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Main invisible du FMI et Budget 2021 de la Tunisie

Main invisible? Main de fer dans des gants de velours? Le projet de Budget de l’État tunisien pour l’année 2021, qui sera débattu par les parlementaires tunisiens, dès le 12 octobre courant, est déjà tatoué, dans son cadrage budgétaire et ses principales mesures (impopulaires), par des engagements déjà pris par les autorités tunisiennes auprès du Fonds monétaire international (FMI). Les parlementaires tunisiens risquent de se trouver hors-jeu, franchement dupés, ne connaissant pas le contenu de la lettre signée par Marouane El-Abassi, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et l’ex-ministre des Finances Nizar Yaiche, rendue publique il y a une semaine. Cette lettre engage, encore une fois, la Tunisie auprès du FMI pour accéder à plus de prêts sous conditions (conditonal lending program)! Un budget de dupes? Des dés pipés? Explication…

Par Moktar Lamari, Ph. D.

Le détail de ces intentions et les engagements ont été dévoilés, transparence oblige, par le FMI le 26 septembre dernier (document). Pourtant le document est signé depuis avril 2020.

Un budget 2021 décidé d’avance?

Le document en question est signé par le gouverneur de la BCT, Marouane El-Abassi (premier signataire) et l’ex-ministre des Finances Nizar Yaiche (signataire secondaire). La lettre en anglais (pas traduite en français) et maintenue confidentielle depuis 6 mois est adressée à Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI.

On commence par les faits saillants, avant de les mettre en contexte.

1- Les «autorités» tunisiennes s’engagent à réduire les déficits budgétaires et à faire converger les prix des carburants à la pompe avec les tarifs d’importation du gasoil, du gasoil 50 et l’essence. Le mécanisme est (sera) fixé par arrêté dans le Journal officiel. L’engagement pour un ajustement automatique est ferme : les ajustements se feront mensuellement, sans dépasser +/- 2% dès janvier 2021. La missive envoyée au FMI fait fi des impacts de la dévaluation du dinar (passée et à venir), et fait comme si les secteurs économiques les plus porteurs pour la croissance ne seront pas concernés (transport public, tourisme, commerce, etc.). Aucune évaluation d’impacts n’est citée en référence, pour ces mesures ! Juste des promesses et des engagements qui en disent long sur les concessions faites pour le FMI!

2- Sans consulter leurs partenaires sociaux et sans aucune nuance, les deux signatures au nom de la Tunisie pour 2021 s’engagent aussi et dit en anglais approximatif «We introduced emergency measures on the civil service wage bill to prevent any hiring, non-statutory promotions, or new wage increases for 2020 beyond those already agreed with the UGTT labor union». Traduction: «On introduit dans l’urgence des mesures faisant qu’aucun recrutement additionnel ne se fera dans la fonction publique, avec aucune promotion, aucune augmentation de salaire pour 2020».

3- Les engagements annoncent aussi des augmentations des prix du tabac, pour des revenus anticipés pour le budget de l’État de 200 millions de dinars tunisiens (MDT). Ici aussi, aucune étude d’impact, notamment pour une mesure qui crée un appel d’air aux activités de contrebande du tabac, alors que trois fumeurs sur quatre consomment le tabac contrefait et circulant au grand jour dans toutes les villes et tous les villages du pays.

Il y a deux ans, les mêmes augmentations des tarifs du tabac n’ont pas drainé les recettes fiscales anticipées, mais elles ont fait exploser le commerce de contrebande des cigarettes.

Plus d’austérité et moins d’investissement public de l’État

Sans autres justifications ni consultations liées, les signataires de la missive au FMI annoncent que la Tunisie remettra aux calendes grecques les 3,4 milliards de DT prévus pour l’investissement public, dans la Loi de Finances (budget) pour 2020. Comme si les rares ressources publiques consenties pour l’investissement public sont secondaires et leur report est neutre et sans méfaits, dans un contexte d’un chômage explosif et des tensions sociales dans tous les secteurs et régions de la Tunisie.

En point de mire, l’obtention du prêt de US$753 millions, déjà encaissés depuis avril. Les signataires de la lettre d’intention-engagement ajoutent deux autres points.

Un, ils s’engagent à réduire durablement les subventions pour l’électricité et le gaz naturel, pour augmenter leurs tarifs de façon à réduire les déficits budgétaires.

Deux, ils ont promis des négociations avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) pour réduire, incessamment, la masse salariale de fonctionnaires. Ajoutant que la Tunisie mène un audit approfondi du secteur de la fonction publique, notamment pour détecter l’absentéisme et les fonctionnaires fantômes («ghost civil servants»).

Une politique monétaire à la merci des diktats du FMI

Le gouverneur de la BCT n’y va pas par quatre chemins en disant que la BCT s’engage dans un dialogue régulier et continu avec le FMI, sur la base de données, produites pour ce faire («high frequency data») et partagées directement avec le FMI.

Et ce document qui engage l’État tunisien dit explicitement que la BCT resserrera davantage sa politique monétaire si l’inflation n’obtempère pas et si les réserves de devises viennent à se réduire. Ajoutant toujours la mention «on le fera en concertation avec le FMI», comme si les ministres et experts tunisiens ne sont pas en mesure de prendre de telles décisions de façon endogène et souveraine.

Au regard du secteur bancaire, le gouverneur de la BCT insiste, dans le document, pour dire que «la classification des prêts et les règles d’octroi des prêts ne seront pas facilitées à l’avenir, et c’est désormais le gouvernement tunisien qui assurera la garantie de ces prêts, au lieu de la BCT : «Loan classification and provisioning rules will not be eased, and any loan guarantees and subsidies will be provided by the government rather than the CBT».

Fait récurrent, la lettre cosignée par le gouverneur de la BCT et le ministre des Finances martèle la réduction de l’importante masse salariale de la fonction publique en pourcentage du PIB, la suppression progressive des subventions à l’énergie, l’initiation des réformes des entreprises publiques (sans nommer lesquelles). Des engagements faits auparavant, mais jamais respectés durant les années précédentes. Des engagements, annoncés sans quantification des objectifs.

Les signataires promettent aussi un engagement «pour favoriser davantage une croissance inclusive dans l’économie, avec des mesures pour relancer l’économie et soutenir les PME, faire respecter l’Etat de droit et progresser dans la lutte contre la corruption, et améliorer les services publics, en particulier dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la numérisation…». Aucune clarification à ce sujet, notamment en lien avec les budgets et moyens mobilisés pour ce faire.

Risques et périls du Budget 2021

Ce document officiel, tenu confidentiel et déclassifié depuis deux semaines, n’est pas rassurant pour les débats budgétaires qui commencent cette semaine au sein d’un parlement déjà morcelé, dysfonctionnel, et ne disposant pas de toutes les connaissances et compétences pour comprendre l’ampleur des impacts de la «main invisible» du FMI sur les choix stratégiques et les politiques monétaires et fiscales du Budget du 2021.

Avec les engagements tenus par le gouverneur de la BCT et de l’ex-ministre des Finances, on ne peut pas s’attendre à une politique de reprise et de redémarrage de l’économie. Des engagements dangereux et contre-productifs pour la survie des entreprises et la création de l’emploi pour l’année 2021.

Le FMI sait qu’il a le gros bout du bâton! Sans le dire, il estime que la Tunisie est sur le bord de la faillite et, en conséquence, son gouvernement ne peut pas faire à sa tête, sans respecter à la lettre les diktats du FMI. Pour preuve, le graphique précédent qui indique la croissance exponentielle des emprunts, et des empreintes du FMI sur la trajectoire de la transition démocratique en Tunisie.

Les députés concernés par les débats régissant l’adoption du Budget 2021 doivent tenir compte de ces engagements signés de manière confidentielle et n’ayant pas fait l’objet de consultations démocratiques et transparentes. La démocratie tunisienne mérite plus de transparence et de respect de la part de ses institutions bancaires et des politiques monétaires.

Aussi, un grief de taille à faire contre le FMI et la Banque mondiale, qui, hasard du calendrier, organisent leurs rencontres annuelles (12-18 octobre à Washington), avec tous les rapports, les données et les promesses dévoilées pour une action à mener pour les mois à venir.

* Universitaire au Canada.

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