Cette fois-ci, c’est la Banque centrale de Tunisie (BCT) qui le dit et sans détour : «Chute brutale de l’activité économique au T2-2020, avec un taux de croissance qui se situerait entre -12% et -10% en variation trimestrielle, contre -2,0% enregistré au T1-2020.» C’est une contraction historique dont les gouvernants doivent mesurer les conséquences et, surtout, s’y préparer avec la rigueur requise.
Par Moktar Lamari, Ph. D.
Toute une mauvaise nouvelle pour le pays et pour le gouvernement en constitution, même si, ces chiffres ont été prévus et communiqués avec rigueur par deux économistes tunisiens depuis trois mois (par M. Lamari au début avril et par Z. Elkadi en mai). Ces deux économistes n’ont pas eu l’écoute nécessaire de la part du gouvernement Fakhfakh, et leurs estimations ont été contestées par de nombreux autres de leurs collègues, à l’image de H. Hammouda, de S. Zouari et M. H. Bchir, tous prévoyaient une récession située trois fois moins élevée, que ce que dit le rapport la BCT publié ce 10 août 2020.
Que disent les chiffres de la BCT?
Dans son rapport de conjoncture, la BCT annonce donc une récession estimée (à partir des données disponibles et observées, avec une marge d’incertitude liée à des prévisions liées à certains secteurs) que l’économie tunisienne aurait connu une contraction historique, au T2-2020, ajoutant qu’on «s’attend à une chute brutale de la valeur ajoutée dans les secteurs des services marchands, des industries manufacturières et celles énergétiques et, à un moindre degré, dans le secteur agricole».
Le tableau suivant résume la courbe et l’ampleur de la chute du PIB:
Comme indiqué dans le graphique : i) la récession estimée en variation trimestrielle (comparant chaque trimestre à son précédent) variera entre -12% et -10%, ii) la récession estimée en termes de glissement annuel pousserait cette récession dans un intervalle plus accentué (entre -12 et -13%). Mais, la Banque centrale ne précise pas ce détail dans le texte écrit (autrement que par le graphique).
Quelles implications pour l’économie?
Au moins trois implications sont à noter dans ce cadre.
Un : la destruction des emplois liés à cette récession risque d’être monstrueuse. L’étude signée par Z. Elkadi et collaborateurs estime à presque 500.000 destructions d’emplois, rien que dans le secteur formel, suite aux confinements mal-calibrés en lien à la pandémie de la Covid-19. Le taux de chômage grimperait à plus de 22%, avec un effectif qui peut dépasser 1.200.000 chômeurs pour cet automne 2020. Et cela change la donne politique et stratégique pour le gouvernement de Hichem Mechichi. La lutte contre le chômage et ses divers impacts sociaux, migratoires, sécuritaires et économiques, vont remonter dans les agendas et échelles de priorités politiques et s’accaparer de l’essentiel des ressources budgétaires disponibles. Le gouvernement Mechichi doit vite prendre la mesure des urgences et conséquences prévisibles en lien aux données de la BCT.
Deux : les chiffres de la BCT sont aussi alarmants pour équilibres macro-économiques globaux. Une telle récession réduit drastiquement les entrées fiscales de l’État et peut mettre en cause la capacité de l’État à payer les salaires et les indemnités sociales liées, totalement ou partiellement. Sans un recours encore plus massif à la dette, les comptes du Trésor public peuvent s’assécher plus vite qu’on ne le pense, ou qu’on le laisse croire.
La BCT déplore aussi que le déficit budgétaire se soit creusé de 36% (passant de -3.847 MDT, à la fin juin 2020, contre -2.464 MDT un an auparavant), notamment par une hausse insensée des dépenses de fonctionnement de l’État. Les impacts vont se faire sentir sur la valeur du dinar et sur la capacité du pays à honorer ses dettes venues à maturation pour 2020 (4 milliards de $ US).
Trois : le gouvernement Fakhfakh aurait dû écouter les experts économistes pour mieux calibrer le confinement, et éviter de gouverner à «l’aveuglette» en arrêtant net l’économie du pays, sur un coup de tête, loin de toute rationalité économique et du bon sens de la prospective, requis par une gouvernance axée sur les résultats.
Encore une fois, la mal-gouvernance et l’improvisation font saigner l’économie du pays. Le coût de cette erreur de calibrage du confinement (durée et intensité) et l’insuffisance des mesures d’accompagnement vont coûter à l’économie 10 à 12% de son PIB pour 2020. Soit entre 10 et 15 milliards de dinars de perte sèche. Une évaluation ex-post doit être faite pour mesurer les responsabilités et éviter que de telles erreurs de gouvernance et de planification ne se reproduisent à l’avenir.
* Universitaire au Canada.
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