L’enseignement supérieur privé (ESPrivé) en Tunisie est malgré la crise, un secteur porteur. Malgré les frais de scolarité parfois onéreux, il a le vent en poupe. Certains pensent que l’ESPrivé est destiné aux riches et aux enfants des classes aisées.
Par Pr Ridha Bergaoui *
Frais d’inscription et de scolarité
L’accès aux établissements privés est soumis au payement de frais d’inscription et de scolarité. Ces frais annuels sont variables et relativement élevés, allant de 7000 à 15000 DT/an payables généralement en deux tranches (à l’inscription et janvier suivant). Ces prix sont en constante augmentation tenant compte de l’inflation et de l’augmentation des coûts (salaires, eau, électricité…). Certains exigent le paiement des frais du concours d’accès et de dossier (300 à 500DT) ainsi que des chèques de garantie. Les prix de la place au foyer ainsi que celui des repas généralement élevés.
Quoique ces établissements soient tous à caractère commercial et visent des exercices budgétaires positifs pour pouvoir distribuer des bénéfices à leurs actionnaires, ils n’ont aucun intérêt à gonfler leurs prix, d’une part parce que la concurrence est rude et d’autre part ces établissements ont intérêt à faire le plein d’étudiants pour rentabiliser leurs installations.
À partir de 2018-2019, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (MESRS) et afin de s’ouvrir à l’international, a lancé un programme d’inscription des étudiants étrangers aux universités publiques moyennant payement des frais de scolarité. Les frais annuels vont de 5000 DT pour les études de licence à 9000 pour le cycle ingénieur et 15.000 DT pour les études de médecine.
On peut considérer que ces prix constituent un seuil minimum et que l’Etat en fixant ces prix n’a pas l’intention de réaliser des bénéfices sur le dos des étudiants étrangers. Par ailleurs, le MESRS indique que le coût moyen de revient d’un étudiant pour l’année 2017-2018 est estimé à 6363 DT dont 5754 au titre du titre I correspondant aux frais de fonctionnement.
Les tarifs d’inscription et de scolarité fixés par les établissements sont transmis et approuvés par le MESRS. La loi précise que l’augmentation annuelle de ces tarifs ne peut dépasser 5% (art 20, loi 2000-73).
Il est possible de conclure ainsi que les tarifs pratiqués par les établissements supérieurs privés sont honnêtes couvrant les frais de fonctionnement et d’amortissement des installations. Il faut reconnaitre que ces prix sont d’autant plus élevés que l’établissement fait appel à des conférenciers internationaux de réputation dont il faut payer le déplacement, le séjour et les frais de mission (surtout pour les établissements anglophones).
Ces prix pratiqués comme frais de scolarité sont considérés élevés compte tenu des salaires et du pouvoir d’achat des Tunisiens. C’est pour cette raison que ces établissements sont parfois taxés d’être des établissements pour les riches.
Un enseignement pour les riches ? pas seulement
Pour les couches aisées et les couches défavorisées, le problème ne se pose nullement. Les premiers n’ont pas de soucis d’argent, les seconds sont démunis et arrivent à peine à survivre. Pour les parents des étudiants des couches sociales moyennes, le payement des frais les oblige à faire des sacrifices importants. La plupart considèrent que c’est un investissement nécessaire pour garantir à leur progéniture une formation solide et un accès plus facile au marché de l’emploi. L’accès à ces établissements n’est donc pas uniquement réservé aux riches mais également à la classe moyenne.
D’autres profils fréquentent ces établissements de l’ESPrivé. Il s’agit des bacheliers qui n’ont pas la moyenne au baccalauréat leur permettant, le système national d’orientation et de score oblige, d’accéder aux filières dites nobles comme les cycles ingénieur. Ces bacheliers se rabattent sur les établissements privés pour réaliser leur rêve et devenir ingénieur.
Par ailleurs, certaines spécialités surtout du niveau master, n’existent que dans certaines écoles privées. Pour acquérir cette formation, les étudiants n’ont pas besoin d’aller à l’étranger et supporter l’éloignement du foyer familial.
Enfin, les étudiants étrangers également représentent des clients potentiels intéressants surtout qu’ils payent en devises.
À la recherche de la qualité de la formation
Plusieurs raisons sont à l’origine de l’engouement des Tunisiens pour l’enseignement supérieur privé. Le plus important est a qualité de l’enseignement et l’accès au marché de l’emploi. Dans le contexte économique actuel difficile, trouver de l’emploi, pour un jeune nouvellement diplômé, représente un réel exploit. Le recrutement au niveau de la fonction publique étant suspendu, seul le privé embauche timidement. Les groupes internationaux, implantés en Tunisie, recrutent également. Les diplômés de l’ESPrivé bénéficient du réseau des professionnels partenaires. Ces professionnels accueillent les étudiants en stage et recrutent en premier des établissements avec qui ils collaborent et ont des intérêts économiques et financiers.
Par ailleurs, la qualité des diplômés des établissements publics est souvent mise en cause par les recruteurs qui dénoncent une inadéquation entre la formation et les besoins des professionnels. La souplesse des établissements supérieurs du secteur privé leur permet de s’adapter plus facilement aux exigences du marché de l’emploi que les établissements publics. Ces derniers se trouvent prisonniers de modes de formation et de gestion archaïques. Les établissements privés consacrent par ailleurs une part importante dans la formation aux «soft skills» de plus en plus demandés par les recruteurs.
Enfin de nombreux établissements privés dont des diplômes sont accrédités, ou alignés sur des diplômes étrangers répondant aux normes internationales. Cette reconnaissance nationale et internationale du diplôme est un passeport pour le travail à l’international soit en Tunisie soit à l’étranger.
L’accréditation des écoles d’ingénieur, synonyme de qualité
L’accréditation est la certification par un organisme indépendant et reconnu que la formation répond aux normes internationales. Elle atteste de la qualité de la formation ou de l’établissement concerné. C’est une preuve de fiabilité, de crédibilité et de qualité de la formation préalables à une démarche de recrutement par les employeurs potentiels. Elle peut être retirée si l’un des critères du cahier des charges n’est plus respecté. L’accréditation se fait sur présentation d’un dossier par l’établissement concerné et son examen par une commission d’accréditation suivi d’une visite sur le terrain pour évaluer la qualité de la formation et le respect des normes internationales.
De nombreux établissements privé de formation d’ingénieurs disposent d’une accréditation internationale qu’ils n’hésitent pas à exhiber pour attirer des clients potentiels.
Internationalisation des études supérieures
Suite à la libéralisation des échanges, la forte croissance du commerce international et des services et le développement des NTIC, l’enseignement supérieur s’ouvre à l’internationalisation et la mondialisation. Ce ci passe par l’uniformisation des cycles et des programmes de formation, la reconnaissance mutuelle des diplômes et l’assurance qualité de la formation.
La Tunisie a adopté, à partir de 2006, le système Licence (Bac+3), Master (Bac+5) et Doctorat (Bac+8) dans le souci de se rapprocher du système européen LMD et d’intégrer l’espace européen de l’enseignement supérieur tel que défini par le processus de Bologne.
Dans le souci de garantir la qualité de leurs formations, certains établissements privés concluent des protocoles de partenariat avec des établissements étrangers de réputation. Préparer en Tunisie un diplôme reconnu au niveau national représente une alternative intéressante au départ de nos jeunes à l’étranger. Ainsi des étudiants peuvent s’inscrire pour le cycle License par exemple dans un établissement en Tunisie et préparer un master en France ou ailleurs. Il est possible également de passer au cours de la formation d’un établissement tunisien à un autre partenaire international. C’est l’internationalisation des études supérieures
Certains établissements ont des relations de partenariat avec des universités et écoles internationales et offrent à leurs étudiants la possibilité de rejoindre, au cours de leur scolarité les établissements étrangers, ou d’avoir la double diplomation ou tout simplement séjourner une année à l’étranger dans le cadre de la mobilité introduite dans le système LMD.
Cette dimension internationale représente un sérieux attrait pour les étudiants qui rêvent de bénéficier d’une formation de qualité équivalente à celle dispensée à l’étranger avec beaucoup moins de frais. Elle intéresse également les jeunes qui caressent l’espoir de partir travailler à l’étranger et faire une carrière internationale tout en disposant d’un diplôme reconnu.
Le problème des étudiants africains subsahariens
Jadis, la Tunisie était un pays d’accueil réputé pour son hospitalité, sa tolérance et son ouverture. La Tunisie était le premier pays à abolir l’esclavage en 1846. Elle est devenue impossible à vivre, estiment certains étudiants africains. Dans la rue, les moyens de transport… les africains noirs sont provoqués et agressés. Des difficultés pour obtenir la carte de séjour, pour trouver un logement… Le président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie, Falikou Koulibaly, est mort en décembre 2018, lors d’un braquage. Le défunt avait reçu 26 coups de couteau, ce qui témoigne de la dimension raciste de cet acte.
Pour cette raison, les étudiants étrangers préfèrent d’autres destinations autres que la Tunisie alors que notre pays présente pas mal d’avantages. Si les frais de scolarité sont presque les mêmes qu’en Europe, la vie est beaucoup moins chère. Par ailleurs les études supérieures peuvent se faire en anglais ce qui convient parfaitement aux étudiants issus des pays anglophones.
À suivre.
Donnez votre avis