Après Mitterrand à Sarajevo en 1992, Chirac à Jérusalem en 1996, Sarkozy (avec David Cameron) à Benghazi en 2011 et Hollande à Tombouctou en 2013, voilà Emmanuel Macron à Beyrouth en 2020, hier, jeudi 6 août 2020, une visite dont les Libanais attendent beaucoup, mais que le jeune président français a su mener avec le doigté nécessaire, étant conscient qu’au Liban, et au Moyen-Orient en général, une puissance occidentale marche toujours sur des œufs.
Par Chedly Mamoghli *
La visite d’Emmanuel Macron à Beyrouth va au-delà de l’amitié et du soutien qui peuvent être exprimés par n’importe quel chef d’Etat se rendant dans la capitale libanaise suite à la tragédie survenue ce mardi et d’ailleurs d’autres chefs d’Etat vont s’y rendre. La visite de Macron, au-delà de l’amitié et du soutien, contient d’autres portées et symboliques.
La France ne renoncera pas à son rôle historique au Liban
D’abord, la France a joué un rôle historique dans la création du Liban et est demeurée depuis un grand acteur de l’Histoire contemporaine de ce pays.
Ensuite, la France a une tradition très ancrée, et qui remonte aux croisades, dans la protection des chrétiens d’Orient. Cette tradition demeure vivante; elle a survécu aux siècles et aux vicissitudes de l’Histoire. Bien que la monarchie ait été abolie depuis 1792 et bien que la France ne soit plus «la fille aînée de l’Eglise», cette vocation existe encore sous la République laïque.
Enfin, cette visite contient un message très politique, qui au-delà de l’amitié franco-libanaise, est adressé à la Syrie d’Assad, aux Iraniens et à tous ceux qui sont dans l’axe Téhéran-Damas au Liban, dans la région et partout. Ce message veut dire que la France est là, a son mot à dire, ne lâchera jamais le Liban et qu’elle ne renoncera jamais à son rôle et à sa vocation dans ce pays. La présence d’Emmanuel Macron, quelques heures seulement après la tragédie, est éminemment politique, le Liban demeurant un des principaux piliers de la politique étrangère française dans le Moyen-Orient.
Ne pas laisser l’émotion prendre le dessus sur la raison
Sur un autre plan, le jeune président français se démarque par la conjugaison de l’énergie et de l’intelligence. Tout au long de cette journée et malgré tous les appels de beaucoup de citoyens excédés qui lui disaient «de les sauver», «de les débarrasser de la classe politique corrompue et de la mettre en prison», une jeune fille à bout de nerfs lui a même demandé de rétablir le mandat français, mais à aucun moment, il n’a laissé l’émotion prendre le dessus sur la raison. Il a répondu qu’il est «venu au Liban en ami qui veut aider» mais qu’il n’entend pas «se substituer aux autorités libanaises» et que «le peuple libanais est un peuple souverain».
Ensuite et après s’être réuni avec le président Michel Aoun à Baabda, il s’est réuni à la Résidence de France avec tous les protagonistes de la scène politique libanaise même ceux qui sont alignés sur l’axe Téhéran-Damas au risque de froisser les alliés de la France. Ça n’a d’ailleurs pas du tout plu aux composantes du mouvement du 14-Mars, aux médias et aux Libanais anti-Hezbollah et ils le lui ont fait savoir lors de la conférence de presse. Il leur a répondu logiquement qu’il ne pouvait pas dialoguer avec une seule partie et ignorer l’autre s’ils veulent que les choses avancent. Il a ajouté qu’il n’était pas un contestataire ou un révolutionnaire mais le président de la République française mobilisé dans cette tragédie que traverse le pays du Cèdre. Il a eu aussi l’humilité de reconnaître que la situation était complexe et compliquée en disant: «J’ai bien compris la situation mais je n’ai pas la réponse».
Les Libanais ne peuvent pas reconstruire leur pays avec ceux qui l’ont détruit,
Les Libanais, intelligents comme toujours, lui ont fait savoir non sans un bon sens bien aiguisé qu’ils ne peuvent pas reconstruire leur pays avec ceux qui l’ont détruit, ceux qui l’ont sabordé et ceux qui ont anéanti leur État. La classe politique, vorace, corrompue et mafieuse, ne peut pas être la solution. Rendez-vous est pris le 1er septembre, il sera de retour.
Pour conclure, concernant l’intelligence de Macron, elle se manifeste surtout par sa souplesse intellectuelle, il n’a pas cette rigidité d’esprit qu’ont beaucoup de nos gouvernants jeunes ou moins jeunes, qui sont actuellement au pouvoir ou qui ne le sont plus. Évoluer, ne pas persister dans ses mauvais choix et reconnaître ses erreurs et ses fautes ne sont pas des faiblesses mais un signe d’intelligence. Je n’avais pas de sympathie particulière à son endroit au moment de son élection; je le trouvais trop élitiste, trop establishment et hors-sol mais l’affaire Benalla et surtout l’épisode des Gilets jaunes l’ont profondément changé et fait évoluer. C’est perceptible et cette évolution s’est manifestée d’une façon éloquente surtout dans le choix de Jean Castex comme Premier ministre, un homme qui est à la fois un commis de l’Etat expérimenté et un élu local d’une petite commune de la France rurale.
Macron a beaucoup évolué et sa souplesse intellectuelle l’a beaucoup aidé. Les Français, qui critiquent et bousculent toujours leurs gouvernants parfois jusqu’à l’excès et c’est toujours mieux que l’attitude complaisante destructrice, ont de quoi être fiers de leur jeune président.
* Juriste.
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