procès intentés à des jeunes femmes ayant pratiqué l’avortement après un viol ou victimes de viol. Elle fera reconnaître ce dernier comme un crime et non plus comme un délit.

Militante pour la paix, elle était aussi parmi les fondateurs d’Attac, l’association altermondialiste opposée à la mondialisation sauvage. Déçue par François Mitterrand, elle s’engagera une dernière fois en politique aux côtés de Jean-Pierre Chevènement dans le mouvement Citoyen, à l’occasion d’une élection européenne.

Souvenirs de Tunisie

J’avais onze ans lorsque éclata, à Tunis, la grande répression du 9 avril 1938 [une date charnière dans l’histoire du mouvement nationaliste tunisien]. Des mitraillettes tiraient dans la rue, des tanks barraient le boulevard Bab-Benat, des soldats — beaucoup de Noirs, des Sénégalais, j’en avais été frappée — sillonnaient, l’arme au poing, les ruelles de la Médina. Le sang coula, notamment à la Zitouna [université religieuse située alors dans la mosquée éponyme], où plusieurs étudiants furent abattus. (…) Je me souviens encore de cette journée nationaliste (…). Au parc Gambetta, aux portes nord de la ville, un peuple joyeux et mêlé se pressait. Femmes voilées de blanc, vieillards, intellectuels, dockers, yaouled avec leur boîte à cirage de chaussures, tous convergeaient vers l’esplanade. Venant de la Kasbah, ils descendaient participer à leur première kermesse de la liberté. Bourguiba et d’autres leaders avaient harangué la foule. La Tunisie voulait un Parlement, des libertés démocratiques, un gouvernement. Après le meeting, tout rentra dans l’ordre sans le moindre incident. Je regardais, étonnée, les places cernées par les tanks et les rues pleines de camions militaires, sans imaginer la tuerie qui s’ensuivrait, décidée pour le lendemain, à froid. La troupe tira sur les étudiants, sur les femmes désarmées, sur des enfants qui couraient, affolés par le sifflement des balles. (…)

[En 1957, au palais de Carthage, l’auteure, devenue avocate, aborde avec le président Bourguiba la question du combat des nationalistes algériens.] Dans un français châtié, il me résume Mao. Compter sur ses propres forces, d’abord. Le reste viendra de surcroît. Et, de ce reste, il prendra sa part. J’insiste, maladroite. Il s’enflamme : «Ça suffit l’Algérie !… Après tout, vous êtes tunisienne, non?» Debout, il ordonne : «Et ne l’oubliez pas ! Enti, taana, tu nous appartiens.» Je rengaine mes arguments sur l’importance de sa médiation, sur son prestige de chef arabo-occidental, j’abrège et nous dînons. Dîner morose. Je prends congé très vite. Il ajoute seulement : «Bourguiba prendra ses responsabilités, tout le monde le sait, ça.»

Extraits de l’ouvrage de Halimi ‘‘Le Lait de l’oranger’’, Gallimard, Paris, 1988.

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