La conversation téléphonique, samedi 8 août 2020, entre le président Kais Saied et le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, a porté sur des points inscrits à l’ordre du jour de la réunion du Conseil de sécurité de mardi prochain, 11 août. Et notamment celui relatif au renouvellement des sanctions contre l’Iran.
Par Imed Bahri
Dans le communiqué de presse publié hier après-midi, la présidence de la république a affirmé, dans une parfaite langue de bois qui n’aurait pas déplu à l’ancien dictateur Zine El Abidine Ben Ali et à son chargé de communication Abdelwahab Abdallah, que la conversation a été «axée, dans un premier temps, sur les relations solides entre les deux pays avant et après l’indépendance de la Tunisie». Mais quoi encore ?
Le président Saïed a souligné, de son côté, «la nécessité d’ouvrir de nouveaux horizons pour développer davantage ces relations, dans le cadre d’une nouvelle approche des relations internationales». Mais quoi encore ?
Le chef de l’Etat a estimé que «de nombreuses expériences antérieures n’ont pas conduit à la réalisation de la paix et de la sécurité internationales dans le monde». Soit, mais quoi encore ?
Au-delà de la parfaite langue de bois saïedienne
De son côté, le secrétaire d’Etat américain a affirmé que «les Etats-Unis sont prêts à soutenir davantage la Tunisie dans tous les domaines», ajoute le communiqué, un modèle de mauvaise communication voire de désinformation digne du président de la Corée du Nord. Le texte conclut : «Le président Kais Saied et Mike Pompeo ont également discuté d’un certain nombre de questions internationales et régionales». Mais quelles questions ? Mystère et boule de gomme…
On apprendra par la suite, grâce à un tweet de M. Pompeo partagé par l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, que ce dernier ne s’est pas dérangé pour de telles vétilles. «Discussion fructueuse aujourd’hui avec le président de la république tunisienne Kais Saied à propos des questions que nous confrontons au sein Conseil de sécurité. Les relations entre les Etats-Unis et la Tunisie sont fortes», a-t-il noté.
Il ne faut pas être grand clerc pour saisir l’objet de la conversation téléphonique. Car parmi les problèmes auxquels sont confrontés les membres du Conseil de sécurité, dont la Tunisie, qui en est membre non-permanent, il y a notamment le projet de résolution américaine portant sur le renouvellement de l’embargo sur les armes imposé l’Iran.
Les Etats-Unis savent que la Russie et la Chine pourraient opposer leur veto à une telle résolution, car ils sont parmi les plus importants fournisseurs de ce pays, et cherchent à mettre le plus grand nombre d’Etats membres du Conseil de sécurité de leurs côtés. Le but de Washington est donc de garantir le vote de 9 Etats, dont la Tunisie, en faveur de ladite résolution de manière à la faire passer et à contraindre ainsi les Russes et les Chinois à y opposer leur veto.
D’ailleurs, avant d’appeler le président tunisien, Pompeo avait évoqué la même question avec les ministres des Affaires étrangères de l’Indonésie et du Vietnam, deux autres membres non-permanents du Conseil de sécurité, pour s’assurer également de leur appui.
Saïed et la politique du siège vide
La Tunisie n’ayant pas de ministre des Affaires étrangères en poste, depuis le limogeage brutal de Noureddine Erray, le secrétaire d’Etat américain a donc dû en parler directement avec le président Saïed, qui, si on en croit le ton satisfait du tweet du responsable américain, a donné satisfaction à son interlocuteur. Est-ce que la Tunisie va donc voter en faveur du projet de résolution américaine hostile à l’Iran ? Ce serait une position lourde de conséquence et qui marquerait un tournant dans la politique étrangère tunisienne, dont la doctrine est fondée sur de la neutralité et la non-implication dans les conflits et les politiques des axes.
Quoi qu’il en soit, et pour être crédible, la présidence de la république doit commencer par nommer rapidement un chef de la diplomatie et un ambassadeur à Paris, deux postes importants étrangement et mystérieusement laissés vacants par le président Saïed, dont on se demande si, par cette politique du siège vide, ne cherche-t-il pas à marginaliser la diplomatie tunisienne ou… à l’incarner à lui tout seul, comme un grand. Ce qui n’est pas rassurant quant à la suite…
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