Englué dans des affaires judiciaires interminables, Benjamin Netanyahu épingle au revers de son veston, à peu de frais, une nouvelle victoire diplomatique qui devrait généraliser à terme la normalisation des relations d’Israël avec les états de la Ligue arabe et en finir avec le droit des Palestiniens à leurs terres et à un état souverain.
Par Hassen Zenati
L’un derrière l’autre, ils iront tous à Canossa s’agenouiller devant le patron israélien du Proche-Orient, Benjamin Netanyahu, comme le fit en 1077 Henri IV, empereur du Saint-Empire romain germanique devant le pape Grégoire VII pour qu’il efface l’excommunication qui le frappait.
C’est une prédiction déjà ancienne de plusieurs années. Elle est d’un commentateur célèbre de la radio d’Etat israélienne. En ce mois d’août, elle reçoit un début de réalisation avec l’accord de paix entre les Emirats arabes unis et Israël, annoncé à Washington, agissant en démiurge d’un nouveau Proche-Orient, et confirmé dans les mêmes termes par les deux capitales concernées.
Les «égarés arabes» font pénitence aux pieds du spoliateur israélien
Tragique retournement des choses : le spoliateur et bourreau des Palestiniens, devenu victime, attend désormais de pied ferme les «égarés arabes», qui viendront faire pénitence à ses pieds, en demandant l’absolution de leurs péchés d’avoir combattu la colonisation sioniste sur leurs terres ancestrales.
Les Emirats arabes unis, qui n’ont jamais participé par un seul coup de feu au combat des Palestiniens, ouvriront le chemin à d’autres pays de la Ligue arabe. On parle déjà d’Oman, qui a reçu en octobre 2018 la visite du Premier ministre israélien, de Bahreïn, qui entretient des relations économiques et culturelles ouvertes avec les dirigeants sionistes, et du Soudan, dont le président du Conseil souverain, Abdel Fattah El-Burhan, a rencontré en 2019 à Entebbe Benjamin Netanyahu, qui s’était empressé de le faire savoir au monde entier, au grand dam de son «hôte», qui ne tenait pas à ébruiter la rencontre. El-Burhan devait ainsi montrer son adhésion à la pax americana au Proche-Orient en contrepartie d’une levée partielle des sanctions américaines. L’Arabie saoudite prendra le même chemin un peu plu tard. Elle est déjà sous pression américaine pour suivre le cortège des «pénitents». Washington devrait profiter des turpitudes de son prince-héritier Mohammed Ben Salmane, convoqué par la justice américaine sous le chef d’accusation de projet d’assassinat d’un de ses cousins réfugié au Canada. Et la liste n’est pas close.
L’affaire était en route depuis fin 2019. Le ministre des Affaires étrangères émirati, Abdallah Ben Zayed, reprenant sans nuance la position israélienne reconnaissait même le «droit» d’Israël à «se défendre» face aux «menaces» que représentent l’Iran et le Hezbollah libanais, tandis que le ministre des Affaires étrangères bahreïni, Khalid Ben Ahmed, parlait de l’éventualité d’une mise en place «ultérieure» de relations diplomatiques avec Israël. Alliés de Riyad, les deux émirs ont fait passer l’Iran en tête de leurs préoccupations stratégiques, tout comme l’Arabie saoudite et Israël.
Donald Trump se replace dans la course à sa propre succession
L’accord annoncé jeudi 13 août 2020 doit être signé début septembre à Washington en présence de Donald Trump qui était à la recherche du moindre succès à l’intérieur ou à l’extérieur pour redorer son blason terni à quelques semaines d’une élection présidentielle qui s’annonce cauchemardesque pour lui. Son rival démocrate Joe Biden a profité de toutes ses erreurs dans la gestion des crises sanitaire et économique pour reprendre des couleurs. Ces dernières semaines, il a pris dix points d’avance dans les sondages. L’arrivée à ses côtés de Kemala Harris, 55 ans, une métisse de mère indienne et de père jamaïcain, féministe à poigne, battante et populaire devrait lui donner un peu plus d’oxygène.
Donald Trump parle dans un tweet d’une «ENORME avancée» et d’un «accord de paix historique» entre «deux GRANDS amis» des Etats-Unis. (NDLR : les majuscules sont de lui). «Cette avancée diplomatique historique va faire progresser la paix dans la région du Moyen-Orient et témoigne de la diplomatie audacieuse et de la vision des trois dirigeants ainsi que du courage des Émirats arabes unis et d’Israël pour tracer un nouveau chemin qui déverrouillera l’énorme potentiel de la région. Les trois pays affrontent plusieurs défis communs et bénéficieront mutuellement de l’accord historique d’aujourd’hui», ajoute-t-il dans un communiqué.
Et pour faire dorer la pilule amère aux Palestiniens, il précise «qu’à la suite de cette avancée diplomatique et à la demande du président Trump avec le soutien des Émirats arabes unis, Israël suspendra sa déclaration de souveraineté sur les zones délimitées dans la Vision du Président pour la Paix et concentrera désormais ses efforts sur l’élargissement des liens avec d’autres pays du monde arabe et musulman».
Reprenant la balle au bond, Benjamin Netanyahu, prédit «une nouvelle ère qui commence dans les relations entre Israël et le monde arabe». Il annonce «un accord de paix complet avec des échanges d’ambassadeurs et des échanges commerciaux y compris des vols directs entre Abou Dhabi et Tel-Aviv», sans évoquer un quelconque renoncement à son projet d’annexion de nouveaux territoires palestiniens, ni l’option de deux Etats israélien et palestinien, défendue par la Ligue arabe et la communauté internationale, que l’accord permettrait de préserver, selon l’ambassadeur des Émirats à Washington, Youssef Al-Otaïba.
Même son de cloche du ministre d’État aux Affaires étrangères des Émirats, Anwar Gargash. Il estime que «la plupart des pays verront dans l’accord une initiative courageuse pour garantir une solution à deux États, à l’issue de négociations», en occultant le fait que cette option de deux États a toujours été ignorée par le président Trump. Son «plan de paix du siècle», s’il organise un nouvel apartheid territorial en transformant la terre palestinienne en peau de léopard, ne comporte aucune référence à un Etat palestinien vivant aux côtés d’Israël.
Le dossier palestinien devenu le cadet des soucis de toutes les parties
Pour Benjamin Netanyahu, c’est un nouveau cadeau, après le transfert à Jérusalem de la représentation diplomatique américaine. Il espère le mettre à profit pour se sortir d’un procès pour corruption et blanchiment d’argent ajourné à deux reprises à cause du coronavirus et pour permettre à ses avocats d’étudier les preuves retenues par le tribunal.
C’est la première fois dans l’histoire d’Israël qu’un chef de gouvernement en exercice doit faire face à des accusations criminelles de corruption de cette gravité. Malgré les manœuvres dilatoires, son épouse n’a pas échappé à ses juges. Elle a écopé dans la même affaire d’amendes et de prison avec sursis.
Pour le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, dont l’impuissance n’a jamais été aussi évidente, l’accord à venir est une «trahison». Il en appelle à la Ligue arabe transformée en coquille vide entre les mains de l’Egypte. Le maréchal Abdelfattah Sissi a été le premier à applaudir à la nouvelle réalisation diplomatique américaine. Les plus courageux de ses autres membres enfouiront leur tête dans le sable à la manière des autruches. Les plus téméraires se fendront d’un communiqué insipide prenant à témoin la communauté internationale, dont le dossier palestinien est devenu depuis longtemps le cadet des soucis. Ainsi vont les affaires palestiniennes depuis que l’Egypte a rendu les armes en 1979 et qu’à Oslo les dirigeants Palestiniens ont célébré, sans le savoir peut-être, les funérailles de leur cause, que les extrémistes israéliens semblent avoir définitivement enterrée en assassinant en public sur la Grande Place de Jérusalem le Premier ministre Yitzhak Rabin, principal signataire des accords.
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