Du potentiel touristique. Voilà ce que posséderait Sfax aux yeux de bon nombre de ses habitants, notamment parmi ceux qui sont actifs dans des secteurs-clés pour le tourisme, à l’instar de l’artisanat ou l’hôtellerie. C’est également ce que pense Mohamed Ali Toumi, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, qui était en visite aux villes de Sfax et de Kerkennah les 18 et 19 août 2020. Mais du chemin, beaucoup de chemin reste à parcourir pour que la région réalise son «rêve touristique».
Envoyé spécial : Cherif Ben Younès
Les Sfaxiens sont, d’ailleurs, les premiers à être conscients des difficultés et obstacles rendant la concrétisation de ce potentiel particulièrement laborieuse. En témoigne notamment la stagnation, depuis des années, du projet Taparura… bien qu’il faille reconnaître que la barre de l’ambition relative à celui-ci a été placée un peu trop haut.
Le projet Taparura…, une révolution touristique qui a du mal à se réaliser
Taparura est en effet un projet gouvernemental d’un énorme village touristique au bord de la mer, s’étalant sur 450 hectares, et prévoyant notamment la mise en place d’une nouvelle plage et l’aménagement d’une promenade le long de celle-ci d’un côté et d’une route de corniche de l’autre côté.
L’idée a été évoquée pour la première fois en 1978 et les travaux ont commencé en 1983, assure le gouverneur de Sfax, Anis Oueslati, ajoutant que depuis, pas moins de 250 millions de dinars ont été déboursés dans le cadre de ce projet.
Par ailleurs, même si M. Oueslati affiche de l’optimisme quant à l’avenir de ce projet, assurant que plusieurs mesures ont déjà été prises en vue de dépasser les obstacles qui l’ont, jusque-là, ralenti, à l’instar de la fermeture de l’usine Siap, source de pollution, force est de constater que le chemin est encore long, et ce, notamment pour des raisons logistiques, économiques et environnementales.
En attendant, d’autres initiatives, citoyennes et, certes, de moindre envergure, peuvent contribuer à la promotion touristique de Sfax…
Parmi celles-ci, il y en a une qui mérite le détour : le projet Arije el Médina, dont l’objectif est de préserver le patrimoine culturel et architectural de la Médina de Sfax, tout en l’enrichissant et en l’adoptant à l’époque présente.
L’idée de ce projet consiste à acheter des maisons situées à la Médina, puis les restaurer, tout en utilisant les mêmes matériaux que ceux utilisés pour la construction initiale, ensuite adapter l’architecture intérieure des bâtiments aux activités futures prévues dedans, et enfin les louer à des entrepreneurs professionnels dans leurs domaines d’exploitation et ayant une vision économique et culturelle claire et valorisant le patrimoine.
Exploiter le patrimoine architectural de la Médina
Ainsi des restaurants traditionnels, des cafés culturels, des concepts stores ou encore des maisons d’hôtes vont bientôt voir le jour dans ce magnifique quartier, le sauvant et le ressuscitant par la même occasion.
Quant à la valeur locative de ces «sous-projets», elle ne sera pas redistribuée aux actionnaires, mais réinvestie par l’association Arij, auteure de l’initiative, dans des projets similaires, assure Mourad Fendri, président du comité administratif, à l’occasion d’une présentation en 3 dimensions – faite à l’attention du ministre – d’un projet impliquant 5 maisons dans la Médina ayant déjà été acquises.
M. Fendri a, par ailleurs, indiqué que la municipalité de Sfax s’est montrée coopérative et que le commencement des travaux est prévu pour le mois d’octobre prochain.
De son côté, Mohamed Ali Toumi, a indiqué que son département ministériel encourage ce genre de projets qui visent à promouvoir le tourisme, notamment en se chargeant de 15% des coûts d’investissement, et en accordant une exonération de 3 ans des frais d’assurance relatifs à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et des frais fiscaux, avec la possibilité d’une prolongation de 3 ans supplémentaires.
Des success stories à préserver et à prendre pour exemples
Etant le premier producteur de l’huile d’olive en Tunisie, le gouvernorat de Sfax peut également exploiter ce succès pour la promotion touristique de la région. C’est, en tout cas l’avis du gouverneur, pour qui «la promotion du produit est une promotion de la Tunisie» et également du ministre du Tourisme, qui, pour sa part, a n’a pas manqué de rendre visite, lors de son déplacement à Sfax, à l’usine CHO, un des plus importants producteurs et exportateurs de l’huile d’olive en Tunisie, et plus précisément de la marque Terra delyssa (signifiant Terre d’Elyssa).
Groupe industriel oléicole intégré qui se spécialise dans la plantation et l’exploitation des oliveraies et qui a son propre réseau de distribution international, CHO a pour vision de «porter haut le drapeau tunisien dans le monde, à travers l’exportation de l’huile d’olive conditionnée», selon ses dirigeants, et pour ce faire, l’entreprise a la particularité de maîtriser la filière oléicole «de bout en bout», c’est-à-dire de l’agriculture jusqu’à la distribution, en passant par l’industrie.
En quelques chiffres-clés, révélatrices du rôle économique que joue l’usine, CHO a un volume de vente de 50.000 tonnes par an, contribuant à hauteur de 55% des exportations tunisiennes de l’huile d’olive conditionnée, et son chiffre d’affaires est de 400 millions de dinars (MD), en 2019. Par ailleurs, elle emploie plus de 900 employés permanents et 1.300 occasionnels, et est présente dans 42 pays.
Une autre success story a fait l’objet du déplacement de M. Toumi : une entreprise d’artisanat spécialisée dans le bois d’olivier, dont le protagoniste, le jeune Amir Chaâbane, a réussi, à partir de 0, à construire une usine de référence, aujourd’hui, dans le domaine, et dont le produit est très bien commercialisé à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Toutefois, afin que son projet continue à survivre et à évoluer, M.Chaâbane a besoin de plus d’encadrement et de soutien de la part des différentes structures administratives, telles que le ministère du Tourisme et de l’Artisanat, l’Office national de l’artisanat (ONA) et le gouvernorat de Sfax. Et c’est ce qu’il a d’ailleurs fait savoir au ministre et au gouverneur, mardi dernier.
Innover et se tourner vers des types de tourisme peu classiques
Alors, Sfax pourrait-elle devenir une ville touristique ? C’est la question à laquelle Mohamed Ali Toumi a tenté de répondre, lors d’un entretien accordé à Kapitalis, en marge de sa visite à la région.
Conscient que compter sur un tourisme classique, en tirant notamment profit de l’aspect balnéaire n’est pas tout à fait possible aujourd’hui dans la ville du centre-ouest tunisien, du fait de la pollution, le ministre pense qu’à court et moyen terme, il faut miser sur d’autres types de tourisme, moins classiques, qui mettent en valeur la dimension culturelle, culinaire ou encore sanitaire.
«Le nombre de cliniques dans la région a explosé depuis un moment. De plus en plus de patients issus de nos deux pays voisins, la Libye et l’Algérie, y sont régulièrement accueillis, en attendant que cela s’étende dans l’avenir pour couvrir d’autres nationalités», a-t-il lancé.
Le shopping est un autre volet touristique qui doit être mieux exploité par les habitants de la région selon le ministre. «Le Sfaxien est commerçant de nature. Et il y a de nombreux exemples dans le monde de régions ayant exploité cette caractéristique dans le cadre du tourisme, comme celui de Dubai», affirme-t-il, en insistant sur la nécessité de donner plus d’importance au marketing et à «la forme» du produit.
Interrogé sur le manque, pour le moins inadmissible – surtout pour une région aussi peuplée – de lieux de divertissements tels que des discothèques, des cinémas ou des bars, Toumi a souligné, en se basant sur sa propre expérience d’étudiant à Sfax, que la ville a quand même connu une nette évolution dans le bon sens par rapport à ce point depuis les années 90, où «les jeunes étaient obligés de rentrer chez eux à 18h».
Il a, par ailleurs, reconnu qu’il fallait «répondre davantage aux différents goûts de la clientèle, qu’elle soit nationale ou internationale» et «être plus ouvert», promettant que son département fera le nécessaire pour faciliter l’obtention de la licence d’alcool pour les nouveaux propriétaires de restaurants, notamment dans le but d’attirer les touristes.
L’autre ville du gouvernorat ayant fait l’objet de la visite ministérielle de ce début de semaine est l’île de Kerkennah, laquelle a, malgré la proximité géographique, des caractéristiques, des enjeux et des difficultés différents de ceux de Sfax.
Le but principal était d’inspecter l’état d’avancement de Founkhal, un projet structurant et ambitieux, de 55 hectares, visant à révolutionner la vie touristique à Kerkennah, notamment avec des hôtels, des zones vertes et résidentielles, des bungalows, des taxi-navires, etc. Certains parlent même de «Maldives de la Méditerranée» en évoquant ce projet, qui a malheureusement, à l’instar de Taparura du mal à franchir le cap…
Kerkennah : Un bijou de la nature… souffrant de plusieurs lacunes
La structure principale a déjà été réalisée, a assuré Khaled Trabelsi, directeur général de l’Agence foncière touristique (ANT), en parlant du projet Founkhal, ajoutant qu’aujourd’hui, ce sont les sociétés privées qui devront prendre la relève.
Par ailleurs, deux appels à manifestation d’intérêt ont déjà été effectués, poursuit-il, et le 3e est en cours, précisant que cette fois, il y aura plus de flexibilité et que les attentes des entrepreneurs seront davantage prises en compte.
Ces derniers auront donc soit la possibilité d’appliquer le modèle d’aménagement préparé par le ministère du Tourisme ou en concevoir un autre, précise-t-il dans le même contexte.
«Depuis le jour où l’idée du projet a été formulée, beaucoup de choses ont changé en Tunisie. Une révolution a eu lieu, puis des attentats. Les demandes sollicitant le pays [de la part des investisseurs] ont donc diminué. Il faut par conséquent s’y adapter et mettre en place une nouvelle philosophie de tourisme ciblé, en identifiant clairement le type de clientèle visé et celui du produit qu’on veut leur proposer», a commenté, de son côté, le ministre, qui est, pour rappel, originaire de la ville.
Mohamed Ali Toumi a complété son déplacement à kerkennah en rendant visite, comme la veille à Sfax, à des propriétaires de «petits projets» touristiques ou artisanaux connaissant du succès, à l’instar de la maison d’hôte Casa mia.
Gérée par Mme Monia, les 5 suites de cette résidence, qui offre notamment un jardin et une vue sur mer, sont réservées sans discontinuité jusqu’à la fin du mois de septembre. Le secret ? Une maison conviviale, des chambres spacieuses et confortables, une cuisine délicieuse et préparée, avec passion, par la propriétaire elle-même, qui assure, surtout, avoir comme seule préoccupation la satisfaction de ses clients.
La visite de Kerkenatiss, leader d’un groupement artisanale de l’île de Kerkennah, a également été au menu du déplacement du ministre. Lors de sa rencontre avec la fondatrice de ce commerce, Fatma Samet, celle-ci a assuré qu’elle accorde beaucoup d’importance au savoir faire des artisans kerkeniens, qui constituent, pour elle, une richesse et un potentiel ayant permis à son projet de mûrir depuis… quatre décennies.
Véritable bijou de la nature, notamment de par sa position stratégique au bord de la Méditerranée ainsi que ses spécificités naturelles, l’archipel de Kerkennah pourrait devenir une destination touristique de choix, si plusieurs ingrédients venaient à se rassembler, à commencer par l’allègement de son isolement relatif, par rapport au reste de la Tunisie.
En effet, pour se rendre à l’île située à 10 km au large de Sfax, il n’y a qu’un seul moyen de transport : le bac Sfax – Kerkennah, où la traversée dure plus d’une heure.
D’autre part, la pollution, qui commence à fragiliser ce territoire pourtant d’une grande richesse écologique, ainsi que les problèmes sociaux conduisant notamment à la migration clandestine vers l’Europe, à partir du port El Attaya, sont autant d’éléments qui préoccupent les Kerkenniens, et qui doivent être résolus avant de viser «le décollage du tourisme» dans cette région.
Alors que la Tunisie connaît une période d’instabilité politique et de crise économique probablement sans précédent, le tourisme reste l’un des secteurs qui portent le plus d’espoir pour l’avenir de ce pays. Mais la mission de promouvoir le gouvernorat de Sfax, à des fins touristiques, est particulièrement difficile, nécessitant de la volonté et également du souffle.
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