En se plaignant du terrorisme qu’ils subissent depuis quelque temps, les Occidentaux, et notamment les Américains, ne font que condamner un symptôme, en se voulant volontairement aveugles sur les causes qui l’ont entraîné, comme de mauvais médecins.
Par Jamila Ben Mustapha *
Les relations conflictuelles entre le monde occidental et le monde arabo-musulman, ces dernières décennies, après l’étape de la décolonisation et la réalisation des indépendances, peuvent être illustrées par l’image de la poule et de l’œuf : qui a commencé les hostilités le premier?
Cette période a vu l’occupation et la désorganisation d’abord de l’Afghanistan en 2001, puis celles de l’Irak en 2003 (déjà attaqué en 1991 après l’invasion du Koweït) et enfin de la Libye et de la Syrie en 2011 en proie à des mouvements locaux très vite appuyés par les Occidentaux et leurs alliés choisis, de préférence, parmi d’autres pays arabo-musulmans. La Russie, quant à elle, puissance rivale des Etats-Unis, avait choisi, en 2015, de soutenir le régime syrien.
L’appât vaut toutes les justifications, même les plus erronées
Et ces attaques faites au nom de prétextes divers – la présence d’armes de destruction massive, chimiques et biologiques en Irak, argument qui s’est révélé fallacieux; le régime dictatorial qui régnait dans ces pays et contre lequel s’étaient révoltées les populations libyennes et syriennes en 2011, lors du printemps arabe – ont provoqué des situations bien pires que celles qui existaient sous Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi ou Bachar El Assad (le seul parmi ces trois chefs d’Etat à avoir échappé à l’exécution médiatisée et à se maintenir toujours au pouvoir grâce à son alliance avec la Russie).
Ces prétextes ne sont pas sans rappeler celui du coup d’éventail subi par le consul français de la part du dey d’Alger en 1827, et qui a donné le signal de la colonisation de l’Algérie par la France, trois ans plus tard.
Mais si «Paris vaut bien une messe», selon les affirmations du futur Henri IV, de religion protestante et obligé de se convertir au catholicisme pour devenir roi de France, l’appât représenté par les ressources en gaz et en pétrole de ces pays et la situation géographique stratégique de la Syrie, vaut pareillement toutes les justifications, même si elles sont erronées.
N’est-il pas évident, à ce propos, de reconnaître que la lutte contre le régime dictatorial de ces nations est un problème exclusivement interne qui ne regarde et ne concerne que leurs habitants ? Il y a un proverbe bien de chez nous qui fustige les initiatives voulant conduire des hommes enchaînés, donc contre leur volonté, au paradis, à supposer que ce dessein, dans le contexte évoqué, fût sincère.
Avant leur invasion, ces pays étaient loin d’être en état d’implosion comme ils le sont actuellement. Ils avaient chacun, une unité bien définie; l’autosuffisance alimentaire régnait en Syrie; un début de réalisations industrielles et des progrès dans l’enseignement et la santé s’étaient produits en Irak; et la situation matérielle des habitants activement aidés par l’Etat, dans un pays riche en pétrole comme la Libye, était plutôt bonne.
Mouammar Kadhafi, malgré ses extravagances, luttait pour une promotion, un développement du continent africain, projet qui, visiblement, ne provoquait aucunement l’enthousiasme du monde occidental.
Quand le président irakien avait envahi le Koweït en 1990, l’opinion occidentale aurait pu protester contre ce fait, de façon «civilisée» – terme qui lui est si cher ! – sans se permettre pour autant de renverser le régime et d’occuper le pays en 2003, après l’embargo de 12 ans qu’elle lui avait fait subir auparavant. Mais l’occasion, trop belle, était inratable.
La violence ne peut susciter que la violence
Et cette invasion justifie-t-elle le fait que Saddam Hussein, vaincu par une coalition internationale, ait été exécuté pratiquement en direct, filmé juste avant la pendaison, puis juste après, par la télévision, au matin de l’Aïd-El Kebir de 2006 ( jour du sacrifice !), que les cadavres de ses fils exécutés aient été exposés auparavant en 2003, dans des tentes devant les caméras du monde entier, le gouvernement américain faisant fi du sentiment immense de rancœur, d’humiliation et d’amertume ressenti alors par des centaines de millions d’Arabo-musulmans, qu’ils aient été partisans ou non de l’ancien dictateur ?
La violence ne pouvant susciter que la violence, on assiste ainsi à des actions armées collectives de pays puissants et des réactions individuelles de jihadistes issus des pays du Sud – elles seules qualifiées de terroristes –, tout aussi désastreuses les unes que les autres.
Une petite minorité de jeunes ayant vécu ces traumatismes collectifs est ainsi prête depuis à des attaques solitaires, même si elles impliquent aussi leur mort, la destruction de cibles occidentales de la part d’individus munis d’une simple arme ne pouvant avoir lieu qu’au prix de leur autodestruction.
Décidément, l’importance du facteur psychologique et la dangerosité des dégâts psychiques causés par un sentiment d’humiliation régulièrement alimenté ont été mis de côté par ces pays puissants qui prétendent pourtant avoir non seulement le monopole de la force, mais aussi celui de l’intelligence.
On s’attaque au mal tout en ignorant les causes qui l’ont provoqué
De plus, en se plaignant de ce terrorisme qu’ils subissent depuis quelque temps, ils ne font que condamner un symptôme, en se voulant volontairement aveugles sur les causes qui l’ont entraîné, comme de mauvais médecins dont ils seraient les premiers à condamner l’insuffisance sur le plan professionnel.
C’est comme si ces réactions terroristes toujours condamnables parce que s’en prenant à des innocents désarmés, faites toutefois à une petite échelle si on les compare aux centaines de milliers de morts, de personnes handicapées, provoqués par la destruction des 4 pays déjà cités, étaient des actes gratuits, insensés et barbares dirigés vers des pays «civilisés» n’ayant rien à se reprocher.
C’est du moins ce que veulent nous faire croire les médias mainstream de pays qui, notamment, ne reconnaissent et n’appliquent les droits de l’homme qu’à leurs propres citoyens, et non à ceux plutôt «de second choix» qui résident dans des pays attardés et faibles faisant, à la fois, l’objet de leurs convoitises et de leur mépris.
* Universitaire et écrivaine.
Donnez votre avis