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Tunisie : Les contrebandiers portent des armes contre l’Etat

Les barons de la contrebande en Tunisie ne se contentent plus de complicités au sein de l’administration publique pour protéger leurs trafics de toutes sortes et préserver leurs énormes intérêts, ils recourent désormais aux armes et tirent sur les agents de l’Etat. Il y a péril en la demeure…

Par Ridha Kéfi

L’information n’est pas anodine. Elle est même très grave. Un soldat est décédé par balle, hier, dimanche 2 août 2020, lors d’une course-poursuite et un échange de feu entre une unité de l’armée et un groupe de contrebandiers armés, au niveau de la zone militaire de Dhehiba à Tatatouine, à la frontière de la Libye.

Dans un communiqué publié ce lundi 3 août, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), qui a souvent alerté les autorités sur les menaces que la contrebande fait peser sur une économie tunisienne chancelante, est la seule organisation nationale, jusque-là, à s’être alarmée de cette montée en puissance de ce fléau. Et pour cause, les contrebandiers ne se contentent plus, une fois débusqués, d’abandonner leur véhicule et de s’enfuir. Ils prennent désormais les armes et tirent sur les agents de l’Etat, qu’il s’agisse de douaniers ou de militaires.

Affaiblissement de l’Etat et affaissement de son autorité

Ce fait, dont on devrait tous s’alarmer, tant il souligne le degré d’affaiblissement de l’Etat et d’affaissement de son autorité au regard des malfaiteurs, nous rappelle le début des fameux cartels de Medellin en Colombie qui, avec l’aide d’une population gagnée à leur cause, sous la menace de représailles ou par le biais de la corruption, ont réussi à constituer un véritable Etat dans l’Etat et à faire régner leur loi sur des régions entières de ce pays de l’Amérique du Sud.

Nous n’en sommes certes pas encore là, en Tunisie, mais le phénomène de la contrebande, qui sévit sur une bande frontalière de 1200 km avec l’Algérie et de 500 km avec la Libye, a pris une telle ampleur qu’il met en jeu d’énormes intérêts financiers pouvant amener les barons à la tête de ces trafics de toutes sortes (migration clandestine, armes, drogues, devises, carburants, cigarettes, matériels électroménagers, etc.) à constituer des sortes de milices armées chargées de protéger leurs convois et leurs dépôts, aux quatre coins du pays, moyennant quelques complicités au sein même de l’administration et des corps constitués.

Plus grave encore : les liens entre ces barons de la contrebande et les groupes extrémistes armés sont connus et documentés, partout dans le monde, car ils ont souvent un même objectif : affaiblir l’Etat pour ouvrir des brèches dans le dispositif sécuritaire et faciliter leurs opérations respectives, sachant que, souvent, les trafics des uns financent les desseins des autres. Ils se soutiennent et s’entraident car ils tirent profit tous deux de l’affaiblissement de l’Etat et tendent à le démanteler et à prendre sa place sur d’immenses territoires dont ils finissent souvent par prendre sous leur contrôle.

L’Etat, ou ce qui en reste, doit agir fermement avant qu’il ne soit trop tard

On fera aussi remarquer, au passage, sans prendre aucune précaution de langage, que certains mouvements dits sociaux (du côté du bassin minier de Gafsa, au sud-ouest, à la frontière avec l’Algérie, ou à Tataouine, à l’extrême-sud, à la frontière avec la Libye) peuvent être alimentés (et même financés en sous-main) par des barons de la contrebande, en accord avec des groupes politiques, œuvrant ensemble pour un même objectif : harceler les corps constitués, garants de l’ordre et de la stabilité, notamment dans les régions intérieures, afin de desserrer l’étau sur les réseaux de trafics de toutes sortes et ouvrir devant eux de véritables autoroutes pouvant les mener jusqu’au cœur des grandes métropoles du pays, où ils disposent déjà de nombreux relais.

Une bonne partie de l’argent sale de la contrebande n’est-il pas dépensée (traduire : blanchie) dans des pseudos projets montés dans les quartiers huppés de la capitale : restaurants, salons de thé et commerces de toutes sortes… ?

Ce n’est pas avec les statistiques gonflées et trompeuses de la direction de la douane tunisienne ou les déclarations soporifiques du président de la république Kaïs Saïed sur la «férocité des poissons de terre et des poissons de mer» que l’on va vraiment combattre ce fléau.

Ce combat requiert des moyens autrement plus efficaces, c’est-à-dire des lois qui protègent les agents sur le terrain et leur permettent de faire usage de leurs armes contre les malfaiteurs qui osent s’attaquer aux représentants de l’Etat et mettent en péril sa stabilité. Le laxisme actuel est le plus court chemin à la faillite de l’Etat…

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